Dans
l'émission radiophonique « Les nouvelles chemins de la connaissance » sur France Culture, Adèle van Reeth recevait
hier Philippe Cornu, spécialiste du bouddhisme tibétain, auteur
entre autres de « Longchenpa, la liberté naturelle de
l'esprit » et du volumineux « Dictionnaire
encyclopédique du bouddhisme ». Interrogé sur la question
récurrente de savoir si le bouddhisme est une religion ou une
philosophie, Philippe Cornu répond que, même s'il y a bien des
« éléments de philosophie » (sic) dans le
bouddhisme, le bouddhisme est avant tout une religion.
Pour
reprendre ses mots exacts : « On ne peut pas dire que
le bouddhisme ne soit pas une religion. Honnêtement. Il faut arrêter
avec ça. Parce que les bouddhistes occidentaux ont une tendance à
se présenter eux-mêmes comme suivant une philosophie, à se
démarquer de la religion comme s'ils avaient un peur du mot
« religion », comme si le mot ne sentait pas très bon
pour eux ; alors ils voudraient bien être une philosophie ou
quelque chose de rationnel, ou alors une religion athée. Tout ça,
c'est quand même un montage occidental, honnêtement. Tous les
éléments du religieux sont dans le bouddhisme. » « Sauf
Dieu », ajoute Adèle van Reeth
J'ai
un problème avec ce genre de conception. Je pense que tout dépend
de nous en fait : c'est notre façon personnelle d'envisager le
bouddhisme qui fait du bouddhisme une religion ou une philosophie. Si
vous vous en tenez à la Voie du Bouddha afin de vous transformer
vous-mêmes et votre rapport au monde, ce qui implique une certaine
conduite éthique, des pratiques méditatives ainsi qu'une certaine
dimension de sagesse qui implique l'étude, la réflexion et la
vision intuitive de la réalité telle qu'elle est, alors vous êtes
dans la dimension philosophique du bouddhisme. Si, par contre, vous
voyez le Bouddha comme une entité cosmique qui peut intercéder en
votre faveur si vous le priez, par exemple pour guérir d'une
maladie, pour réussir vos études ou réussir votre carrière, alors
vous êtes dans une dimension religieuse. Cette dimension religieuse
implique aussi de se relier à des lieux sacrés (temples, stoupas,
statue géante du Bouddha...), à des rites qui vous unissent à la
communauté et à tout un clergé (moines, lamas, abbés de
monastère, etc...) qui sont les garants de ce lien sacré avec le
monde mystique des Bouddhas.
Il
est donc possible que certains aient une approche purement
philosophique du bouddhisme et d'autres une approche purement
religieuse du bouddhisme. Il est aussi possible que chez beaucoup de
bouddhistes, on retrouve en réalité un mélange de ces deux
approches, avec une composante dominante qui penche soit vers la
philosophie, soit vers la religion. Moi-même, je me revendique d'une
approche philosophique du Dharma du Bouddha. Ce qui m'intéresse dans
le bouddhisme, c'est de pouvoir transformer ma vie dans un sens
positif, de gagner en sagesse et en quiétude, d'apporter du bonheur
et du bien-être autour de moi. Cela, j'essaye de le faire, non pas
en invoquant la puissance cosmique d'un Bouddha ou d'un grand lama,
mais en m'appliquant à mettre en œuvre les enseignements du
Bouddha. Je ne compte pas sur une source de transcendance extérieure
à moi-même, mais sur mes ressources de simple être humain :
ma persévérance, mon intelligence, ma capacité à me remettre en
question, mon aspiration à vouloir aider les êtres à se
débarrasser de leurs souffrances.
Philippe
Cornu, lui, est un pratiquant du bouddhisme tibétain, l'une des
formes les plus religieuses du bouddhisme. Pour lui, le bouddhisme ne
peut qu'être une religion avec la foi en ce qu'il appelle une
« transcendance dans l'immanence », notre
nature-de-Bouddha. Pour moi, cette nature-de-bouddha est un concept
métaphysique prôné par les philosophes du Grand Véhicule qui est
possible, mais qui n'est absolument pas certain non plus. La
nature-de-bouddha est en fait cette nature parfaite enfouie
profondément dans tous les êtres sensibles et qui n'attend qu'à se
réveiller et à se dévoiler pour se manifester dans le « corps
d'émanation » d'un Bouddha.
Je
me bornerai à constater que le Bouddha dans ses enseignements
originaux ne parle pas de ce principe métaphysique qu'est la
nature-de-bouddha. Le Bouddha parle plutôt de comment on peut éviter
le mal et pratiquer le bien, il nous encourage à développer
l'attention et la concentration méditative, et il montre comment
nous nous illusionnons sur le monde en ne voyant pas l'impermanence
et l'inconsistance des phénomènes. Bien sûr, il faut une confiance
dans les enseignements du Bouddha pour qu'on ait le courage
d'expérimenter par nous-mêmes ce que le Bouddha recommande, mais on
peut entièrement garder son esprit critique et vérifier par
nous-mêmes la véracité des enseignements. A l'opposé, la
méditation sur la nature-de-bouddha suppose plus qu'une simple
confiance ou une simple foi. Il faut de la dévotion pour croire à
ce principe métaphysique invérifiable puisqu'il se situe en-dehors
de la sphère des sens et il faut de la dévotion envers un maître pour ouvrir notre cœur
à cette « transcendance dans l'immanence ».
Je
ne conteste pas entièrement ce concept métaphysique de
nature-de-bouddha. Je le trouve intéressant et fécond sur le plan
de la pensée ontologique. Mais je pense qu'il faut garder la liberté
d'entretenir sa relation personnelle au bouddhisme : décider
par nous-mêmes si nous voyons le bouddhisme comme étant une
philosophie ou une religion. Ou pour être plus précis : dans
quelle proportion nous avons une approche philosophique ou
religieuse. Je défends le point de vue que le bouddhisme est surtout
une philosophie, mais une approche religieuse peut subsister en moi,
parfois de manière inconsciente. Par exemple, je n'ai pas de statue
du Bouddha chez moi et je ne désire pas en avoir, ce qui choque
certains pratiquants du bouddhisme tibétain quand je leur dis qu'une
statue du Bouddha n'est qu'une simple image du Bouddha sans pouvoir
spirituel par elle-même. Pourtant quand j'étais en Asie, j'aimais
tourner autour des grands stoupas. Pour moi, ce n'est pas essentiel à
la pratique de la Voie du Bouddha, mais ce n'est pas désagréable
non plus. Pareillement, il m'est arrivé de réciter les mantras de
Tchenrézi ou de Tara, ce qui suppose une certaine sensibilité au
sacré bouddhique, donc à la religion. Pourtant la philosophie
revenait au grand galop : je me demandais sans cesse s'il y
avait une entité mystique extérieure à moi-même qui serait Tara
ou Tchenrézi et qui existerait dans un plan transcendant ou si ces
déités ou « yidams » pour employer le terme tibétain
n'étaient que des créations de mon mental pour me faire une image
colorée de ce qu'est l'Éveil.
Tchenrézi à 4 bras, bodhisattva de la grande compassion |
Je
pense donc qu'on devrait avoir la liberté de choisir entre l'esprit
critique de la philosophie et la foi qu'insuffle la religion. Les
deux approches sont possibles et on ne devrait pas figer le Dharma du
Bouddha dans une seule approche.
Voir aussi sur le même sujet : "Le bouddhisme, philosophie, religion ou mode de vie ?"
Voir aussi "Réflexions sur Krishnamurti" à propos d'une de ses formules célèbres "La Vérité est un pays sans chemin".
J'aime votre approche.... sinon... ça fait une petit moment qu'il n'y a pas de nouveaux articles.... Tout va bien pour vous ?
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerOui, ça va. Merci de vous préoccuper de ma situation. Cela fait effectivement un certain temps que je n'ai pas publié d'article. Je suis présentement fort occupé; et en outre, je bute sur un article que je n'arrive pas à terminer. Mais je vais bientôt avoir un peu plus de temps libre ; et donc j'espère pouvoir poster des articles prochainement et consacrer plus de temps à ce blog qui est un peu en jachère pour le moment. :-)
RépondreSupprimerPlein de bonnes choses ! Sarva Mangalam.