Rien de certain
La
seule chose certaine, c'est que rien n'est certain ; et
rien n'est à la fois plus pitoyable et plus prétentieux que
l'homme.
(Solum
certum, nihil esse certi, et homine nihil miserius aut superbius)
Pline
l'Ancien, Histoire naturelle.
La formule de Pline "Solum
certum, nihil esse certi" sur les poutres de la librairie du château de Montaigne en Dordogne |
Je
regardais récemment une émission de tourisme à la télévision à
propos des châteaux de la région de Bordeaux. À un moment donné,
les présentateurs allaient visiter le château de Montaigne où le
philosophe Michel Eyquem de Montaigne a vécu et a écrit ses Essais.
Ils ont montré le haut de la tour dans laquelle se trouvait la
chambre où il dormait et sa bibliothèque où il rédigeait ses
réflexions sur la vie et lui-même, sa Librairie comme il l'appelait. La particularité de cette pièce
est que Montaigne avait fait graver des sentences de sagesses en grec
et en latin de ses philosophes favoris sur les poutres du plafond. Et
notamment cette formule de Pline : « La seule chose
certaine, c'est que rien n'est certain ». Dans tous les
domaines et dans toutes les choses, le doute est de mise. On ne peut
jamais être certain d'avoir une connaissance véritable et complète
de ces domaines et ces choses que nous essayons de connaître. La
sagesse est de reconnaître l'ampleur de ce doute au lieu de toujours
vouloir s'accrocher à des certitudes ou vouloir imposer sa
conviction contre vents et marées.
Affirmation
du doute sceptique souverain, dans tous les domaines de la
connaissance, et reconnaissance de l'incapacité de l'homme à
l'homme à s'arracher à son ignorance. Ce doute et cette humilité
est souvent le point de départ pour une connaissance plus
approfondie des choses. Par exemple, la science n'aurait pas beaucoup
évolué si elle s'en était tenue à « l'évidence » que
le Soleil tourne autour de la Terre, simplement parce qu'on peut voir
ce soleil se mouvoir majestueusement dans le ciel toute la journée
et qu'on se croit fondamentalement le centre du monde. Si on tient
des choses certaines parce que semblant évidentes ou parce que
certaines personnes dogmatiques ont proclamé telle ou telle Vérité
que l'on ne pourrait pas remettre en question, on ne risque pas
d'avancer dans la compréhension du monde. Il faut accepter de
prendre le risque du doute et de l'incertitude pour avoir peut-être
chose d'apporter un nouvel éclairage au monde. Néanmoins, un
véritable sceptique contesterait aussi la sentence de Pline. Que la
seule chose certaine soit qu'il n'y ait rien de certain, cela même
n'est pas absolument certain. Après tout, il y a peut-être (le
peut-être est important) une vérité absolue à laquelle
l'esprit humain peut prétendre dans un avenir proche ou lointain.
C'est
en substance l'argument que le Bouddha opposait à un ascète indien,
Dîghanakha, disciple de Sañjaya
Belatthiputta qui professait le scepticisme. Dîghanakha affirma au
Bouddha : « Honorable Gautama, moi, je suis quelqu'un
qui dit : "Je suis
quelqu'un qui refuse l'ensemble des opinions. Oui, je refuse
l'ensemble des opinions" ».
Et le Bouddha d'objecter : « Mais
quant à cette opinion qui consiste à dire : "je refuse
l'ensemble des opinions", vous ne la refusez pas ? 1 »
Le
véritable sceptique n'essaye pas de réduire toute connaissance au
doute et à l'incertitude, parce qu'il y a peut-être une
connaissance absolument certaine à laquelle l'homme puisse
prétendre. Mais le sceptique véritable accepte de demeurer dans le
doute là où l'homme ordinaire a en horreur l'incertitude et les
remises en question et où il cherche à tout prix des réponses,
pour se conforter dans son vain sentiment de puissance, quitte à
croire aveuglément des illuminés qui prétendre détenir la Vérité
par l'entremise d'un dieu ou d'une science absolument certaine. Le
sceptique pense qu'il n'y a pas de honte à dire : « je ne
sais pas ». En ce sens, la devise de Montaigne : « Que
sais-je ? » est aussi une sentence toute imprégnée
de scepticisme.
Le bureau de Montaigne dans sa librairie. Le siège est penché pour contempler plus facilement les sentences inscrites au plafond. |
1 Dîghanakha
Sutta (Soûtra de Dîghanakha), Majjhima Nikâya, I,
497-501. Traduction de Môhan Wijayaratna dans : « La
philosophie du Bouddha », éd. LIS, Paris, 2000, pp. 42-45
Voir aussi :
La tour du château de Montaigne où se trouve sa librairie |
Le château de Montaigne |
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