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Mon propos, ici, n’est pas de faire l’apologie de Schelling
contre Kant ou vice-versa, mais de replacer le présent débat dans une Histoire
des idées philosophiques, qui influence les termes de ce débat. Selon moi, Yves
Bonnardel et David Olivier s’arrêtent aux Lumières : la Nature n’a pas à
être dotée d’aucune transcendance, elle n’a pas de caractère sacré, elle n’est
pas un Tout ou une entité avec un statut particulier. Il vaudrait même mieux
parler de « réalité », parce que le mot « réalité » n’est pas
connoté avec des jugements de valeur ou des appréciations subjectives. Le mot
« réalité » est neutre et suffisant pour décrire le monde
environnant, tandis le mot « Nature » est flou et tend à nourrir une
mystique que la Raison triomphante réprouve.
Sans nier
la difficulté et sans reprendre à mon compte de manière dogmatique la pensée de
Schelling ou de tout autre philosophe romantique, je pense pourtant que la
Nature dépasse la seule agglomération des atomes et des molécules qui la
composent. Je pense que la Nature n’est pas un simple objet, mais que l’on peut
établir une relation avec elle, une relation complexe et subtile qui ne se réduit
pas à des propositions simples comme : « La Nature, c’est l’enfer.
Tout le monde bouffe tout le monde » ou « Notre Mère, la Terre, est
la source de toute félicité en cette vie ».
La Nature est insaisissable ; elle
échappe à toutes nos catégorisations. Comme le disait Héraclite :
« La nature aime à se cacher ». Il y a certainement un travail
philosophique à entreprendre pour repenser la Nature. Œuvrer à nouveau à une
« philosophie de la Nature ». Jusqu’au XVIIIème siècle, la
philosophie de la Nature n’était autre que ce qu’on appelle aujourd’hui la
science. Ainsi au XVIIème siècle, Galilée et Newton étaient
considérés comme des philosophes de la Nature. Le terme
« scientifique » n’est apparu qu’au XIXème siècle. Ce sont
les romantiques qui ont commencé à faire une distinction entre la philosophie
naturelle (c’est-à-dire la science) et la philosophie de la Nature. La
philosophie naturelle pense la Nature comme objet là où la philosophie de la
Nature pense la Nature comme sujet. C’est cela qu’il faut repenser, pas
seulement pour assouvir notre soif métaphysique, mais aussi et surtout pour
retrouver une relation plus harmonieuse et apaisée avec la Nature que la
société industrielle détruit impitoyablement. Tout miser sur les éoliennes et
les panneaux solaires n’a aucun sens pour nous sortir du réchauffement
climatique et freiner l’effondrement de la biodiversité, si nous ne changeons
pas notre rapport à la Nature, si nous ne consommons pas moins les ressources
naturelles et si nous n'arrêtons pas cette guerre effrénée que nous avons lancé
contre la Nature. Une autre relation avec la Nature est à redessiner.
D’urgence.
*****
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Photo de Kobi Refaeli |
Ma relation
à la Nature est surtout le fait de mes ballades et de mes errances au sein de la Nature, mais
aussi la saveur si particulière de la méditation au sein de la Nature. Savoir
apprécier le silence bruissant de la Nature, voilà que les gens abreuvés
d’objets technologiques ne savent plus faire. Ma mère me demandait un jour pourquoi
j’avais abandonné les écouteurs quand je marchais dans la rue, écouteurs qui ne
me quittaient pas quand j’étais adolescent. La réponse est simple : il y a
tellement de choses à apprécier dans l’ici et maintenant pour qui sait
apprécier la Nature, le bruit du feuillage dans le vent, les nuages, les
merveilleux nuages, comme disait Baudelaire, et la luminosité à travers ces
nuages ou ces feuillages. Tant de choses simples et insignifiantes, mais qui
valent infiniment plus qu’un iPhone ou une tablette. La nature donne à tout le
monde et en tout lieu. Il suffit de cueillir le jour comme disait Horace (Carpe
Diem) ; même si le mot « suffit » peut sembler tellement cela
demande d’exercices spirituels pour savoir cueillir cette simplicité. Même en
ville, la nature est présente. J’habite dans une ville industrielle moribonde
avec ses hauts-fourneaux délabrés et agonisants. Même là, la Nature est
présente dans des chemins à l’écart, entre les pavés des rues, et l’eau de
javel ou le Round-up ready n’y peuvent rien ! J’habitais auparavant dans
un appartement qui donnait sur un immeuble. Sur le toit de cette immeuble, en
haut de la cheminée, avait poussé un arbrisseau en creusant dans la pierre, au
point de faire exploser cette pierre et de menacer les passants dans la rue qui
passait inconcients du danger en contrebas. Le propriétaire de l’immeuble
n’était pas tracassé par la situation ; pourtant, la cheminée menaçait
d’éclater. Finalement, c’est une bourrasque de vent lors d’une tempête qui est
venu à bout de l’arbrisseau !
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Oeuvre de Roadsworth à Montreal |
Là où je suis complètement en porte-à-faux avec Yves
Bonnardel, c’est quand il dit dans le passage que j’ai déjà cité plus haut
: « Cette mystique se porte bien (…)
Si certains communient dans les associations de « protection de la Nature » ou
les magasins « bios » (et excommunient les médicaments, les pilules, la chimie
et le béton...), bien plus nombreux sont les croyants non pratiquants ».
Il est vrai qu’une certaine idée culturellement valorisée de la Nature est
répandue : la Terre-Mère, « les produits naturels bon pour la
santé » dans les publicités de
yaourt, et j’en passe. Mais cette mystique en elle-même se porte mal. La
mystique de la Nature se porte globalement mal. Tout le monde passe le plus
clair de son temps libre devant la télévision ou son écran d’ordinateur. La
Nature pour la plupart des gens, c’est justement ce qui figure sur le fond
d’écran de son ordinateur. Vous savez le champ fleuri ou le grand canyon… Mais
entre le boulot, les trajets en voiture ou en métro et notre lobotomie quotidienne
devant les écrans plasmas, il ne reste plus beaucoup de temps pour apprécier la
Nature.
J’ai travaillé dans une école qui avait la particularité de
se trouver à côté d’une forêt. J’étais regardé comme un excentrique simplement
parce que j’allais me balader dans le bois pour décompresser entre les
cours ! Mes élèves étaient d’ailleurs convaincus que, si je me rendais si
souvent dans les bois, c’était pour aller fumer des joints. La seule utilité
d’une forêt à leurs yeux, c’était de pouvoir s’y cacher derrière un buisson pour
y consommer tranquillement des substances illicites. Cela me rendait triste,
non pas parce qu’ils répandaient des rumeurs fallacieuses sur mon compte, mais
parce qu’ils ne voyaient absolument pas le potentiel d’apaisement et de bien-être
que peut procurer une balade en forêt. Les Japonais parlent de prendre des
« bains de forêt ». C’est assez saisissant comme image car on est
vraiment purifié tant de la pollution que de l’agitation et le stress de la vie
en société. Mais ça, mes étudiants ne le percevaient absolument pas ! Non
vraiment, monsieur Bonnardel, la mystique de la Nature se porte mal ! Une
certaine idée de la Nature peut encore éventuellement avoir une aura
positive ; mais sinon la Nature pour la plupart des gens se borne au fond
d’écran de leur ordinateur !
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