Ce
8 février 2016, nous entrons dans une nouvelle année selon les
calendriers chinois, tibétain, mongol et vietnamien. Ce sera l'année
du Singe de Feu. D'ors et déjà, je souhaite à tous et à toutes un
très bon Singe de Feu. Pour les Chinois et les peuples de l'Asie,
ces années avec pour nom un animal et un élément ont une énorme
signification. J'avoue ne pas être très versé en astrologie
chinoise, même si je pense qu'il est plus poétique d'appeler les
années par des noms d'animaux auxquelles on adjoint un des cinq
éléments, eau, terre, feu, air et bois, que d'étiqueter les années
par des nombres qui augmentent de un à chaque rotation de la Terre
autour du Soleil, en commençant par un repère censé marquer un
événement fondateur de notre civilisation, à savoir la naissance
de Jésus Christ. Je dis bien « censé » puisque les
historiens modernes s'accordent à penser aujourd'hui que les érudits
de l'Antiquité se sont trompés de quatre ou cinq ans quand ils ont
daté la naissance de Jésus en l'an 0. Jésus serait donc en – 4
ou -5 de lui-même.
Au
fond, les Chinois expriment leur conception du monde en nommant les
années par un animal associé à un élément. L'animal symbolise un
esprit, une énergie qui s'incarne dans un élément. Dans la pensée
chinoise, l'univers n'est fondamentalement qu'énergie, « qi »
en chinois : 氣.
Selon les érudits, ce caractère 氣
fait conceptuellement référence
à la cuisson du riz (mi en chinois, 米)
qui produirait de la vapeur 气,
cette vapeur ayant la propriété de créer du mouvement comme le
couvercle d'une marmite soulevée par sa puissance. L'énergie ou
souffle du qi 氣 a
la particularité d'opérer et de circuler dans l'univers selon un
rythme binaire : tout comme nous respirons par inspiration et
expiration, le qi se condense et se dissout en permanence dans
chaque recoin du monde. Tantôt le qi se condense tellement
qu'il en devient matière : air, feu, eau, bois et même terre
quand sa condensation atteint son paroxysme ; tantôt il se
dissout et se résorbe dans sa nature purement énergétique. Sur un
plan ontologique, tout l'univers n'est que l'ensemble des
transformations de cette énergie du qi 氣 :
les textes parlent ainsi des « dix mille mutations » du
Souffle Originel (yuanqi 元氣).
Toutes choses dans le monde est un aspect de ce qi dans un
état plus ou moins avancé de condensation. Les êtres vivants
n'échappent pas à la règle. Tchouang-Tseu disait d'ailleurs :
« L'homme doit la vie à une condensation de qi. Tant qu'il
se condense, c'est la vie ; mais dès qu'il se disperse, c'est
la mort ».
Ce
souffle originel suit donc deux dynamiques contraires, mais en même
complémentaires et imbriquées l'une dans l'autre. C'est le Yin
et le Yang. Les caractères chinois Yin 陰
et Yang 陽
portent tous les deux la clef du
chemin de crête. Tous deux font à l'origine aux deux faces d'une
montagne, l'adret est le Yang 陽,
le côté ensoleillé de la montagne, tournée vers le sud tandis le
Yin fait référence à l'ubac, la pente qui reste ombragée car
tournée vers le nord. Dans le caractère Yang, on trouve le
caractère qui désigne le soleil, ri日 ;
et dans le caractère Ying yun 云,
les nuages brumeux qui obscurcissent la clarté au fond d'une vallée.
Les graphies simplifiées 阴
et 阳sont
encore plus explicites puisqu'elles font directement référence à
la lune 月pour
le Yin et le soleil 日 pour
le Yang. Au départ, Yin et Yang désignent tous les phénomènes
opposés, mais indissociables que l'on peut observer dans la Nature :
jour et nuit, été et hiver, chaud et froid, homme et femme,
mouvement et repos, esprit et matière. Dans la pensée chinoise, les
opposés ne s'excluent pas, mais s'organisent dans une dualité
dynamique où le Yin peut devenir Yang et vice-versa.
Yin
et Yang sont le rythme fondamental de l'univers qui conditionne
toutes choses. Lao-Tseu a exprimé cette idée de l'engendrement de
l'univers qui passe par la dualité complémentaire du Yin et du Yang
dans un passage célèbre du Livre de la Voie et de la Vertu :
« La
Voie engendre l'Un,
L'Un
le Deux,
Le
Deux, le Trois,
Le
Trois les dix milles êtres ».
De
ce qi 氣 qui
se manifeste à travers la dualité dynamique du Yin 陰
et du Yang 陽
vont naître les cinq éléments :
terre, eau, feu, bois et métal que l'on retrouve dans le calendrier
chinois. Un mot sur la traduction : je traduis wuxing 无行par
« cinq éléments », traduction habituelle certes, mais
trompeuse. Wu 无veut
dire cinq, mais il est problématique de rendre xing 行par
« élément », car xing signifie à la base marcher,
aller, agir. Dans notre creuset culture, terre, eau, feu, bois et
métal évoquent des éléments, et il semble donc naturel de rendre
xing 行 par
« élément », mais il faut bien comprendre que dans la
vision chinoise, ces éléments n'ont pas un caractère statique,
immuable. La pensée chinoise n'a pas cherché à décomposer le réel
en éléments de base, en particules, en atomes qui seraient les
composants ultimes et immuables du réel. Il faudrait plutôt
traduire wuxing 无行par
« cinq agents » ou « cinq processus ». La
pensée chinoise est aux aguets de tous les processus de mutations et
de transformations qui prennent place dans le cours du temps :
les saisons illustrent ainsi fort bien la danse qu'opère en
permanence les « éléments ». Les penseurs chinois ont
aussi attribué des éléments aux différentes dynasties qui se sont
succédé à la tête de la Chine. Les éléments peuvent établir
une relation de conquête entre eux : la terre endigue l'eau, le
bois laboure la terre, le métal coupe le bois, le feu fait fondre le
métal et l'eau éteint le feu. Mais les éléments peuvent aussi
s'engendrer mutuellement : le bois prend feu, le feu se réduit
en cendres, donc en terre, la terre produit les métaux, le métal se
liquéfie dans le processus de fonte, l'eau nourrit le bois.
Face
à ces processus incessants de transformations et de mutations, il
importe de trouver l'équilibre et l'harmonie. C'est là où rentrent
en ligne de compte nos douze sympathiques animaux (enfin, pas si
sympathiques que cela puisqu'ils se disputent régulièrement!).
Chacun de ces douze animaux symbolise un rapport au monde, un état
d'esprit avec lequel on entre en relation avec les éléments et les
événements. Dans l'ordre, il s'agit
la souris 鼠
shǔ, le buffle 牛
niú, le tigre 虎
hǔ, le lapin 兔tù,
le dragon 龍lóng,
le serpent 蛇shé,
le cheval 馬
mǎ, le mouton 羊
yáng, le singe 猴
hóu, le coq 雞
jī, le chien 狗
gǒu, le porc 猪
zhū. Chaque animal a son
caractère propre, sa manière d'aborder le monde, le gens, la
société, sa relation aux autres. Toutes sortes de légendes
viennent illustrer ces caractères. Ainsi pour déterminer l'ordre de
ces animaux dans le calendrier, l'Empereur de Jade ordonna une course
entre les animaux. Cette course s'achevait par la traversée d'une
rivière. La souris se faufila entre les pattes des participants et
vint se loger dans l'oreille du buffle. Le buffle traversa la rivière
le plus rapidement et passa gagner la course, mais au dernier moment
la souris bondit hors du conduit auditif de notre bovin compétiteur
et remporta la course. C'est aussi pour cela que la souris ou rat (c'est le
même caractère dans la langue chinoise) est considéré comme
secret et autonome ; le buffle est patient et persévérant, le
tigre est dynamique et audacieux ; le lapin est raffiné et
discret ; le dragon est ambitieux et énergique ; le
serpent est cultivé et raffiné (oui, la vision que l'on peut avoir
d'un animal peut grandement changer d'une civilisation à l'autre!) ;
le cheval est sociable et actif ; la chèvre est intuitive et
esthète, créatrice ; le singe est enthousiaste et inventif ;
le coq est fier et organisé ; le chien est fidèle et
réaliste ; enfin, le cochon est calme et serviable.
Pour
moi, ces animaux du calendrier chinois m'évoque ce moment où,
enfant, j'avais lu une revue destinée aux plus jeunes où figurait
une petite explication pour chaque signe et la mention des années.
Or étant né en 1975, j'étais du signe du chat (précisons que le
chat ne figure que dans les calendriers du sud de la Chine et du
Vietnam, dans la plus grande partie de la Chine, c'est le lièvre ou
lapin). Pour moi, c'était la consternation ! J'aurais tellement
voulu être tigre ou dragon ! Des signes autrement plus
aventureux que « chat ». Surtout que des dessins venaient
illustrer chaque signe ; et le dessin montrait un chat avec des
lunettes et des pantoufles en train de boire une tasse de thé dans
sa bibliothèque. Que cela avait l'air d'être ennuyeux d'être
« chat » ! Au final, je me dit que ce dessin n'est
pas si éloigné de ce que je suis devenu : j'aime lire,
étudier, apprendre, j'aime une vie tranquille, sans remous
excessifs, je ne suis pas contre un minimum de confort. Au fond, être
« chat » n'est pas si terrible que ça !
Cette
année est donc celle du Singe de Feu. Peut-être une année à
célébrer l'enthousiasme et l'inventivité. On peut espérer que
cette créativité fera des étincelles pour résoudre les problèmes
du monde que ce soit les problèmes globaux comme le réchauffement
climatique, l'effondrement de la biodiversité, mais aussi les
nombreux conflits qui ensanglantent la planète comme la guerre en
Syrie. Dans le bouddhisme, le singe symbolise l'agitation de
l'esprit. Notre esprit est enfermé dans la maison du corps ; et
le singe de l'esprit court frénétiquement d'une fenêtre à
l'autre. Il court et bondit d'une fenêtre à l'autre sans répit. La
méditation consiste à apaiser ce fébrile petit singe, lui faire
comprendre que la poursuite effrénée des impressions sensorielles
n'est pas toujours la meilleure des choses. Mais que se recentrer en
soi-même peut-être une excellente chose pour faire rallumer la
lumière intérieure.
Que
ce Singe de Feu soit l'occasion de reprendre conscience des
interconnexions que nous tissons à chaque instant avec tous les
êtres dans ce monde. Que l'on fasse preuve d'inventivité et
d'ingéniosité pour parer à tous les problèmes. Puisse cette année
apporter du bonheur et de la sagesse à chacun !
Bonne
année. Xinnian Kuaile ! 新年快樂
Losar
tashi delek ! ༄༅།།ལོ་གསར་ལ་བཀྲ་ཤིས་བདེ་ལེགས་ཞུ།
Chúc
mừng năm mới !
Un grand merci à Myriam Morisseau de Rezozen de m'avoir inspiré cet article !
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
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