La Vingtaine
Vimśatika
Vasubandhu
Hommage
à Mañjushrîkumârabhûta !
1.
Toutes choses sont seulement perception,
Elles
n'ont pas d'existence réelle, mais sont perçues en tant qu'objets.
Comme
l'illustre les malades atteints d'ophtalmie qui voient des cheveux ou
une lune là où il n'y a rien,
Aucun
objet n'a d'existence réelle.
2.
(Objection) – Mais si la perception n'a pas d'objet
extérieur,
Il
ne saurait y avoir de lieux et de moments déterminés,
Il
serait de même illogique que plusieurs esprits [perçoivent le même
objet],
Et
nul objet n'assumerait sa fonction !
3.
(Réponse) – La détermination de l'espace [et du temps]
Est
établie comme elle l'est dans les rêves.
Et
la pluralité même des esprits [qui perçoivent] est semblable à
celle des pretas1
Qui
voient tous la rivière comme une rivière de pus.
4.
Les fonctions accomplies sont à l'exemple des pollutions nocturnes.
Toutes
[ces caractéristiques] sont à l'exemple des damnés
Qui
voient, entre autres, des gardiens infernaux
Et
sont de ce fait tourmentés par eux.
5.
Il n'est pas possible que dans les enfers
Des
animaux surgissent comme cela arrive dans les cieux,
Ni
non plus des pretas,
Car
ils n'éprouvent pas les souffrances qui s'y manifestent.
6.
Si l'on admet que tout surgit
Et
se transforme à cause du karma,
Pourquoi
ne pas admettre
Qu'il
s'agisse là [de transformations] de la conscience ?
7.
On s'imagine qu'aux empreintes karmiques
Correspondent
des effets qui se déroulent ailleurs [que dans la conscience],
Parce
qu'on n'admet pas que ces effets se manifestent
Là
même où se trouvent les empreintes.
8.
Car c'est à l'intention de ses disciples
Car
[le Bienheureux] a parlé
De
l'existence des sources [externes] comme les formes,
De
même [qu'il a parlé] des êtres manifestés miraculeusement.
9.
Du fait qu'elles proviennent de leurs propres semences,
Toutes
les apparences sont produites en tant que perceptions,
De
cela, le Sage a parlé sous l'espèce de deux catégories
De
source.
10.
Quel avantage avait-il à enseigner dans cette intention ?
Celui
d'enseigner les êtres individuels à l'irréalité de leur soi.
En
outre, il s'agit d'une initiation à l'irréalité du soi des
phénomènes,
C'est-à-dire
le soi fictif.
11.
Il ne s'agit ni d'une entité unique
Ni
[d'objets] multiples comme des atomes subtils
Ni
d'un assemblage [d'atomes],
Car
rien ne prouve [l'existence réelle] des atomes.
12.
Lorsque six particules s'agrègent à un atome,
Ces
atomes se trouvent doté de six parties.
Que
ces six parties occupent un seul lieu,
Et
leur conglomérat ne formera plus qu'un seul atome.
13.
S'il n'y a pas de agrégation des atomes,
Comment
se peut-il qu'ils se regroupent ?
Puisqu'ils
n'ont pas de parties,
Il
n'est pas établi qu'ils s'agrègent.
14.
Il ne convient pas d'accorder de caractère unitaire
A
ce qui est pourvu de parties directionnelles.
Comment
pourrait-il y avoir ombre et occultation ?
Si
les conglomérats ne sont pas autre chose [que les atomes], cela est
impossible !
15.
S'il s'agit d'une entité simple, aucun mouvement progressif n'y est
possible ;
Il
ne pourra y avoir préhension et non-appréhension simultanées.
Il
ne pourra y avoir ni fragmentations, ni spécifications,
Il
n'y aura rien de subtil qui ne soit visible à l’œil nu.
16.
L'entendement qui opère directement opère comme dans un rêve,
Car
au moment où la perception se produit,
Votre
objet n'est déjà plus présent.
Comment
dès lors admettre une perception directe.
17.
Il a déjà été expliqué dans l'exemple donné plus haut que
l'apparence d'objet est une perception.
Quant
à la mémoire, elle n'a pas d'autre origine.
À
moins de s'être réveillé, on ne réalisera pas
Que
ce qui est perçu dans un rêves n'est pas un objet réel.
18.
Par l'influence qu'elles exercent les unes sur les autres,
Les
cognitions se vérifient mutuellement.
C'est
parce que l'esprit est oppressé par le sommeil
Que
le fruit du rêve n'est pas équivalent [à celui d'un acte commis en
état de veille].
19.
La mort peut être une altération particulière
Découlant
d'une perception d'autrui, à l'exemple
Du
pouvoir mental de certains démons
Qui
peut causer la perte de mémoire d'autrui.
20.
C'est ainsi qu'à cause de la colère des Voyants,
La
forêt de Dandaka se vida.
Comment,
sinon, prouver
La
grande nocivité des méfaits psychiques ?
21.
Ceux qui connaissent l'esprit d'autrui
Ne
le connaissent pas en tant qu'objet,
Mais
à la manière dont on connaît son propre esprit
Dans
le domaine d'activité des bouddhas. Cette connaissance n'est donc
pas ordinaire
22.
Cet établissement de la « perception seulement »,
Je
l'ai composé selon la propre capacité,
Bien
qu'en sa totalité il dépasse toute pensée,
Car
il appartient au domaine d'activités des bouddhas.
Castellaras - Un jour, une photo - 2015 |
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Colophon
Les
abbés indiens Jinamitra, Shilendrabodhi et Danashila, et le grand
moine traducteur et correcteur Yéshé Dé ont traduit ce texte [en
tibétain] et en ont établi le sens définitif.
Traduit
du tibétain par Philippe Cornu dans : Vasubandhu, « Cinq
traités sur l'esprit seulement », Fayard / Trésors du
bouddhisme, 2008, pp. 157-160.
Le
texte de la Vingtaine est accompagné par la traduction de son
auto-commentaire par Vasubandhu. On s'y reportera avantageusement
pour une étude plus poussée de ce texte. Malheureusement, la
collection « Trésors du bouddhisme » n'étant
plus publiée, il sera peut-être difficile de trouver l'ouvrage en
question. C'est dommage car c'était une collection extrêmement
intéressante.
1 Un
preta est un esprit affamé, un esprit dominé par l'avidité et un
sentiment cuisant de manque et de pauvreté. C'est une des six
sortes de renaissance possible dans la cosmologie bouddhique.
L'iconographie représente les pretas avec un cou très long, un
ventre immense, mais une toute petite bouche. Ils ont donc
perpétuellement faim, mais assouvir leur faim leur extrêmement
pénible.
Un jour, une photo - 2015 |
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