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Charmide
Charmide
L’action du Charmide se situe dans la palestre de Taurés, un gymnase que
Socrate retrouve à son retour de la guerre du Potidée. C’est là qu’il
s’entretient avec Charmide et Critias. Charmide est frappé de migraine
chronique et demande à Socrate s’il a un remède à son mal. Socrate connaît un
certain remède qui fait de l’effet quand elle est associée à la récitation
d’une mystérieuse incantation. Or cette incantation et ce remède conformément à
un modèle holiste de médecine ne peuvent guérir la tête séparément, le corps
tout entier doit être pris en compte. Mais envisager tout le corps ne suffit
pas non plus, il faut prendre en compte également l’âme. Or la sagesse (sôphrosuné) guérit l’âme. Or comme
maladies de l’âme, il y a les idées reçues et les préjugés ; et il se
trouve justement que Socrate est un excellent guérisseur de ces
maladies-là ! Socrate va donc tenter de guérir Charmide de ses idées
reçues qui portent dans ce cas précis sur la sôphrosuné. A l’époque où se déroule le Charmide, celui-ci n’est encore qu’un jeune homme connu pour sa
beauté physique qui ensorcelle tout le monde, mais aussi pour sa sagesse, son
sérieux et sa tempérance. Cela lui confère une aura très prestigieuse car les
Grecs considéraient dans leurs modèles très machistes que la sôphrosuné était la vertu par excellence
des femmes et des jeunes hommes. On attendait d’eux qu’ils soient réservés et
ne s’emportent pas, en un mot qu’ils aient de la « tenue », restant
« sagement » à la maison pour les unes, ne sortant pas du droit
chemin de leur formation pour les autres. Quand Socrate demande à Charmide s’il
possède ou non la sagesse, Charmide se trouve tout embarrassé. « Charmide commença par rougir, il n’en
paraissait que plus beau car la pudeur convenait bien à son âge[1]. »
Charmide refuse de répondre car s’il répond par l’affirmative, il passera pour
un orgueilleux et un vaniteux. Socrate l’interroge sur la sagesse pour savoir
s’il la possède ou non car :
« Il est évident que si la sagesse
est présente en toi, tu es en mesure de t’en former une opinion. Car sa
présence en toi, si vraiment elle est présente, doit nécessairement susciter
une certaine perception qui est à la source de l’opinion que tu te formes à son
sujet, de ce qu’elle à la source de l’opinion que tu te formes, de ce qu’elle
est et de ses qualités[2] ».
Charmide et puis Critias vont donner
tour à tour six définitions de la sagesse, chacune de ces positions critiquée et problématisée par Socrate. Les trois premières sont de Charmide, les trois suivantes sont de
Critias :
-
1°) la sagesse est le fait d’accomplir toutes choses
avec mesure et avec calme.
-
2°) la sagesse nous fait éprouver la honte, et elle
consiste à la pudeur.
-
3°) la sagesse consiste à s’occuper de ses propres
affaires.
-
4°) la sagesse consiste à faire le bien.
-
5°) la sagesse consiste à se connaître soi-même.
-
6°) la sagesse est la science qui se connaît
elle-même.
Reprenons
au début. Charmide commence par définir la sagesse comme « le fait d’accomplir toutes choses avec
mesure et avec calme, aussi bien marcher dans la rue, discuter, et pareillement
pour tout ce que l’on fait[3] ».
Socrate fait admettre à Charmide que « la
sagesse fait partie des belles choses[4] »,
et à partir de là, il lui fait admettre que certaines choses sont plus belles
quand elles sont accomplies rapidement et avec énergie : la lecture, jouer
de la cithare, la lutte, la course à pied, le saut. Pareillement, les activités
de l’esprit comme l’enseignement, la mémoire, la compréhension, sont plus
belles quand elles s’accomplissent rapidement et avec vivacité. La sagesse
s’incarne aussi dans l’énergie, pas seulement dans le calme et la retenue que
l’on attend systématiquement des femmes et des jeunes. La sagesse fait que l’on
s’adapte un rythme adéquat par rapport à la situation : parfois calme,
parfois plus véloce. Cette conception de la sagesse que défend d’abord Charmide
fait un peu penser à ce qu’on dit aux enfants turbulents pour les calmer :
« sois sage comme une image », comme si l’image était sage !
L’image dans son inertie ne quitte jamais la page de son livre, et cela
correspond à l’idéal d’être bien rangé, d’être « bien comme il
faut » ; mais en réalité, la sagesse est liberté, la sagesse échappe
aux conventions sociales, la sagesse est enfant de Bohême, et Socrate est là
pour nous le rappeler !
La
deuxième définition que propose Charmide est : « Il semble que la sagesse nous fait éprouver la honte, qu’elle rend
l’homme sujet à la honte, et que la pudeur est précisément ce en quoi elle
consiste[5] ».
Socrate répond à cela que si « la
sagesse est non seulement belle, mais qu’elle est bonne[6] »,
alors la sagesse ne saurait être sérieusement la pudeur, puisque la pudeur peut
parfois être bonne, parfois être mauvaise, comme le dit Homère : « la pudeur n’est pas une bonne compagne pour
l’homme dans le besoin[7] ».
Il est à noter que le raisonnement de Socrate est sophistique pour le
coup ; mais c’est qu’un parfum de sophistique et de séduction embaume la
palestre de Tauréas. On a plus l’impression d’assister à une joute orale
plaisante qu’à un véritable débat philosophique (même si, ensuite, le ton se
corse avec Critias). Il faut dire que Charmide ne laisse personne indifférent,
surtout pas Socrate qui doit résister à ses charmes de toutes ses forces. A la
vue de Charmide, Socrate se compare lui-même à un jeune faon en proie à un lion
sauvage qui risque de la dévorer. Il lui faut toute sa sôphrosuné et sa maîtrise de soi pour ne pas succomber à ses formes
gracieuses ! Mais Socrate ne veut peut-être pas non plus être trop
efficace dans sa démolition des définitions de Charmide, car après tout, elles
comportent quelque chose de vraie : on attend du sage qu’il garde la tête
froide quand tout le monde la perd, on attend de lui le calme et la constance,
et la pudeur contre la vulgarité et la bassesse est nécessaire pour assurer la
beauté et la noblesse d’une existence sage. Ces définitions ont juste besoin
d’être problématisées pour ne pas que l’on s’englue dans les idées reçues et le
conformisme social.
La
troisième définition consiste « à
faire ses propres affaires[8] ».
Cette définition ne convient pas du tout à Socrate, parce que si il y a bien
qui s’occupe tout le temps des affaires des autres, c’est bien lui ! On
pourrait comprendre cette définition comme un adage de ne pas se livrer aux
commérages, de se repaître des problèmes et des vicissitudes de son
voisin ; ou alors on pourrait le comprendre comme une mise en garde à ne
pas empiéter sur le parterre des autres, de peur que ceux-ci n’en garde de la
rancune, ne pas se mêler de ce qui ne ous regarde pas. Ce serait alors une
simple mesure de prudence. On peut aussi y voir un but d’autarcie. En tous cas,
cette définition n’est pas claire, ce que fait savoir Socrate : « cette affirmation a tout l’air d’être une
énigme[9] ».
Faire ses propres affaires, qu’est-ce que cela veut dire ? « Une cité serait-elle bien administrée, à ton
avis, si la loi ordonnait à chacun de tisser et de laver son propre vêtement,
de tailler le cuir de se sandales, de fabriquer son lécythe, son racloir et,
conformément, au même principe, tous les autres objets, bref de ne pas toucher
aux choses d’autrui, mais que chacun réalise et fasse ses propres affaires[10] ? »
Socrate
prend au mot la définition pour montrer son absurdité, puisqu’une société ou
une Cité est l’endroit où les affaires de tous les hommes se rencontrent et
s’entremêlent intimement. Quand Socrate en appelle au souci de soi, il ne faut
y voir aucun égoïsme ou aucun repli sur soi, que du contraire. L’homme est
compris dans un tout qui est la Cité. Comme
dira plus tard Aristote[11],
l’homme est un zoon politikon, un
animal politique (ou être vivant politique). Il n’est donc pas une entité
indépendante qui oeuvrerait seulement à son propre bien ; mais il est
contraire une partie de ce partie, et donc travailler au bien des autres et de la Cité en général contribue à
rendre sa ville belle et enrichissante, et en fin de compte, heureuse. Le souci
de soi conduit naturellement au souci de l’autre[12].
C’est cette activité altruiste qui est proprement un « don du dieu à la Cité » selon les
propres mots de Socrate : « Aucun
motif ne semble devoir expliquer que je néglige toutes mes affaires
personnelles et que j’en supporte les conséquences dans mes affaires
domestiques depuis tant d’années déjà, et cela pour m’occuper en permanence de
vous, en jouant auprès de chacun de vous en particulier le rôle d’un frère ou
d’un frère plus âgé, dans le but de le convaincre d’avoir le souci de la vertu[13] ».
Socrate pourrait très bien rester chez lui à vivre sagement une vie belle et
harmonieuse, loin des soucis du monde, mais le dieu le presse de rendre ce
service aux autres, qui est de les libérer de leur dogme et de leurs préjugés
pour qu’ils aient le souci de soi, c’est-à-dire le souci de la vertu. C’est
comme cela que Socrate se rend utile aux autres, même si ceux-ci, la plupart du
temps, n’apprécient pas à sa juste valeur ce service rendu, ce « don du dieu à la Cité ». Mais c’est
que les médicaments ont souvent un goût désagréable, et les paroles aporétiques
de Socrate semblent bien insupportables à entendre à l’orgueilleux et à l’homme
imbu de son pouvoir et de son prestige. Ce qui lui a valu tous les ennuis que
l’on sait, mais ce n’était pas une raison pour Socrate de renoncer. Il était
très éloigné dans son attitude de la formule d’Ovide « Bene qui latuit,
bene qui vixit » : « Celui
qui s’est bien caché a bien vécu[14] ».
Donc
Socrate n’accepte cette troisième définition de la sagesse comme « faire ses propres affaires ». C’est
à ce moment que Critias prend le relai de Charmide. Critias fait la distinction
fait la distinction entre fabriquer et travailler. « Aucun travail ne mérite le blâme[15] »,
mais certaines activités comme la taille du cuir, la vente des salaisons et la
prostitution sont des actes indignes. La suite du raisonnement de Critias est
passablement confuse : « En
effet, (Hésiode) appelait "travail" ce qui était fabriqué avec un
souci de beauté et d’utilité, et les fabrications de ce genre sont pour lui des
travaux et des actions. Et il faut ajouter que seules les fabrications de ce
genre nous étaient propres, alors que toutes celles qui sont nuisibles nous
sont étrangères. En conséquence, il faut croire qu’Hésiode aussi, comme tout
homme réfléchi, appelle « sage » celui qui fait ses propres affaires[16] ».
On retrouve en fait cette distinction chez le Socrate de Platon entre ce qui
nous est propre et ce qui nous est étranger. Ce qui nous est propre correspond
au bien, et ce qui est étranger correspond au mal. C’est pourquoi le souci de
soi correspond au souci de la vertu, puisque trouver son âme, c’est trouver le
bien. Ne pas la trouver, c’est être dans l’ignorance métaphysique, c’est être
aliéné par des forces étrangères comme les désirs violents et démesurés, ce qui
nous conduit à commettre le mal malgré nous, malgré notre âme propre ;
c’est l’adage socratique : « nul
ne fait le mal volontairement ». Mais il y a une différence
essentielle entre Critias et Socrate. Critias confond allègrement ce nous est
propre métaphysiquement avec ce qui nous est propre socialement parlant :
en effet, juger indigne les tanneurs de cuirs et les prostituées est un
jugement de classe, inspiré tout droit de sa condition d’aristocrate. Cela n’a
rien à voir avec le jugement d’une action juste et belle.
C’est
pourquoi Socrate le force à reconsidérer son point de vue en redéfinissant
l’acte de faire ses propres affaires en l’acte bon opposé à l’acte
mauvais : « Celui qui fait le
mal n’est donc pas sage, mais plutôt celui qui fait le bien[17] ? »
On en vient donc à la quatrième définition : « Que la sagesse consiste à faire le bien, voilà la définition claire que
je te soumets[18] ».
L’objection de Socrate est la suivante : un médecin qui soigne son patient
fait le bien, donc il est sage. Oui, mais il arrive souvent qu’un médecin
ignore si son opération ou son traitement va réussir, voire si celui-ci ne va
pas faire plus de mal que de bien. « Dans
ce cas à ce qu’il semble, il arrive parfois qu’il pratique avec sagesse et
qu’il soit sage lorsqu’il a pratiqué utilement, mais qu’il ignore lui-même
qu’il est sage. » Critias refuse cette éventualité car quelqu'un de
sage doit pouvoir se connaître lui-même en tant que sage.
On
arrive donc à la cinquième définition inspirée de la célèbre inscription au
fronton de l’oracle de Delphes : la sagesse, c’est se connaître soi-même.
Puis on glisse tout de suite à la sixième définition. Socrate : « Si la sagesse consiste à connaître quelque
chose, il est évident qu’elle est une sorte de science et qu’elle a un objet.
N’est-ce pas ? » Critias : « C’est la science de soi[19] ».
On assiste à ce point du dialogue à un moment de flottement sur la
signification de cette expression : science de soi. Cela peut vouloir
dire : « science de l’âme » ; mais aussi « science de
la science » comme déjà Socrate essayait de l’envisager dans son objection
à la quatrième définition. De définition en définition, on passe d’une
conception très pratique de la sôphrosuné
à une conception de plus en plus théorique, jusqu’à verser dans
l’épistémologie !
Socrate
fait valoir à Critias que toute science a un objet distinct de cette science.
Ainsi le lourd et le léger sont des choses différentes que l’art de peser, le
pair et l’impair sont autres choses que le calcul. Pour Critias, la sagesse n’a
rien à voir avec ces sciences, puisque justement la sagesse est la science
d’elle-même et des autres sciences. Ce qui fait dire à Socrate : « Le sage est le seul qui se connaître
lui-même et qui sera en mesure d’examiner ce qu’il se trouve savoir et ce qu’il
ne sait pas, et il aura pareillement la capacité d’examiner autrui sur ce qu’il
sait et croit savoir, lorsqu’il le sait, et inversement sur ce qu’il croit
savoir, alors qu’il ne le sait ; et personne d’autre n’aura cette capacité[20] ».
Critias approuve, et cela devrait réjouir Socrate étant la définition du sage
qu’il donne lui dans l’Apologie de
Socrate. Mais étrangement, cela ne satisfait pas Socrate ! Cette
conception le laisse complètement dubitatif. Deux questions lui vienne dès lors
à l’esprit : 1°) Est-il possible de savoir que l’on sait et que l’on ne
sait pas ? 2°) Quelle est l’utilité de ce savoir ?
Cette
science d’elle-même plonge Socrate dans l’embarras. Transposée à d’autres
domaines, cette science apparaît d’évidence comme complètement absurde :
on aurait une vision qui se voit elle-même et les autres visions, une volonté
qui ne veut qu’elle-même et les autres volontés, un amour qui n’aime que
lui-même et les autres amours, une peur qui s’effraie d’elle-même et des autres
peurs. En mathématique, cela devient encore plus absurde : que penser d’un
double qui serait double de lui-même et des autres doubles ? Non, cela ne
se peut : « le double ne porte
pas sur autre sur la moitié[21] ».
Socrate en devient tellement sceptique qu’il ne sait plus s’il sait ou ne sait
pas. Toute science a une certaine puissance qui lui permet de porter sur son
objet. Ainsi, le grand a la puissance d’être plus grand qu’une autre chose.
Quand on a la puissance, c’est qu’on a la puissance sur quelque chose d’autre. Or il n’est pas possible que ces
sciences exercent leur propre puissance à leur endroit. Socrate doute donc
d’une possibilité d’une science de la science, mais aussi du fait qu’elle soit
utile à quelque chose. Ce qui est très gênant : « Car, que la sagesse soit quelque chose
d’utile et de bon, j’en fais la prophétie[22] ».
A ce
moment, comme quelqu’un qui baille donne envie de bailler à son voisin,
l’embarras de Socrate se communique prodigieusement à Critias qui ne sait pas
du tout où il en est et qui essaye de garder bonne figure devant Charmide et
les jeunes gens du gymnase. Mais Socrate ne s’arrête pas là en si bon chemin
aporétique !
Ce
dernier admet provisoirement la science de la science comme possible. Mais en
tel cas, comment peut-on savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas ?
Pour Critias, savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, c’est se connaître
soi-même et c’est être sage[23].
Si on a la connaissance qui se connaît elle-même, est-on pour autant quelqu’un
qui se connaît lui-même ? En d’autres termes, est-ce que la connaissance
de la connaissance est équivalente à la connaissance du connaisseur ? Pour
Socrate, ce n’est pas la même chose. Avec la science de la science, on ne
connaît ni la santé, ni la justice (qui relève de la médecine et de la
politique). Donc on ne peut pas savoir ce qu’on sait ou ce qu’on ne sait pas en
médecine ou en politique, puisqu’il faut d’abord connaître ces matières, avant
d’estimer l’étendue exacte de sa connaissance ou de son ignorance. Celui qui
ignore ces savoirs particuliers ne saura donc pas ce qu’il sait, mais seulement
s’il sait quelque chose au moment où se présente ce savoir à sa conscience.
Le
sage ne pourra donc pas en conséquence faire la distinction entre celui qui se
fait passer pour un médecin et le véritable médecin, puisque le sage ne
s’entend pas à la maladie et à la santé. Mais en retour : « Le médecin ne sait donc rien non plus de la
médecine, puisqu’il se trouve que la médecine est une science[24] ».
Le sage ne pourra connaître que celui qui possède la même compétence de la
même façon que les artisans sont capables de reconnaître un homme de métier ou
non dans leur art. Socrate et Critias arrive alors à un accord sur le rôle
ordonnateur de la sagesse : « En
effet, nous n’entreprendrions pas nous-mêmes de faire ce que nous ne
connaissons pas, mais nous nous en remettrions plutôt à ceux en qui nous
aurions découvert cette compétence, et nous ne confierons pas à nos sujets
d’autres tâches qu’ils seraient en mesure d’accomplir correctement, à savoir
celles-là même dont ils auraient la science[25] ».
Une société inspirée par cette sagesse s’organiserait d’autant mieux comme une
clepsydre bien huilée, sans heurts, ni errements. Ce serait magnifique, mais
Socrate déchante tout de suite : « Mais tu vois qu’aucune connaissance de cette sorte ne s’est manifestée
nulle part[26] ». La
confusion gagne alors plus en ampleur comme une boule de neiges dévalant sur
une pente enneigée. Critias est complètement perdu tandis que Socrate reconnaît
qu’il dit des choses absurdes et qu’il déraisonne, mais qu’il doit pousser son
investigation jusqu’au bout[27].
Et si la vie conforme à la science n’était d’aucune utilité ? Et si elle
ne nous aidait pas à bien agir et à être heureux ? C’est que cela relève
d’une autre science que la science de la science, et cette science, c’est la
science du bien et du mal. « Or mon
cher Critias, ce qu’il y a de bien et d’utile en chacune de ces activités nous
ferait défaut en l’absence de ces activités nous ferait défaut en l’absence de
cette connaissance[28]. »
Finalement, Socrate et Critias ne savent absolument pas trouver cette sagesse,
ni même savoir si elle est utile, et Charmide ne peut pas répondre à la
première question de Socrate qui était de savoir s’il possédait ou non cette
sagesse dès lors qu’ils sont incapables d’en trouver la nature.
Dans
le Charmide aussi, la sagesse reste
un épais mystère. Nous recherchons la sagesse afin de tisser un rapport
harmonieux au monde ; et cette recherche de sagesse passe sur une
interrogation et un questionnement sur ce qu’est cette sagesse, sur l’essence
de la sagesse. Sans que l’on puisse dire ce qu’il en est vraiment de cette
sagesse, puisque nous ne sommes pas dans cette sagesse et qu’elle reste un
mystère, nous sommes réduits comme Charmide et Critias à émettre des hypothèses
plus ou moins raisonnables pour circonscrire comme un horizon lointain à notre
vie d’errances et de visions confuses et à bousculer sans cesse nos certitudes
comme Socrate pour avancer vers cette sagesse.
Voir la suite : "Philèbe" de Platon
[1] Platon, « Charmide », traduction de Louis-André Dorion, GF-Flammarion,
Paris, 2004, 158 c.
[2]
Platon, ibid., 158 e-159 a .
[3]
Platon, ibid., 159 b.
[4]
Platon, ibid., 159 c.
[5]
Platon, ibid., 160 e.
[6] Platon, idem.
[7] Platon, ibid., 161 a . Le passage chez Homère
se trouve dans l’Odyssée (XVII, 347).
[8]
Platon, ibid., 161 b.
[9]
Platon, ibid., 161 c.
[10] Platon, ibid., 162 a .
[11] Aristote, « Les
Politiques », traduction de Pierre Pellegrin, GF-Flammarion, Paris,
1993 (2e éd.), p. 90, I, 2, 1252-b.
[12] Voir le chapitre « Souci de soi,
souci de l’autre » dans : Pierre Hadot, « Qu’est-ce que la philosophie antique », op. cit., pp. 66-69.
[13] Platon, « Apologie
de Socrate », op. cit., 31 b.
[14] Ovide, « Les tristes ». C’est, semble-t-il, l’inscription que René
Descartes aurait voulu faire graver sur sa pierre tombale.
[15] Platon, « Charmide »,
op. cit., 163 b. Critias cite Hésiode, « Les travaux et les jours », 311.
[16] Platon, ibid.,
163 c.
[17] Platon, ibid.,
163 e.
[18] Platon, idem.
[19] Platon, ibid.,
165 c.
[20] Platon, ibid.,
167a.
[21] Platon, ibid.,
168 c.
[22] Platon, ibid., 169 b.
[23] Notez bien la différence entre savoir que l’on sait et savoir ce que l’on sait, elle est essentielle
dans ce passage.
[24] Platon, ibid.,
170 e-171 a .
[25] Platon, ibid.,
171 e.
[26] Platon, ibid., 172 a .
[27] Y aurait-il dans le Charmide un ancêtre du doute hyperbolique de René Descartes ?
[28] Platon, ibid., 174 c-d.
1ère partie - 2ème partie - 3ème partie - 4ème partie - 5ème partie - 6ème partie - 7ème partie
Textes et essais sur la philosophie gréco-romaine ici.
1ère partie - 2ème partie - 3ème partie - 4ème partie - 5ème partie - 6ème partie - 7ème partie
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