J'ai
récemment posté sur les réseaux sociaux une photo de policiers
canadiens en train de pratiquer la méditation. Ce qui est
interpellant dans la photo, c'est que ces agents de police méditent
sur le coussin de méditation en uniforme, avec leur gilet
pare-balles et leur revolver à la ceinture. L'image me semblait
intéressante. Après tout, pourquoi des policiers ne pourraient-ils
apaiser leur mental, eux qui sont susceptibles de se retrouver avec
des situations stressantes, voire dangereuses ? Au fond, cela me
semble une bonne idée. Sur la page
facebook du Reflet de La Lune, cette photo a interpellé beaucoup
de gens et a suscité beaucoup de commentaires. Ces commentaires vont
dans tous les sens : certains trouvent ça sympathiques,
d'autres trouvent ça drôle ou incongru, certains applaudissent et
voudraient pour la police de leur ville. D'autres sont plus
réticents, voire font des commentaires du style « mort aux
vaches ». Mais globalement l'accueil est positif .
Néanmoins,
un internaute s'est montré très critique, pensant que cela ne
devait pas être encouragé. Il a mis un lien en direction d'un
article de Michael Stone « Abusing
the Buddha: How the U.S. Army and Google co-opt mindfulness »
(Tromper le Bouddha : comment l'armée américaine et Google
réquisitionne la pleine conscience). La thèse de Michael Stone est
que les forces armées et les multinationales détournent la
méditation bouddhique ( dont la Pleine Conscience ou Mindfulness
n'est jamais qu'un avatar laïc) et la vide de sa substance. La
substance de la méditation, c'est clairement la non-violence et la
bienveillance à l'égard des êtres sensibles en regard de la
théorie du karma pour qui tous les êtres doués de conscience sont
inter-reliés. Michael Stone pointe du doigt un organisme tel que
Mind Fitness Training
Institute, qui se consacre à
enseigner la méditation de pleine conscience à des corps de marine,
des vétérans, des forces de polices, tout ce qui relève selon
Michael Stone de la « violence organisée ».
Cette
organisation se veut caritative. Mais, se demande Michael Stone,
pourquoi ne pas venir en aide aux assistants sociaux et aux
infirmières qui sont en première ligne de la détresse sociale ?
Pourquoi ne pas venir en aide aux victimes de la violence policière
ainsi qu'aux victimes d'actions militaires qui auraient bien besoin
aussi d'un soutien spirituel et de pouvoir bénéficier des bienfaits
de la pleine conscience ?
Mais
les motivations de ce genre d'association posent aussi question. La
fondatrice du Mind Fitness Training Institute a ainsi déclaré en
parlant de la méditation de pleine conscience : « Ces
techniques sont très efficaces pour accroître l'attention
situationnelle sur le champ de bataille ».
On est très loin d'une motivation bienveillante envers autrui. La
méditation est clairement utilisée ici en vue de faire de nous de
meilleures combattants, pas de meilleurs humains. Michael Stone
ajoute que l'on n'a pas demandé aux Irakiens ou aux Afghans si ces
techniques rendaient plus supportables l'occupation de leur pays...
Il
y a là, je pense, un risque effectif de dérive de ce genre de
pratiques, si on pense que ce genre de technique peut s'appliquer au
mépris d'une motivation bienveillante et altruiste. On ne devrait
pas pratiquer la pleine conscience pour faire de meilleurs soldats ou
de meilleurs employés. La méditation est là pour apaiser vos
tensions, vous permettre de voir plus lucidement en vous-mêmes, de
se détacher des émotions perturbatrices comme la colère, l'orgueil
ou l'avidité. La méditation ne peut pas être une technique
d'endoctrinement et d'embrigadement. Elle est indissociable de
l'esprit d’Éveil ou bodhicitta : il faut aspirer au bonheur
de tous les êtres, à ce qu'ils soient libérés de la souffrance et
qu'ils puissent éveiller leur conscience.
Néanmoins,
je ne partagerai pas le ton très antimilitariste de l'article de
Michael Stone. S'il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas de
légitimation de la violence, il n'y a pas de raison non plus de
critiquer le fait que l'on organise de séances de méditation pour
des agents de police ou des militaires. La méditation peut aider à
gérer plus pacifiquement des situations conflictuelles et à faire
redescendre la pression. Ce n'est certainement pas inutile pour des
gens qui sont soumis à des situations stressantes ou des situations
d'agression qui peuvent se répéter plusieurs fois durant la même
journée ou la même soirée. Quand on est confronté aux côtés
sombres de la société tous les jours, il n'est pas inutile de
décompresser et de lâcher prise. Cela peut aider les policiers et
les militaires. Et après tout, comme tout être humain, ils ont
droit à être soulagés de leur stress et à jouir d'une vie
sereine. Mais cela peut aussi le reste de la population. Une police
moins à cran risque moins de commettre des bavures, des erreurs ou
certaines petites vexations qui créent le ressentiment à l'égard
des forces de l'ordre au sein de la population.
Pour
conclure, je dirai que le travail sur la motivation profonde de nos
actes est importante. En vue de quoi veut-on pratiquer la méditation
de pleine conscience ? Si c'est pour faire de vous un guerrier
plus efficace, je ne suis pas certain que ce soit une mentalité à
encourager. (Je ne suis même pas certain que ce soit efficace à
long terme d'ailleurs). Par contre, si notre motivation est de venir
en aide aux gens, je ne vois aucune contre-indication pour les agents
de police ou les militaires à s'adonner à la méditation !
Oakland, novembre 2011 |
Voir également :
On entend beaucoup parler ces temps-ci de méditation dans les entreprises, des bienfaits de la pleine conscience ou mindfulness dans le management. En soi, cela me paraît être une bonne chose : si les entrepreneurs s'enthousiasment pour la méditation et veulent organiser des séances de zazen au milieu de l'open space. Pourquoi pas, en fait ? Néanmoins, quelque chose me laisse sceptique : est-il judicieux de réduire la méditation à une pratique prometteuse en terme d'augmentation de la productivité ? Est-on plus aware des objectifs quantitatifs fixés par l'entreprise quand on s'est livré à une séance de pleine conscience ? Est-ce qu'on est un meilleur employé quand on s'applique sagement à s'asseoir en lotus et à faire le vide dans son entreprise ?
Pour moi, la paix est une quelque chose que l'on doit cultiver dans la vie de tous les jours. Et en ce sens cet aphorisme du dalaï-lama m'a toujours parlé : « Plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ».
- Pacifique ou pacifiste ?
Je suis quelqu'un qui recherche la paix et l'apaisement des conflits que ce soit en matière politique ou en matière individuelle. Je ne suis malheureusement pas certain qu'on puisse régler tous les problèmes par la paix et la non-violence. Ce serait merveilleux, mais il y a certains cas où, malheureusement, nous n'avons pas d'autre choix que d'employer la violence. La violence est toujours un mal, mais parfois nous y sommes contraints.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
C´est très intéressant!
RépondreSupprimerMerci !
RépondreSupprimermerci.
RépondreSupprimerBonjour et merci pour votre blog.
RépondreSupprimerVotre réflexion rejoint celle de Brian Victoria
http://mujoseppo.blogspot.fr/2016/04/brian-victoria-le-zen-en-guerre-1868.html
Il y a en effet toujours un risque que la méditation soit utilisé de manière malveillante comme un médicament qui peut se transformer en poison.
Oui, effectivement. Le livre "Le zen en guerre" de Brian Victoria montre les dévoiements du bouddhisme (zen en l'occurrence) quand il a été confronté à une idéologie militariste hérité des samouraïs. La méditation n'est pas là pour endurcir les guerriers ou les rendre plus inflexibles sur le champ de bataille, mais bien pour les rendre plus bienveillants, plus apaisés face à des situations stressantes. Se battre est déjà en soi une défaite. L'idéal serait de résoudre ces conflits de manière complètement non-violente.
RépondreSupprimerLe livre "le zen en guerre" parle aussi du "zen d'entreprise" pour rendre les employés plus dociles et plus performants.
SupprimerJe trouve donc le questionnement légitime mais il n'y a de réponse qu'individuelle.
Dans le fond je suis d'accord avec toi, je n'ai rien contre la méditation à l'école, chez les policiers et les soldats dans la mesure ou les expériences scientifiques montrent que la méditation a des effets "pro-sociaux" mais il faut rester vigilant et ne pas hésiter à dénoncer les dérives.
Individuellement la méditation doit être "sans but ni profit" sinon pour tous les êtres inconditionnellement.