Deuil et consolation
Un
ami me demande comment mieux vivre son deuil. Dans son cas, il s'agit
de ces animaux domestiques dont la mort l'affecte beaucoup. Mais en
fait, que ce soit des personnes humaines et que des personnes
animales, il s'agit d'être cher dont le décès peut nous accabler
du jour, des semaines, voire des mois. Comment mieux vivre son
deuil ? Un penseur de l'Antiquité, Boèce, voyait dans la
philosophie une source de consolation. C'est d'ailleurs le titre de
son ouvrage le plus célèbre : « Consolation de la
philosophie ». Boèce l'a écrit alors qu'on l'avait jeté
en prison et qu'il se lamentait au fond de sa geôle en attendant
d'être exécuté . Tout le livre consiste en un dialogue avec la
Philosophie incarnée sous la forme d'une déesse. Mon propos se veut
moins grandiose, mais il s'agit quand même de se poser la question
de la consolation que comporte la transformation philosophie de sa
être et la transformation de sa vision du monde.
Tout
d'abord, un constat d'humilité : la philosophie peut aider à
mieux vivre un deuil, mais elle ne nous enlève pas notre nature
humaine, trop humaine. Elle ne fait pas de nous des robots
complètement insensibles à la douleur du monde. Et c'est tant
mieux. Je précise ce point parce que notre société fait miroiter
aux gens le projet d'une maîtrise totale de soi-même et de ses
affects ; et souvent malheureusement, la méditation bouddhique
est pensée comme un moyen d'atteindre une impartialité totale
doublé d'un contrôle entier sur soi-même. On va pratiquer la
méditation pour devenir plus efficace et rentable sur la marché du
travail. Pour ma part, je ne pense pas que ce soit là un but à
atteindre, ni que ce soit possible, ni que ce soit souhaitable. Le
but n'est pas de devenir insensible et imperturbable, mais d'apaiser
doucement cette tristesse et ce désespoir au fil des heure sou au
fil des jours. Permettre à la joie et à la vie de rejaillir sous
les cendres.
*****
Tout
d'abord, il est important de méditer sur l'impermanence : tous
les phénomènes composés sont voués à vieillir, à péricliter, à
disparaître, à être détruit en fin de compte. Rien n'est éternel.
Les êtres vivants sont aussi des phénomènes composés de cellules,
de tissus, d'organes, le tout mêlé à de la conscience et à la
capacité de ressentir les choses ; et eux aussi sont voués à
vieillir, à être malade, à disparaître, à mourir en fin de
compte. Il ne suffit pas seulement de le savoir intellectuellement et
d'avoir une notion claire de ce qu'est la mort. Il faut s'imprégner
de la conscience de cette impermanence dans tous les moments de notre
vie. Il faut voir le grand cycle de la Nature où tout ce qui naît
vit, évolue, périclite et meurt pour être transformé par un
nombre considérable d'autres êtres vivants et réintégrer ce cycle
de la vie. Ce n'est pas seulement la raison de votre cerveau qui doit
acquiescer à cette vérité, mais tout votre être, votre corps et
votre intuition. Voir sans cesse l'éternelle transformation des
choses qui passent.
De
cette méditation de l'impermanence découlent deux choses :
l'acceptation et le détachement. Cela demande tout un travail
spirituel : accepter la mort de soi-même ou de ses proches,
c'est souvent demander d'accepter l'inacceptable. Pour autant, il est
possible de se transformer soi-même et de cultiver cette acceptation
des choses et cette dynamique de vie et de mort. Le détachement ne
coule pas de source non plus, tant nous sommes attachés
émotionnellement aux êtres qui nous sont chers. Mais en
s'imprégnant de l'omniprésence de l'impermanence encore et encore
au fil de nos séances de méditation, l'attachement perdra
progressivement de s'agripper à la présence des êtres qui nous
sont chers.
Pour
autant, ce détachement n'est pas un signe de froideur envers le
monde ou les êtres qui nous sont chers. En même temps que cette
méditation de l'impermanence, il convient de pratiquer la méditation
des Quatre Qualités Incommensurables. Ces quatre qualités sont
l'amour, la compassion, la joie et l'équanimité. Souvent notre
amour ou notre compassion se referme sur une seule personne ou un
petit groupe de personnes. Ce faisant, la mort de ces personnes sont
vécus comme une catastrophe comme si notre amour était englouti
dans le grand froid intersidéral et perdu à jamais. Lamartine a
écrit : « Un seul être vous manque, et tout est
dépeuplé !1 ».
Pratiquer les Quatre Qualités Incommensurables, c'est se rendre
compte que l'on peut aimer beaucoup plus de personnes dans le monde.
L'amour n'est pas absorbé dans une personne ou un petit être, mais
se libère en rayonnant vers tous les êtres. Vous n'êtes pas
dépeuplé à la mort d'un proche, mais vous vous rendez compte que
vous êtes vous-mêmes peuplé d'une infinité d'êtres à aimer,
envers qui éprouver de la compassion, avec qui célébrer la grande
joie sacrée et à insuffler la paix dans l'existence. La tristesse
est encore là, mais ce n'est plus une calamité. Avec les Quatre
Qualités Incommensurables, vous pouvez vivre cette tristesse avec
beaucoup plus de sérénité. Et cette tristesse est comme une
résonance subtile avec le chagrin de tous les êtres sensibles.
1 Alphonse
de Lamartine, L'isolement, Méditations poétiques, 1820.
Voir aussi à propos de l'impermanence :
Concernant la méditation des Quatre Qualités Incommensurables :
Les différentes formes de l'amour et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.
- Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée
On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.
- Joie
Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?
L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?
Caspar David Friedrich, Entrée du cimetière, 1825 |
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
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Merci Bai Wenshu pour cet article qui me rappelle le long travail de méditation sur l'impermanence qu'il me reste à faire, hormis ma grande difficulté à supporter les souffrances des êtres, je sens bien que j'ai besoin de consolation, j'aurais grand besoin d'auto-compassion aussi, mais ce qui m'est le plus pénible, c'est le peu de temps que donne cette société pour pouvoir vivre un deuil (je rappelle que deuil est de même étymologie que "douleur"), temps qui me serait tellement nécessaire pour prendre le "recul" nécessaire, du moins pour vivre ma douleur, pour me donner ou recevoir les soins qui me consoleraient doucement. Au delà de la détresse face à la souffrance et à la perte d'un être cher, c'est qu'il faille continuer d'aller au boulot, continuer comme si de rien était alors que j'aurais besoin pour ma part de recueillement (mais non, il faut retourner travailler aussitôt, quand je vois déjà le peu de jours qui est octroyé pour la perte d'un parent, alors pour un animal, on vous rit au nez en général et puis, niet, pas un jour de la part de l'administration, il faut faire une dépression pour avoir droit à un arrêt de la part du médecin, c'est ce qui m'était arrivé l'année dernière pour la mort de mon compagnon chien de 16 ans où j'avais des pensées noires et quasi suicidaires, là, oui, deux semaines d'arrêt, mais c'est pas croyable, c'est marche ou crève comme disait ma mère dans cette société, devise à laquelle elle s'est toujours pliée, ne s'arrêtant jamais, faut voir à quel prix !)
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