Pourquoi les véganes sont dans le vrai
(1ère
partie)
Ce
18 mars 2018 paraissait dans le journal « Libération »
une tribune très agressive à l'encontre des véganes, intitulée « Pourquoi les véganes
ont tout faux », rédigée par Paul Ariés, Jocelyne Porcher et Frédéric Denhez. Je voudrais
ici apporter une réponse argumentée à ce texte. Les auteurs se
disent « convaincus de la
nécessité d’en finir au plus vite avec les conditions imposées
par les systèmes industriels et d’aller vers une alimentation
relocalisée, préservant la biodiversité et le paysan, moins
carnée, aussi ». Les
véganes qui veulent en finir avec l'élevage et l'exploitation
animale les insupportent car ceux-ci s'opposent à la viande, alors
qu'eux ne s'opposent qu'à la « mauvaise
viande » et aux
« mauvais fruits ».
Passons
en revue ces arguments à l'encontre des véganes :
-
1°) Les véganes ne sauveront pas les animaux
Pour
Ariès, Porcher et Denhez, les animaux domestiques ne sont plus des
animaux naturels depuis longtemps. Ils ne pourront pas retourner à
la Nature. Je suis d'accord, mais ce n'est pas le propos des véganes.
Ce qui doit cesser, c'est le massacre des animaux et c'est
l'exploitation honteuse des animaux. Imaginons un monde végane :
il n'y a rien de contradictoire que, dans ce monde, les animaux de la
ferme continue à côtoyer les humains. Ce qui serait interdit, c'est
de les tuer et de les faire souffrir sans raison.
Les
auteurs osent écrire : « Les
animaux demandent à vivre avec nous, et nous avec eux, ils demandent
à vivre une existence intéressante, intelligente et digne ».
Mais l'élevage justement rend impossible cette vie intéressante,
intelligente et digne, puisqu'il réduit intrinsèquement le cochon
au saucisson qu'il produira une fois abattu, la vache à une
productrice de lait et le veau à une entrecôte. Le véganisme est
l'attitude qui est le mieux à même de respecter les animaux et de
favoriser le développement maximal de leur potentiel de vie. Les
éthologues se sont rendus compte que le cochon est ainsi un animal
très intelligent et doué d'une vie affective forte. Ils adorent
jouer au ballon avec les humains. Mais l'élevage a lourdement
contribué à donner une image fausse du cochon en en faisant un
symbole de saleté et de veulerie, pour mieux le rabaisser et le
« démentaliser » : lui ôter sa conscience et sa
sensibilité, tout cela afin de réduire à néant tout scrupule pour
exploiter et pour tuer sans pitié ces bêtes. Donc oui, le véganisme
permet de sauver des vies animales et de rehausser de manière
importante la dignité de ces animaux.
-
2°) Le véganisme ne sauvera personne de la famine
Rappelons
d'abord l'argument des véganes concernant la famine. Les animaux
d'élevage consomment des végétaux toute leur vie pour se
développer jusqu'à l'âge adulte. On estime que 70% des terres
cultivables sur la Terre sont dévolues à la production de
nourriture à l'intention des animaux, soit sous la forme de
pâturage, soit sous la forme de champs qui vont produire la
nourriture pour les animaux. Plus de 85% de la production mondiale de
soja est destinée au bétail, alors que cette plante riche en
protéine permettrait de nourrir efficacement l'humanité. Cette
consommation de végétaux rentre en concurrence avec la production
des végétaux pour l'alimentation humaine. On estime qu'il faut 7 kg
de végétaux pour produire 1 kg de bœuf et 6kg de végétaux pour
produire 1 kg de porc ou de poulet. Je ne rentre pas dans les
détails. On trouvera plus d'informations utiles sur le sujet dans
les articles que j'ai référencé en bas de ce texte. On peut dire
néanmoins que passer à une alimentation complètement végétale
comme le préconisent les véganes soulagerait d'une pression
importante sur l'alimentation mondiale de l'humanité.
Aries,
Denhez et Porcher contestent implicitement cet argument en niant
qu'il y ait un problème de famine dans le monde. « Or,
depuis la fin du XVIIIe siècle,
dans nos pays européens, et depuis les années 60 dans
l’ensemble du monde, il n’existe plus de famines liées à un
manque de ressources. Quel progrès ! Les famines qui adviennent sont
des armes politiques. Quand des gens meurent de faim quelque part,
c’est parce que d’autres l’ont décidé. On ne voit pas en quoi
le véganisme changerait quoi que ce soit à cette réalité ».
1ère
remarque : on passe sous silence le problème aigu de la
malnutrition. Il y a d'un côté la famine où on meurt de faim, et
de l'autre, la malnutrition où on ne meure pas, mais on ne mange pas
suffisamment pour préserver une bonne santé. Sans compter le
problème du coût des aliments qui fluctuent énormément du fait de
la spéculation en bourse et qui affecte la qualité d'énormément
de monde sur notre planète.
2ème
remarque : le problème de la famine est évacué en affirmant
que là où il y a famine, c'est qu'il y a intention délibérée
d'affamer les gens. Il y a dans cette façon de penser une forme
évidente de conspirationnisme : il y aurait un plan
sournoisement mené et maléfique pour pousser certaines populations
à la famine. En réalité, il peut y avoir des famines dans des
zones de guerre ou du fait de certaines idéologies délirantes :
je pense à la famine en Ukraine sous Staline ou au « grand
bond en avant » de Mao en Chine qui a conduit à la pire famine
de l'Histoire avec 45 millions de morts. Mais la famine et la
malnutrition viennent aussi de la gestion maladroite ou chaotique du
peu de ressources alimentaires qui restent pour les humains. Passer à
une alimentation végétale soulagerait une bonne partie de cette
pression sur la production alimentaire.
Je
pense que la production alimentaire à l'échelle du globe est une
problème complexe qu'on ne peut pas réduire à un quelconque
conspirationnisme qui rejetterait la faute sur un ou plusieurs
intervenants sur la scène mondiale. Et c'est aussi un problème
complexe qui ne peut pas être résolu par une seule méthode. Donc
je serai prudent avant de dire que le passage de toute l'humanité au
véganisme résoudrait totalement la problématique de la famine et
de la malnutrition dans le monde. Il y a d'autres dimensions au
problème comme, par exemple, la production inquiétante des
bio-carburants ou agrocarburants qui concurrence dangereusement la
production alimentaire destinée aux êtres humains. Par contre, je
suis convaincu que ce passage vers une alimentation végane aurait
indéniablement un impact positif sur le problème de la famine et de
la malnutrition. Ce passage vers une alimentation végane sauverait
certainement des vies et cela en améliorait considérablement
d'autres.
3°)
Le véganisme ne sauvera pas l'agriculture.
Mais
qui a dit que le véganisme allait sauver l'agriculture ? Voilà
un argument étrange qui est d'autant plus facile à combattre
qu'aucun végane ne l'a vraiment défendu. Mais cela permet à Ariès,
Denhez et Porcher de défendre le fumier comme un facteur important
dans l'agronomie. En oubliant complaisamment de dire que les
déjections animales, le lisier de porc notamment, sont devenues dans
nos sociétés un problème écologique considérable. Cela contamine
les nappes phréatiques, les cours d'eau et les mers avec le problème
de l'eutrophisation et des marées vertes qui détruisent la
biodiversité. Le problème est particulièrement criant en Bretagne
qui compte un grand nombre d'élevages industriels de porc.
Ariès,
Denhez et Porcher affirment dogmatiquement que l'agriculture sans
élevage épuisent forcément les sols. « Ce
sont des rendements ridicules pour un travail de forçat car le
compost de légumes est bien moins efficace pour faire pousser des
légumes que le fumier animal ».
Encore une fois : aucune mention des problèmes environnementaux
colossaux dus à l'excès d'épandage de lisier. Mais aussi :
aucune envie de trouver des solutions alternatives qui sont pourtant
bien présentes. Je pense notamment au fumier que l'on produirait à
partir des excréments humains. Aujourd'hui, tout est envoyé à
l'égout, mais pourquoi ne pas changer de modèle et utiliser ces
déjections humaines comme engrais naturels pour l'agriculture ?
Par ailleurs, il ne m'apparaît pas contradictoire de garder un petit
nombre d'animaux de ferme comme « producteur de fumier »
du moment qu'on ne tue pas ces bêtes, qu'on ne les maltraite pas et
qu'on ne les exploite pas honteusement.
Maintenant,
je ne suis pas agronome, et il ne m'appartient pas de dire comment se
passer de fumier. Certains y pensent déjà concrètement en
défendant une agriculture végane sans recours aux produits de
l'élevage. Il est évident aussi que les agronomes d'aujourd'hui
n'ont pas beaucoup réfléchi à cette question tant la présence de
l'élevage leur semble évidente dans le paysage actuel du monde
agricole. Mais qui sait si les agronomes de demain ne se pencheront
pas sérieusement sur la question dans un avenir que j'espère proche
et trouveront des solutions adéquates à ces nouveaux défis pour
une agriculture désolidarisée de l'élevage ?
-
4°) Le véganisme ne sauvera pas notre santé.
Paul Ariès, Frédéric Denhez et Jocelyne Porcher commencent par
essayer de minimiser les études embarrassantes qui montrent une
corrélation forte entre consommation importante de viande et
cancers. C'est parce que ces études ont été menées en Chine et
aux États-Unis, disent-ils, sans réfuter les études pour autant.
Et si les végétariens et les véganes ont une espérance de vie
plus élevée, c'est parce qu'ils font du sport, ont un mode de vie
zen et surveillent mieux leur alimentation, disent-ils. On navigue en
plein milieux des clichés les plus éculés sur les végétariens et
les véganes : des ascètes et des fanatiques d'un mode de vie
sain. Mais cela revient à nier complètement la diversité des
végétariens et des véganes : s'abstenir de viande ne veut pas
qu'on s'abstient nécessairement de boire de l'alcool, de fumer du
tabac, de faire la fête jusqu'à pas d'heure et de rester dans son
canapé en s'enfilant les épisodes de sa série préférée.
Certains véganes et végétariens surveillent leur santé, d'autres
pas du tout.
Ensuite,
Ariès, Denhez et Porcher sombrent dans la malveillance dogmatique
quand ils calomnient les véganes et leur régime alimentaire :
« En comparaison, manger
végan, l’absolu des régimes «sans», c’est se condamner à
ingurgiter beaucoup de produits transformés, c’est-à-dire des
assemblages de molécules pour mimer ce qu’on a supprimé. Sans
omettre d’ajouter la précieuse vitamine B12 à son alimentation.
Car sans elle, comme le montrent de nombreux témoignages
d’ex-végans, ce régime ultra-sans détruit irrémédiablement la
santé, à commencer par celle de l’esprit ».
1ère
remarque : d'abord, la formule « l'absolu
des régimes "sans" »
ne signifie rien du tout. Il y a toutes sortes de régimes « sans »,
comme le régime sans gluten, le régime sans aliments cuits
(crudivorisme), des régimes sans telle ou telle graisse, des régimes
sans ceci ou cela. Le véganisme est un régime sans produits
animaux, voilà tout. Ce n'est certainement pas le plus extrême des
régimes, ni le plus difficile à tenir, ni le plus restrictif.
2ème
remarque : non, les véganes ne sont pas condamnés à
« ingurgiter beaucoup de
produits transformés, c’est-à-dire des assemblages de molécules
pour mimer ce qu’on a supprimé ».
On peut trouver ces protéines dans des lentilles, des pois-chiches
et d'autres légumineuses pour en donner qu'un exemple. Rien
n'interdit à un végane de manger de manière très naturelle et
très saine. Maintenant, nous vivons dans une société où surabonde
dans les supermarchés les produits alimentaires transformés, pas
seulement pour les véganes, mais pour tout le monde. La tentation
peut donc être grande pour un végane de manger un burger végane
tout comme un omnivore aura peut-être la tentation de manger chez
McDonald ou Burger King un burger carné. Il ne m'appartient de juger
ici ces comportements alimentaires. Je veux juste dire que ce n'est
pas une nécessité et que les adeptes de la simplicité et de la
frugalité peuvent très bien s'en passer, même s'ils sont véganes.
3ème
remarque : la fameuse vitamine B12 qui cristallise tant et tant
d'enjeux idéologiques... Rappelons simplement que nous vivons dans
une société où il est courant de se complémenter en toutes sortes
de choses (vitamines diverses et variées, iode, oligo-éléments,
calcium, etc, etc...). Donc je ne vois où est le problème à se
complémenter en vitamine B12. D'autant que les mangeurs de viande
doivent savoir que le bétail des élevages industriels est lui-même
complémenté en vitamine B12. Donc à ce jeu-là, la nourriture
carnée est aussi « artificielle » que la nourriture
végane. Je me contenterai de rappeler ici l'intérêt pour les
véganes de se complémenter en vitamine B12 et de dire que ce n'est
pas la peine d'en faire toute une histoire...
4ème
remarque : le véganisme détruirait irrémédiablement la
santé, selon Ariès, Denhez et Porcher, mais pas la consommation de
viande qui engendre pourtant des cancers... Face à ce genre de
calomnie pure, rappelons simplement la
position
de l'Académie américaine de Nutrition et de Diététique
sur
le sujet :
« La
position de l'Académie de Nutrition et de Diététique est que les
régimes végétariens appropriés, y compris le véganisme, sont
d'un point de vue nutritionnel adéquats et peut procurer des
bénéfices pour la santé dans le traitement de certaines maladies.
Ces régimes sont appropriés à tous les stades de la vie, ce qui
inclut la grossesse, l'allaitement, la prime enfance, l'enfance,
l'adolescence, l'âge adulte, ainsi que pour les athlètes »
(décembre 2016) ».
Il me semble que c'est très clair : pas besoin de long discours
pour démontrer l'absurdité de l'anti-véganisme des auteurs de la
tribune.
L214 |
Élevage
et sous-alimentation :
Élevage
et gaspillage des aliments :
Sur
le véganisme et la nutrition :
La
position de l'ADA (Académie américaine de Nutrition et Diététique)
traduite en français :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire