Dans
une
récente chronique sur France Inter suite à l'altercation entre
des manifestants de Nuit Debout contre les abattoirs et des éleveurs,
le philosophe Raphaël Enthoven a réitéré son argumentation
anti-antispéciste. On a furieusement l'impression qu'il cherche à
concourir pour le championnat mondial de sophismes. Que dit-il cette
fois ? Et bien, que les antispécistes ne sont pas vraiment
antispécistes, mais plutôt qu'ils sont « superspécistes ».
Les antispécistes se mettent sur un piédestal et se coupent de
leur animalité en exigeant des humains ce que les animaux ne
feraient jamais. Les animaux mangent d'autres animaux. Si les animaux
humains s'interdisent de manger d'autres animaux, c'est précisément
parce qu'ils se croient supérieurs au reste de la Création, nous
dit Raphaël Enthoven (très inspiré en cela par Dominique Lestel).
Évidemment,
ce genre de discours est rendu possible parce qu'on caricature
constamment l'antispécisme. Pour les antispécistes, il faut refuser
refuser l'idée que l'homme soit un être supérieur qui a tous les
droits sur les autres êtres conscients que sont les animaux. Il faut
refuser de privilégier l'espèce humaine ou toute autre espèce
animale : si on pense qu'il est mal de blesser, de torturer ou
de tuer un être humain, il est mal aussi de blesser, de torturer ou
de tuer un animal. Tout comme nous, les animaux n'aiment pas souffrir
ou voir leur vie menacée. On doit donc éviter toute souffrance
inutile aux animaux.
Enfin,
les antispécistes pensent qu'il n'y a pas de différence de nature
entre les hommes et les animaux, mais une différence de degré. Les
hommes n'ont pas de spécificités propres qui les rendraient
radicalement différents des autres animaux. Les partisans de la
différence de nature invoquent la Raison, l'intelligence, le langage
ou la liberté dont seraient dotés uniquement les êtres humains
pour mettre ceux-ci sur un piédestal. Mais on retrouve une capacité
de réflexion, des formes rudimentaires de communication chez les
animaux. Les animaux ont moins d'intelligence que les humains, mais
ils en ont. Entre les hommes et les animaux, il y a donc un degré
différent d'intelligence, mais pas de coupure radicale entre eux.
Pareillement, le langage est de toute évidence beaucoup plus subtil
et développé chez les humains, mais on retrouve des formes de
langage chez les animaux, que ce soit le chant des baleines, les cris
d'avertissement chez les oiseaux...
Quand
les antispécistes parlent donc d'égalité, c'est une égalité de
considération des intérêts. Une vache ou un cochon a droit à ce
que l'on prenne en compte ses intérêts : ne pas être
maltraité, ne pas être tué... On ne veut pas dire que l'égalité
est une égalité de capacité. Personne ne nie que les humains
soient plus intelligents que les animaux. Les antispécistes nient
simplement que cette intelligence supérieure soit un argument pourexploiter et maltraiter les animaux. De la même façon, le guépard
peut courir à cent kilomètres, ce qu'aucun humain n'est capable de
faire. Le guépard est supérieur à la course, mais n'a pas de
privilèges moraux sur d'autres animaux du fait de sa capacité de
courir plus vite que les autres. Les chauves-souris sont capables de
se repérer dans le noir complet grâce à leur sonar. Les oiseaux
volent dans le ciel. Ce sont des capacités dont sont dépourvues
tous les êtres humains. Si la chauve-souris était devenu l'animal
dominant sur la surface de la planète Terre, elle aurait
probablement élevé la capacité d'envoyer et de percevoir les ondes par écholocation comme un signe évident de la supériorité de son espèce.
Or
il se trouve que l'homme est doté de cette intelligence ainsi que
d'une importante capacité d'empathie. Tout cela lui permet de
développer une conscience morale et le pouvoir de choisir entre tel
ou tel comportement. Cette conscience morale et cette liberté ne
sont pas séparées de la Nature, mais elles sont issues de la Nature
elles-mêmes comme la vitesse du guépard, le sonar de la
chauve-souris ou les couleurs qui changent sur la peau du caméléon.
L'homme a la capacité d'arrêter de manger de la viande pour des
raisons éthiques, parce qu'il a décidé d'arrêter d'en consommer
parce qu'il a pesé le pour et le contre de la chose. C'est beaucoup
plus difficile pour un tigre ou lion de se décider à se convertir
au végétarisme. C'est pourquoi il est justifié de demander en
priorité aux hommes de devenir végane. Cela ne fait pas des hommes
une espèce supérieure, cela fait des hommes à qui on demande
d'assumer leur responsabilité en ce monde. On ne demanderait pas à
un enfant des responsabilités politiques ou de conduire une
automobile. Vous n'appelez pas votre arrière-grand-mère de 104 ans
pour déménager votre piano à queue ou le lave-linge. C'est parce
que les adultes dans la force de l'âge ont la capacité d'assumer
ces responsabilités qu'on leur donne ces responsabilités. Il ne
s'agit pas de dire si les adultes sont supérieurs ontologiquement
aux enfants ou aux personnes âgées, mais d'exiger des
responsabilités en fonction des capacités des uns des autres. C'est
pareil avec les animaux. Les humains s'engagent parfois en faveur de
la survie des baleines à bosse. La réciproque est nettement plus
rare : on n'a jamais vu les baleines manifester en faveur des
enfants qui meurent dans la guerre en Syrie...
Enfin,
on peut se poser d'autres questions concernant Raphaël Enthoven,
Dominique Lestel et tous les autres qui invoquent le « struggle
for life », la prédation
des animaux à l'encontre d'autres animaux pour justifier leur
consommation de beefsteak. Enthoven et Lestel disent qu'en mangeant
de la viande, nous acceptons la part animale qui est en nous, le
prédateur féroce qui est en nous. C'est là une idée très
caricaturale du monde animal. Dans la nature, il n'y a pas que des
prédateurs. De très nombreux animaux sont des herbivores qui ne
feraient pas de mal à une mouche. Pourquoi ne pas dès lors accepter
l'herbivore qui sommeille en vous, messieurs Enthoven et Lestel ?
Pourquoi voir la quintessence de la Nature uniquement dans le tigre,
le lion, le requin ou le loup, et pas dans l'antilope, le cheval ou
l'éléphant ?
Pourquoi
vouloir aussi à tout prix imiter le monde naturel ? En soi, il
n'y a ni bien, ni mal dans la Nature, mais ramené à la sphère de
la conscience morale humaine, certains comportements animaux nous
apparaissent comme étant répugnant. Les grizzlis tuent leurs
propres petits pour que leur mère accepte de s'accoupler à nouveau
avec le mâle. Qui voudrait imiter cela ? Franchement. La Nature
ne peut donc pas être un modèle pour nos comportements moraux. En
plus, le comportement du tigre à la puissante musculature et à la
mâchoire d'acier quand il se jette sur sa victime dans les
documentaires animaliers n'a pas grand-chose à voir avec Raphaël
Enthoven ou Dominique Lestel qui vont au supermarché acheter une
barquette de chipolata ou de blanquette de veau. Cela s'apparente
beaucoup plus à l'attitude nécrophage de la hyène ou du vautour
On voit donc que cette argumentation de Raphaël Enthoven n'est rien
d'autre que de la sophistique, un discours destiné à embrouiller
les gens et à justifier l'exploitation des hommes et des animaux
malgré toute l'argumentation rationnelle qui montre la nuisance de
cette exploitation animale, tant sur le plan de l'éthique, sur le
plan de la politique, sur le plan de l'écologie que sur le plan de la
santé, tant pour l'humanité que pour l'animalité.
Insolente Veggie |
À propos des précédentes chroniques de Raphaël Enthoven :
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici.
Insolente Veggie |
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