La Sangha des Êtres Nobles et nous
Quand
on devient bouddhiste, on prend refuge dans le Bouddha, dans le
Dharma et dans la Sangha. En fait, quand on est bouddhiste, on prend
aussi refuge dans le Bouddha, dans le Dharma et dans la Sangha le
plus souvent possible. Le Bouddha est à la fois la personne qui a
initié le mouvement bouddhiste il y a deux mille cinq cents ans, et
l'incarnation du but à atteindre, le Plein Éveil du sommeil de
l'illusion. Le Dharma est la Voie du Bouddha qui conduit à devenir
cet être pleinement éveillé. La Sangha est un mot sanskrit qui
signifie « communauté ». Dans le contexte bouddhique, ce
terme recouvre deux notions distinctes que l'on a souvent
malheureusement tendance à confondre. Le terme Sangha peut soit
désigner la communauté des bouddhistes (parfois tous les
bouddhistes, parfois une communauté plus restreinte de bouddhistes
avec une identité ou une localisation plus précise), soit la
communauté des Êtres Nobles.
Qu'est-ce
qu'un Être Noble dans le contexte de la philosophie bouddhique ?
C'est un individu qui est parvenu ou qui va parvenir à un des quatre
fruits de la pratique spirituelle. Ces quatre fruits tels qu'on les
énonce dans les soûtras du canon pâli sont l'Entrée dans la
Courant, le Retour Unique, le Non-Retour et l'état d'Arahant.
L'Entrée dans le Courant correspond à un état où tout notre être
tend naturellement vers le Dharma. Il n'y a plus d'effort à faire
pour se tourner vers la pratique du Dharma. On a spontanément envie
d'adopter une conduite de vie juste, d'apaiser l'esprit dans la
méditation et rechercher la Sagesse. Cela ne veut pas dire qu'il n'y
aura plus effort à accomplir sur la Voie, mais au cours des
existences, notre être sera spontanément attiré vers l'un ou
l'autre des aspects de la pratique du Dharma, si ce n'est tous les
aspects, et ce même si il évolue dans un milieu ou un territoire où
l'enseignement du Bouddha est absent.
Le
Retour Unique est l'état d'un individu qui n'a plus qu'une existence
à vivre en ce monde avant d'être éveillé. Le Non-Retour désigne
l'état d'un individu qui n'aura plus à renaître dans ce monde
souffrances : il renaîtra dans un monde divin pour y connaître
le plein Éveil d'un Bouddha. L'Arahant enfin s'est libéré dans cet
existence même et à accès en méditation à la sphère de
cessation des sensations et des perceptions, le Nirvāna.
Quand il sort de cette absorption méditative, son corps est encore
sujet à la douleur et à l'inconfort, mais son esprit est
complètement libéré de tout attachement à la souffrance.
Un
Être Noble est donc quelqu'un qui a donc atteint un de ces quatre
fruits du cheminement bouddhique ou est en passe de l'atteindre. Dans
cette Sangha que l'on prend refuge. Les Soûtras définissent cette
Sangha des Êtres Nobles de la manière suivante : « Je
suis pourvu d'une confiance sereine dans la Communauté des Disciples
du Bienheureux qui est de conduite pure, la Communauté des Disciples
du Bienheureux qui est de conduite droite, la Communauté des
Disciples du Bienheureux qui est de conduite correcte, la Communauté
des Disciples du Bienheureux qui est de conduite bienséante ;
ce sont en fait les quatre paires d'êtres, les huit êtres. Telle
est la Communauté des Disciples du Bienheureux digne des offrandes,
digne d'hospitalité, digne de respect, le plus grand champ de mérite
pour le monde ».
On parle d'êtres qui ont écouté
l'enseignement du Bouddha et l'ont mis en pratiqué assidûment. Ils
se sont approchés de la perfection en développant la compassion, la
bienveillance, le calme mentale, la vision pénétrante, le
détachement et toutes sortes d'autres qualités morales et
spirituelles. Ils sont un refuge pour nous parce qu'ils font le pont
entre nous et le Bouddha. Ils ont atteint un de ces quatre étapes
décisives de la libération (Entrée dans le Courant, Retour Unique,
Non-Retour et état d'Arahant) ou vont l'atteindre de manière
imminente : c'est pourquoi le texte parle de quatre paires
d'êtres, huit types d'êtres au total, proches de la libération
définitive de la bouddhéité ou demeurant dans cette liberté
absolue de l’Éveil. Cette Sangha des Êtres Nobles, cette
Communauté des Grands Disciples du Bouddha est aussi un champ de
mérites pour le monde, le lieu de propagation du Dharma, comme une
onde bienveillante qui partirait de ce point central qu'est le
Bouddha pour répandre ses bienfaits à travers le monde.
C'est
dans cette Sangha des Êtres Nobles que l'on prend refuge, et pas
dans la sangha des simples bouddhistes. C'est important de le
comprendre parce que les bouddhistes de base sont des gens normaux
qui peuvent avoir plein de défauts. Beaucoup d'entre eux ne
cherchent pas vraiment à s'améliorer. Ils se sentent attachés au
Dharma du Bouddha pour des raisons de tradition familiale ou parce
que la culture de leur pays se veut bouddhiste comme en Thaïlande,
au Tibet ou en Birmanie, mais cela ne veut pas dire qu'ils mettent en
œuvre le véritable processus de transformation intérieure, et même
quand ils cherchent à s'améliorer authentiquement, cela ne veut pas
dire pour autant qu'ils parviennent à des hauts états spirituels.
Il peut subsister en eux de profonds sentiments de colère ou
d'avidité. Ils peuvent s'avérer incapable de dépasser certains
défauts et ne se montrent pas toujours à la hauteur des idéaux
bouddhiques. On aurait bien tort de leur jeter la pierre puisque
nous-mêmes, nous sommes aussi pleins de défauts !
La
sangha des êtres ordinaires est un lieu important, parce que c'est
grâce à elle qu'on peut accéder aux enseignements du Bouddha. Mais
il est important de ne pas idéaliser outre mesure cette communauté
d'êtres imparfaits, de bien faire la distinction entre Sangha des
Êtres Nobles et la sangha du bouddhiste moyen avec ses qualités,
mais aussi ses défauts. Le bouddhiste moyen prend refuge dans le
Bouddha, le Dharma et la Sangha des Grands Disciples précisément
pour entreprendre de sortir de sa condition imparfaite. On ne doit
donc pas s'attendre à trouver dans les différents centres
bouddhistes des ligues de personnes extraordinaires. Et on ne doit
pas fantasmer sur les pays bouddhistes comme des terres de grande
sérénité et des sociétés parfaites. Je pense en particulier sur
le Tibet sur lequel les Occidentaux fantasment depuis fort longtemps
comme la terre de Shangri La ou le royaume de Shambala ! Mais
les Tibétains n'ont rien de demi-dieux ! Ce sont des êtres
humains avec leurs qualités et leurs défauts, et avec une société
aux rapports sociaux parfois injustes et violents.
Je
pense que si on veut penser efficacement la sangha actuelle comme un
lieu efficace de propagation du Dharma et du bien-être pour le plus
grand nombre possibles d'êtres sentients, il faut partir de la
sangha réelle et de réfléchir à l'aune de la Sangha des Êtres
Nobles, mais sans confondre les deux. Il faut proposer des choses en
sachant que les personnes qui composent la communauté bouddhiste
peut rechercher des buts mondains comme le plaisir, la réputation,
le succès et le pouvoir, même si, dans le discours, ils prétendent
rechercher les buts élevés du Dharma uniquement.
Souvent,
cette distinction entre Sangha des Êtres Nobles et sangha des êtres
ordinaires n'est pas faite, soit par naïveté, soit carrément dans
une volonté politique d'assouvir son pouvoir. Si les autorités
religieuses définissent la sangha actuelle comme la Sangha dans
laquelle on prend refuge, on peut beaucoup plus facilement faire
taire toute critique et toute contestation. Celui qui se met à
accuser de telle ou telle mauvaise pratique est tout de suite accusé
de fomenter un schisme au sein de la Sangha !
Bien
entendu qu'il peut exister des critiques malveillantes, mais toutes
les critiques ne sont pas inutiles. Au contraire, critiquer les
mauvais agissements de tel ou tel moine ou de tel ou tel pratiquant
est fondamental pour résoudre des problèmes qui peuvent devenir
catastrophique pour la sangha. Pareillement, mettre le doigt sur tel
ou tel dysfonctionnement d'un groupe de bouddhistes ou d'une école
bouddhique peut empêcher que les choses n'empirent gravement. En
Birmanie, il est interdit sous peine de prison de critiquer un moine
bouddhiste. C'est injuste, et en plus tard, cela ne sert absolument
pas le Dharma ! Que du contraire ! Cela permet à des
individus haineux comme le moine Wiratthu de répandre son message
violent et raciste, contraires aux enseignements d'amour bienveillant
du Bouddha. Dans le Tibet féodal, l'obsession des lamas étaient
d'avoir un pignon en or en haut de leur temple non pour de
quelconques raisons spirituelles, mais parce que cela flattait leur
avidité de renommée et leur avancement dans la hiérarchie sociale
et politique. Il aurait mieux valu garder cet or pour le donner aux
pauvres ou procurer des vivres aux humbles yogis qui, eux, font
vraiment avancer le Dharma !
Voir aussi :
À
propos de la Birmanie :
- Rohingya
Sur la situation de la communauté musulmane Rohingya, voir notamment sur le site d'Arte : « La malédiction des Rohingyas »
Voir aussi le site Info-Birmanie et sa page Facebook pour de plus amples informations sur la situation politique du pays.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire