Commentaire
au Soûtra de l'Attention au Va-et-vient de la Respiration (Ānāpānasati Sutta)
4ème
partie
2ème
groupe : l'attention à la sensation dans la sensation
« 5.
‘J’inspire et je me sens joyeux. J’expire et je me sens
joyeux’. Ainsi pratique-t-il.
6.
‘J’inspire et je me sens heureux. J’expire et je me sens
heureux’. Ainsi pratique-t-il.
7.
‘J’inspire et je suis conscient de mes formations mentales.
J’expire et je suis conscient de mes formations mentales’. Ainsi
pratique-t-il.
8.
‘J’inspire et je calme mes formations mentales. J’expire et je
calme mes formations mentales’. Ainsi pratique-t-il. »
Nous
sommes constamment traversé d'une multitude de sensations qui
peuvent être plaisantes, déplaisantes ou neutres. Notre humeur
navigue dans l'existence au gré de ces sensations et ce ressenti de
la vie. L'intérêt de la méditation bouddhique est justement de
devenir capable de prendre ses distances par rapport à ce flot de
sensations. Pour cela, il faut se montrer à chacune de nos
sensations et la reconnaître pour ce qu'elle est : une
sensation. Le Soûtra de l’Écume invite le pratiquant à
considérer les sensations comme les bulles d'eau qui apparaissent et
disparaissent au sol un jour de pluie battante et à prendre
conscience que les sensations manquent en elles-mêmes de
consistance. On peut dès lors voir notre existence traversée par
ces sensations, sans que celles-ci dirigent toute notre existence.
La
joie et le bonheur dans cette vie présente ne doit pas dépendre de
notre bonne fortune, du fait que l'on ait connu un grand nombre de
sensations positives et le moins possibles de sensations
désagréables ; mais la joie et le bonheur peuvent en grande
partie procéder de notre richesse intérieure, de notre force
créative à produire quelque chose de beau dans la vie. C'est
pourquoi la cinquième et sixième méthode s'applique précisément
à induire la joie et le bonheur dans le flot de nos sensations,
qu'elles que soient ces sensations.
« J'inspire
et je me sens joyeux. J'expire et je me sens joyeux.
J'inspire
et je me sens heureux. J'expire et je me sens heureux ».
La
joie et le bonheur ne sont pas ici des choses qu'il faudrait créer
avec telle ou telle technique ; c'est une expérience qui peut
naître spontanément en nous, une nouvelle façon de regarder les
choses. Traditionnellement, l'image que l'on donne dans le bouddhisme
pour expliquer la joie et le bonheur est celle d'un homme fourbu et
épuisé, perdu au milieu du désert. Soudain il aperçoit une oasis
au loin. Son corps fait des bonds, il a envie de sauter de joie.
Chaque pas qu'il accomplit vers cette destination de salut l'emplit
d'un enthousiasme grandissant. C'est cela la joie. Et quand il arrive
effectivement dans l'oasis, c'est le bonheur. La joie naît de la
perspective que nous avons dans le Dharma d'être en mesure de
changer les choses et trouver un remède au problème universel de la
douleur. Le Bouddha a proclamé l'existence du Nirvâna, et cette
perspective peut nous combler de joie. Faire des progrès dans le
Dharma, apaiser notre esprit, éprouver la béatitude, connaître une
élévation, tout cela est le bonheur. Et évidemment atteindre le
Nirvâna est pour n'importe quel pratiquant le plus grand des
bonheurs qu'il peut réaliser.
Donc
la joie et le bonheur peuvent naître, non pas des perspectives
rayonnantes d'avenir et des événements agréables de notre vie
comme le gain, la victoire, la réussite, la gloire, l'argent, les
possessions, etc..., mais de la conscience que la pratique du Dharma
va libérer nous-même et autrui, que l’Éveil est devant nous.
Chaque fois que nous pratiquons le Dharma, par exemple quand nous
pratiquons l'attention au va-et-vient de la respiration, nous pouvons
sentir la joie de nous rapprocher de la béatitude des bouddhas, nous
pouvons éprouver la paix qu'apporte la méditation et nous sentir
heureux.
On
peut se sentir joyeux devant nos qualités et nous pouvons aussi nous
sentir joyeux devant les qualités des autres : nous abandonnons
toute jalousie à leur encontre. Que chacun puisse voir ses qualités
s'épanouir et cela contribuera à améliorer le monde. On peut se
sentir heureux de cultiver l'amour bienveillant, la compassion, la
joie et l'équanimité envers tous les êtres sensibles car tous les
êtres sensibles existent en interdépendance. Le bonheur se propage
d'une personne à l'autre.
Morgan Maassen, Adrif in the sea |
Cette
joie et ce bonheur sont un moteur puissant dans la méditation. Ils
nous libèrent de l'emprise des sensations et des émotions
perturbatrices comme la colère, l'orgueil, l'avidité, la jalousie,
l'attachement et la confusion. La joie et le bonheur nous propulse en
avant dans les absorptions méditatives, les jhānas.
En cultivant la joie et le bonheur au travers de notre expérience
intérieure de la méditation et de la vie spirituelle, nous
apprenons à aller au-delà des hauts et des bas de notre existence
mondaine ; nous apprenons à transcender le flot des sensations,
qu'elles soient bonnes, neutres ou mauvaises et nous apprenons à ne
plus en être dépendants. Une richesse intérieure se fait jour en
nous qui nous donne encore plus envie d'approfondir cette expérience
intérieure et d'entrer de plein pied dans les états d'absorption
méditative.
Cela
arrive quand le méditant arrive à se détacher des six sphères
sensorielles, c'est-à-dire les cinq sphères sensorielles physiques
(la vue, l'audition, l'odorat, le goût et le toucher) ainsi que la
sphère mentale qui, dans l'analyse bouddhique, est considérée
aussi comme une sphère sensorielle. Cette sphère mentale est le
domaine de perception des idées, des pensées, des émotions, des
images mentales, des souvenirs, de l'imagination. Et tant que nous
restons sous l'emprise de ces pensées et ces mouvements de l'esprit
tout comme nous sommes obnubilés par les apparences physiques, nous
restons comme hypnotisés par ce monde et nous ne pouvons entrer dans
les jhānas.
Il faut avoir parcouru beaucoup de chemin en soi-même et s'être
débarrassé de cinq empêchements qui barre la route à l'absorption
méditative : l'attachement, l'aversion, la torpeur/paresse,
l'agitation/tension et la doute.
Comme
l'explique le Bouddha : « Lorsqu'il
considère ces cinq entraves dont il s'est libéré lui-même, naît
en lui une joie immense, lorsqu'il est joyeux, se produit chez lui
une allégresse ; chez lui dont l'esprit est allégé, corps et
mental se calment ; lui dont le corps et mental est calmé
éprouve alors le bonheur ; chez lui qui est dans le bonheur,
l'esprit peut être bien bien concentré. Alors, s'étant séparé du
désir, s'étant séparé des pensées inefficaces, il entre dans le
premier jhāna
pourvu de raisonnement et de réflexion, qui est joie et bonheur, né
de la séparation des choses mauvaises ; il n'est aucun point de
son corps qui ne soit touché par le bonheur accompagné de joie, né
de la séparation des choses mauvaises.
C'est
tout comme un préposé au bain qui verse de la poudre pour le bain
dans une bassine, la brasse avec l'eau en arrosant sans cesse, de
telle sorte que la pâte à bain soit traversée d'humidité, emplie
d'humidité au dedans et au dehors, sans toutefois dégoutter. De
même, le moine inonde complètement, remplit complètement, comble
son corps de ce bonheur accompagné de joie, né de la séparation
des choses mauvaises ; il n'est aucun point de son corps qui ne
soit touché par le bonheur accompagné de joie, né de la séparation
des choses mauvaises1 ».
Dans
le premier jhāna,
le corps entier est inondé de cette joie et de ce bonheur. La joie
et le bonheur aide à focaliser l'attention et faire avancer l'esprit
vers des rivages inconnus. Tout notre être est imprégné de cette
nouvelle sensation qui ne dépend pas des sensations physiques et qui
diffère grandement des sensations mentales que l'on a pu éprouver
jusqu'ici. Certes, comme le dit le Bouddha, ce premier jhāna
est encore « pourvu de
raisonnement et de réflexion ».
Au niveau mental, il y a encore une familiarité dans les schémas de
pensées ; mais sur le plan émotionnel, le changement est tout
à fait notable : la joie ne connaît plus la fébrilité qui
nous pousse à bondir dans tous les sens, le bonheur n'est plus un
bonheur personnel et égoïste, mais quelque chose de beaucoup plus
vaste : un océan de sérénité.
Plus
le méditant progresse dans cette absorption méditative, moins il a
besoin de la joie. Pour reprendre la métaphore de l'oasis, notre
homme a déjà quitté ce désert qu'est notre monde des sens, il est
dans l'oasis de jhāna.
Il n'a donc plus à connaître la joie à l'idée d'atteindre cet
état supérieur méditatif : dès lors, la joie l'abandonne
doucement pour qu'il ne reste pas plus que le bonheur : « Ce
moine, ayant mis au raisonnement et à la réflexion, entre et
demeure dans le deuxième jhāna
qui est apaisement intérieur, unification de la pensée, qui est
dépourvu de raisonnement et de réflexion, né de la concentration
et qui consiste en bonheur. Il inonde alors, il inonde complètement,
remplit complètement, comble son corps de ce bonheur libre de joie,
il n'est aucun point de son corps qui ne soit touché par ce bonheur
libre de joie.
C'est
comme un étang où l'eau jaillirait sans qu'il y ait d'accès de
sortie, l'eau venant de l'est, l'eau venant du sud, l'eau venant de
l'ouest, l'eau venant du nord sans qu'il y ait d'accès de sortie de
l'eau, ou l'eau venant de temps en temps du nuage au-dessus qui donne
une pluie importante. Cette eau inonderait cet étang, elle
l'inonderait complètement, le remplirait complètement, le
comblerait et il n'y aurait aucun point de cet étang qui ne serait
touché par l'eau rafraîchissante. De même, ce moine inonde, inonde
complètement, remplit complètement, comble son corps de ce bonheur
libre de joie, il n'est aucun point de son corps qui ne soit touché
par ce bonheur libre de joie ».
Ce
deuxième jhāna
est un pas de plus dans l'ici et maintenant. On n'est focalisé sur
le présent parce qu'on est heureux d'y être. On ne réfléchit plus
sur ce que sera le futur et on ne conçoit à l'idée d'un avenir
meilleur ou d'un progrès spirituel : la joie laisse donc toute
la place au bonheur. Au niveau mental, la différence est beaucoup
plus saisissante avec ce à quoi on peut être accoutumé : le
raisonnement et la réflexion ont eux aussi disparu. Tous ces
processus mentaux s'effacent dans l'apaisement intérieur et
l'unification de la pensée. Cet absorption méditative inonde elle
aussi complètement notre être.
Et
plus l'esprit s'apaise et plus il se concentre, plus il devient
équanime et attentif. Le bonheur cesse d'être un objectif ou
quelque chose à atteindre. Il entre alors dans le troisième jhāna :
« Le moine, se détournant du
bonheur, vit dans l'équanimité, conscient et vigilant, ressent dans
son corps le bonheur pur, de sorte que les Êtres Nobles l'appellent
« celui qui, équanime et attentif, demeure heureux », il
entre et demeure dans le troisième jhāna.
Il inonde alors, il inonde complètement, remplit complètement,
comble son corps de ce bonheur libre de joie, il n'est aucun point de
son corps qui ne soit touché par ce bonheur libre de joie.
C'est
tout comme, dans un étang de lotus bleus, rouges ou blancs où ces
fleurs de lotus bleus, blancs ou rouges, qui sont nés dans l'eau,
ayant crû dans l'eau, resteraient dans cette eau, mais tous
prospèrent dans cette eau où elles sont plongées, et tous depuis
les racines jusqu'à leur sommet, sont inondées d'eau
rafraîchissante, inondées complètement, remplies complètement, et
il n'est aucunes de ces fleurs de lotus bleus, blancs ou rouges qui
ne soient touchées par l'eau rafraîchissante.De même, ce moine
inonde alors, il inonde complètement, remplit complètement, comble
son corps de ce bonheur libre de joie, il n'est aucun point de son
corps qui ne soit touché par ce bonheur libre de joie ».
Dans
ce troisième jhāna, le bonheur n'est plus lié à ce qu'on peut
éprouver, mais au fait même de demeurer dans l'équanimité et la
vigilance, c'est-à-dire dans la fait d'éprouver les choses de
manière égale qu'elles soient bonnes ou mauvaises et de demeurer
dans la conscience la plus vive de ce processus qui nous pousse à
éprouver les choses. Enfin, au quatrième jhāna, ce mouvement
s'amplifie et vient à son terme : le pratiquant abandonne le
bonheur à son tour : « En outre, s'étant débarrassé
du bonheur et s'étant débarrassé de la peine, ayant supprimé la
joie et la tristesse antérieures, le bhikkhu entre et demeure dans
le quatrième jhāna où ne sont ni plaisir, ni
douleur, mais qui est pureté parfaite d'attention et d'équanimité.
Il est là, assis, imprégnant son corps d'une pensée toute
pure,toute nettoyée.
C'est
tout comme un homme est assis avec un tissu blanc le couvrant jusqu'à
la tête, de sorte qu'aucun point de son corps ne soit touché par le
tissu blanc. De même, le moine est là, assis, imprégnant son corps
d'une pensée toute pure,toute nettoyée ; il n'est aucun point
de son corps qui ne soit touché par cette pensée toute pure, toute
nettoyée ».
Le
bonheur est à son tour abandonné tout comme la joie l'a été avant
lui. Le bonheur à ce stade n'a plus de raison d'être. Les dualités
joie/tristesse, bonheur/malheur ont été transcendées et dépassées
dans la pure attention et la pure équanimité. Ayant atteint le
quatrième jhāna, on se sent dans une paix telle que l'on en
ressent plus le besoin de se sentir heureux. C'est certainement
quelque chose de très éloigné de notre expérience : le
bonheur semble être un horizon indépassable de notre existence.
En
fait, on pourrait comparer le méditant qui pratique la méthode de
l'attention au va-et-vient de la respiration à un randonneur qui se
promène en montagne. Notre existence de hauts et de bas, de moments
de bonheurs et de plaisirs et d'autres moments plus désagréables de
malheurs et de déplaisirs. À
l'état ordinaire, on préfère être au sommet de la montagne. Quand
on y est, on jouit de l'existence. Quand on n'y est pas, on aspire à
se hisser jusqu'au moment. On se prend à rêver : « Ah si
j'étais riche / beau / puissant / victorieux / intelligent, j'aurais
telle et telle chose, telle ou telle situation et je serai HEUREUX ».
Le méditant, lui, est comme un randonneur : sa joie et son
bonheur n'est pas de rester au sommet de la colline ou de la
montagne ; non, sa joie et son bonheur réside précisément
dans la randonnée, monter et descendre, aller par monts et par
vaux . Bien sûr, le randonneur reste toujours sensible au
panorama somptueux qu'offre le sommet de la montagne, mais il
s'attache beaucoup moins à ce sommet qu'un être ordinaire qui est
beaucoup plus statique dans l'existence.
Une
fois que l'on rentre dans les jhānas, il se passe un phénomène
prodigieux qui dépasse notre entendement : le randonneur
commence à s'effacer et à disparaître ; tout doucement, il
s'évanouit dans les airs au fur et à mesure de sa progression dans
les jhānas. Sa marche qui était joie et bonheur s'évanouit avec
lui sans que ce soit un drame. Au contraire, cet « évanouissement »
permet à la conscience de s'élever vers des sphères encore plus
illimitées et infinies.
*****
L'important
ici dans cette question de la joie et du bonheur dans la pratique de
l'attention n'est pas tellement les jhānas, car le Soûtra de
l'Attention au Va-et-vient de la Respiration ne les mentionne pas.
Thich Nhat Hanh, dans son ouvrage « La respiration
essentielle » va jusqu'à dire que si l'Ānāpānasati
Sutta ne mentionne pas les jhānas,
c'est que ceux-ci sont un ajout postérieur lourdement influencé par
la pensée brahmanique environnante. Je trouve ce point de vue assez
extrémiste, car les jhānas
sont mentionnés dans d'autres soûtras du canon pâli à de
nombreuses reprises. Là où je suis néanmoins d'accord avec Thich
Nhat Hanh, c'est pour reconnaître l'importance de l'attention à
l'instant présent dans notre condition actuelle. Nous ne sommes
peut-être pas des bouddhas présentement, mais nous pouvons être
présent dans l'instant présent, être attentif à notre souffle et
commencer à apaiser notre esprit. C'est dans cet instant présent
que l'on peut faire l'expérience d'une joie nouvelle et d'un bonheur
nouveau qui soit comme un renouveau face à nos moments de déprime,
de dépression, de désespoir ou de malheur. C'est vraiment quelque
chose de très rafraîchissant de savoir que l'on n'est pas l'esclave
de nos sensations, que l'on peut faire naître une joie et un bonheur
qui transcendent ces sensations et nos perceptions de la vie
courante.
Si
j'ai mentionné ici les jhānas,
c'est précisément pour faire comprendre la logique et la dynamique
du déploiement de cette joie et de ce bonheur qui naissent dans la
méditation de l'attention au moment présent. Cette joie et ce
bonheur sont une randonnée vers des domaines vastes et splendides et
nous ouvrent vers ce que Freud appelait un « sentiment
océanique ». Il me semblait donc intéressait de prendre un
peu de temps pour décrire les jhānas
pour ressortir le caractère crucial et « transcendant »
de cette joie et de ce bonheur.
*****
Passons
maintenant aux exercices 7 et 8 proposés par le Bouddha dans le
« Soûtra de
l'Attention au Va-et-vient de la Respiration ».
« J'inspire
et je suis conscient des formations mentales. J'expire et je suis
conscient des formations mentales.
J'inspire
et j'apaise les formations mentales. J'expire et j'apaise les
formations mentales. »
L'expression
« formation mentale » (en sanskrit : « saṃskāra »,
en pâli : « sankhāra ») fait référence au
quatrième agrégat dans la série des cinq agrégats de l'analyse
psychologique bouddhique : forme, sensation, perception,
formation mentale, conscience. Pour faire bref :
- dans la forme, il y a la rencontre de trois éléments : une conscience sensorielle, un objet à percevoir et un organe sensoriel (comme l’œil, une oreille, un nez, etc.). S'il manque un des trois éléments, le processus de l'expérience ne peut pas s'enclencher).
- dans la sensation, on éprouve cette forme de manière plaisante, neutre ou déplaisante.
- dans la perception, l'objet est reconnu pour ce qu'il est et rangé dans l'une ou l'autre catégorie de mon mental. Si je vois un arbre, c'est à ce stade que je sais que je suis devant un arbre
- dans la formation mentale, on réagit par rapport à la sensation et en fonction de la perception. Si je vois un tigre en liberté devant moi, la sensation déplaisante que risque de susciter ma vision du tigre va très probablement engendrer une réaction de peur en moi.
- Et enfin dans la conscience, cette expérience est enregistrée et intégrée dans le flux de conscience qui traverse tout être sensible.
Le
lien entre sensation et formation mentale est très fort. Il est
inscrit au plus profond de notre animalité. Si nous plongeons nos
mains dans un eau très chaude, la sensation de brûlure qui va
s'ensuivre va nous pousser à retirer illico les mains de l'eau.
Souvent, cette réaction se passe tellement vite que nous avons du
mal à la contrôler. C'est pourquoi beaucoup de gens sont impulsifs
et ont des réactions disproportionnées dans les situations de la
vie courante. Tout au long de notre éducation qui a commencé dès
notre plus jeune âge jusqu'à la fin de notre adolescence, on nous a
inculqué de ne pas laisser libre cours à nos réactions impulsives,
par exemple hurler et pleurer à la moindre contrariété comme peut
le faire un bébé par exemple. Néanmoins, même si on a appris à
maîtriser ces réactions, elles sont encore présentes en nous sous
forme d'impulsions, de frustrations ou de stress, et ces impulsions
continuent à agir en nous et affecter notre vie. Le Bouddha nous
demande donc de prendre conscience de ces formations mentales en tant
que réaction directe à nos sensations. « J'inspire
et je suis conscient des formations mentales. J'expire et je suis
conscient des formations mentales. »
Il
est important de voir comment nous réagissons aux événements de
manière consciente, mais aussi de manière inconsciente. Parfois
nous ne remarquons même pas nos réactions de stress à tel ou tel
stimulus, nous ne remarquons pas non plus des désirs inconscients
qui nous pousse dans telle ou telle direction. La publicité qui
tente sans relâche de nous influencer nos désirs pour nous pousser
à consommer est un bon exemple de ces impulsions dont nous ne sommes
pas nécessairement conscients. Un autre exemple est celui d'un
alcoolique qui, suite au grand déplaisir suscité par ses déboires
en état d'ivresse ou par une gueule de bois carabinée, jure de ne
plus jamais boire un verre d'alcool et qui, insensiblement, est
toujours ramené à boire de l'alcool. C'est un domaine fondamental
où il faut cultiver une attention soutenue pour mieux se comprendre
et se connaître soi-même.
Ensuite
l'exercice suivant consiste à apaiser ses formations mentales en
nous, les laisser se relâcher d'elles-mêmes. « J'inspire
et j'apaise les formations mentales. J'expire et j'apaise les
formations mentales. »
Certaines de nos réactions suivent toujours le même schéma. Par
exemple, on insulte. A l'écoute de ces paroles malveillantes qui
cherchent à nous rabaisser, se produisent des sensations de
déplaisir. Les personnes agressives auront tendance à réagir par
des noms d'oiseaux, des menaces ou carrément des coups, ce qui va
inévitablement mené à intensifier le climat d'agressivité qui
règne déjà et susciter d'autres « formations mentales »
d'agressivité ou de violence dans le chef des autres protagonistes.
Mais une personne agressive n'est agressive que parce qu'elle a
souvent réagi dans le passé à l'agressivité par l'agressivité.
Cette personne agressive pourrait ainsi apaiser les pensées de
colère et d'énervement quand elle est en méditation et qu'elle
repense à la situation où elle a été insultée. La méditation
est un lieu par excellence où commencer à apaiser ses formations
mentales pour ensuite parvenir à les apaiser dans la vie courante.
Ces
exercices 7 et 8 ont donc trait aux formations en ce que celles-ci
sont des réactions épidermiques aux sensations. De manière plus
générale, ces deux exercices sont là pour commencer à
s'affranchir de la chaîne de causalité du karma. Le karma est un
terme sanskrit qui signifie « acte, action » et qui, dans
le contexte bouddhique, véhicule l'idée que chaque acte engendre
une suite de conséquences, et ces conséquences deviennent
elles-mêmes des actes qui vont impliquer des conséquences. Cette
série de conséquences finit tôt ou tard par nous revenir en pleine
figure. S'affranchir du karma veut dire d'une part comprendre les
mécanismes qui nous conditionnent à agir de telle ou telle sorte et
d'autre part transformer ces réactions en actes qui vont apporter
beaucoup de bien-être pour autrui et soi-même. Il s'agit de ne plus
être le jouet ou le pantin de ses émotions et de son ressenti, mais
d'agir en homme libre, conscient de ses actes.
Lire la suite de ce commentaire : 5ème partie 6ème partie
Lire la suite de ce commentaire : 5ème partie 6ème partie
Lire dans son intégralité l'Ānāpānasati Sutta, le Soûtra de l'Attention au Va-et-vient de la Respiration
1On
trouve cette formulation notamment dans le Sāmaññaphala
Sutta,
le Soûtra des Fruits de la Vie de Renonçant qui
se trouve dans le Digha
Nikāya (voir
Digha
Nikāya,
traduction de Môhan Wijayaratna, édition LIS, Paris, 2007, pp.
99-100), mais aussi dans nombre d'autres soûtras du canon
bouddhique pâli.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Très enrichissant merci, c'est bien qu'il y ait des personnes comme toi...
RépondreSupprimerMerci ! Je sens que je vais rougir... :-)
RépondreSupprimer:) :) :) :)
RépondreSupprimerVedana est traduit par feeling tone en anglais. Ce n'est pas vraiment une sensat3. Mais plutôt un goût/ une couleur que l'esprit donne à l'expérience
RépondreSupprimerSi, c'est une sensation. Si j'en crois Wikipedia : "Vedanā (pali ; sanskrit) est le plus souvent traduit par sensation, mais le concept bouddhique que ce mot recouvre ne correspond pas nécessairement à la compréhension occidentale de ce qu'est une sensation. C'est le second des cinq groupes d'existence (khandha)". Et le Wikipedia anglais : "Vedanā (Pāli; Sanskrit) is a Buddhist term traditionally translated as either 'feeling' or 'sensation'. In general, vedanā refers to the pleasant, unpleasant and neutral sensations that occur when our internal sense organs come into contact with external sense objects and the associated consciousness".
RépondreSupprimerLe "Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme" (éd. du Seuil) traduit aussi le terme par "sensation" et en donne la définition suivante : "Le second des agrégats, que l'on définit comme 'caractérisé par l'expérience ou impression sensible. L'expérience, ou ce qui est éprouvé, est le résultat des actions bonnes ou mauvaises". (Les autres textes vont en général dans ce sens).
Définir "vedanā" comme "un goût/ une couleur que l'esprit donne à l'expérience" me semble trop tirer vers la conception de l'école idéaliste Cittamātra où l'esprit est un "roi qui crée tout" dans le domaine de l'expérience. Si je me mets ma main dans le feu (agrégat de la forme dans la sphère du toucher), je vais avoir une sensation désagréable de brûlure. C'est quelque chose de très instinctif. On peut défendre l'idée que c'est l'esprit qui a coloré l'expérience avec cette brûlure, mais la question est : est-ce que l'esprit peut sérieusement faire autre chose qu'éprouver la sensation douloureuse de brûlure ? Il me semble qu'au stade de vedanā, il y a là quelque chose de passif, de subit. On ne peut pas faire autrement qu'éprouver la sensation de brûlure (sauf si vous êtes un fakir peut-être).
C'est parce que vous limitez votre raisonnement à la sensation (et là c'est le terme correct) physique. Mais même dans ce cas là, Bouddha à parlé du concept de seconde flèche (second arrow) que l'on se tire à soi-même. Ainsi, si j'ai mal, la première flèche est le mal physique (pain). Mais à ce feeling tone de type unpleasant, mon esprit ca se contracter, en cherchant la raison, le coupable, etc... Le feeling tone (second a gros) est donc bien créé par l'esprit.
RépondreSupprimerIdem pour une perception de type pensée; en repensant à un voyage réussi le feeling tone de cette pensée créé par l'esprit est pleasant. Si ensuite je réalise qu'à la fin du voyage, nous avons eu un accident, ce souvenir aura un feeling tone unpleasant, toujours créé par l'esprit (sur base de mon vécu/ expériences/ croyances, etc...). Il est important de déceler les feeling tones de nos expériences car ce sont eux qui sont à la base de notre souffrance (greed/aversion).
Salutations :)
L'objet n'a donc en lui-même aucun feeling tone. Il est créé par notre esprit.
RépondreSupprimerJe n'ai jamais dit que la sensation était seulement physique; elle peut tout aussi bien être mentale. Certains mathématiciens s'émerveillent du théorème de Pythagore tandis que des millions d'élèves ont toutes sortes de sensations désagréables en se cassant la tête pour le comprendre.
RépondreSupprimerCe que vous appelez "feeling tone" est plus à mes yeux un commentaire mental de l'expérience et une coloration par le mental de l'expérience. C'est une façon que le mental a de se représenter tout ce qui se passe dans nos vies. Cette représentation du mental vient bien après la sensation elle-même.
Tout le propos de mon article était justement de dire que l'on peut cultiver la joie et le bonheur indépendamment de nos sensations vécues. Dans la méditation, je peux éprouver une joie et un bonheur qui n'est pas tributaire des sensations plaisantes physiques ou mentales que j'expérimente. Par exemple, je peux être malade et voir ma copine me quitter, et cultiver malgré tout la joie et le bonheur dans la méditation. C'est là, je pense, une expérience importante de liberté.
Merci pour votre commentaire.
RépondreSupprimerC'est précisément ce Vedana que la lignée Theravada a tenté de traduire en anglais par feeling tone.
Thème qui est adressé dans la second foundation of mindfulness.
Salutations