Discours et pratique
Il
y a deux ans, j'avais retrouvé une amie que je n'avais pas vue depuis
des années. Entre autres discussions sur nos vies respectives, je
lui avais expliqué que je rédigeais un blog : « Le
Reflet de la Lune ». Elle s'était donné la peine de lire
quelques uns de mes articles sur la méditation et la philosophie
bouddhique. Et lors de notre rencontre suivante, elle m'avait demandé
si ce que j'écrivais, je le mettais en pratique ou si c'était de la
pure théorie. En fait, j'étais assez désarçonné par cette
question tant la réponse me paraissait évidente : oui, bien
sûr, je mets en pratique tout ce que j'écris. Je n'écris jamais
des discours purement théoriques sur la méditation. Je n'ai pas un
intérêt purement intellectuel concernant les différents stades et
pratiques de la méditation, c'est quelque chose que je pratique tous
les jours, que ce soit sur un coussin de méditation, dans les bois,
en haut d'une colline, sous un arbre, et même dans de nombreux
moments de ma vie quotidienne. Cela me paraissait à moi absolument
évident, mais cela m'a fait prendre conscience que cela ne l'était
pas nécessairement pour tout le monde, pour les gens qui
découvriraient le Reflet de la Lune notamment.
Quand
je parle de différents points de la philosophie bouddhique, ce n'est
jamais d'un point de vue complètement théorique. Ce que j'écris
doit entrer en résonance avec mon vécu. Je sais que, dans le monde
spirituel, beaucoup de gens aiment s'écouter parler et faire de
grand discours sur des choses qu'ils ne mettent jamais en pratique.
Je me souviens, il y a des années, d'avoir regardé un reportage sur
France 3 à propos des églises à la campagne. Le journaliste sur le
perron d'une église attendait que les fidèles sortent de la messe.
Il avait d'abord interviewé une dame très bien habillée, élégante
et sophistiquée et lui avait demandé si assister à la messe était
important pour elle et si elle mettait en pratique ce que le curé
racontait dans ses prêches. Elle avait répondu très sûre d'elle :
« bien sûr » à cette question. Le journaliste avait
ensuite posé la même question à un jeune couple, tous les deux
beaucoup plus simples, et ils avaient répondu : « on
essaye... ». Si je devais parier, je miserai sans hésiter sur
ce couple pour dire que c'était eux qui étaient dans les faits les
plus proches de l'enseignement de Jésus Christ.
Pour
ma part, j'essaye de ne pas tomber dans le discours purement
rhétorique, de belles paroles, mais qui seraient complètement
contraires à ce que je fais dans la vie de tous les jours. Par
exemple, je considère la générosité et l'altruisme comme des
valeurs essentielles pour l'humanité ; mais je ne prétends pas
incarner non plus une forme d'abnégation totale. J'essaye
sincèrement d'être plus généreux et plus altruiste dans la vie de
tous les jours ; mais justement le fait d'essayer concrètement
d'aider et de servir les autres me fait d'autant plus prendre
conscience de mes limites : il y a beaucoup de moments où j'ai
besoin de penser à moi plutôt que de vouloir à tout prix me
sacrifier pour les autres. Et donc j'essaye d'interroger
philosophiquement cette limite que je découvre dans ma pratique
concrète. C'était notamment le thème d'un article d'octobre 2015,
intitulé : « Notre
relation aux autres », qui partait d'une citation d'un
rabbin de l'Antiquité, Hillel, et qui interrogeait cet équilibre à
trouver entre la défense à autrui et la recherche de l'intérêt
d'autrui, pour enfin mettre cela en relation avec le vœu des
bodhisattvas tel qu'il est notamment exprimé par le philosophe
bouddhique Shāntideva.
Cela
n'est qu'un exemple parmi d'autres. Le message que je veux faire
passer, c'est que je conçois la philosophie comme n'étant pas
seulement un discours plus ou moins savant, plus ou moins complexe,
plus ou moins illisible, qui est ou que l'on voudrait inspiré par la
seule Raison. Je conçois la philosophie comme devant s'incarner dans
la vie, même si parfois cette vie résiste à nos tentatives de
changement ou nous met en face de contradictions. Il n'y a pas d'un
côté la philosophie que l'on enseigne dans les école ou à
l'université, et qui nous sert à sortir de bons mots dans des
dîners mondains, et de l'autre, la vie quotidienne avec ses tracas
et ses soucis où l'abstraction philosophique n'aurait plus sa place.
« Il y a bien de nos
jours des professeurs de philosophie, mais peu de philosophes »
disait Henry David Thoreau. La philosophie doit nous aider à
transformer notre être et notre vie ; mais le fait même que la
vie résiste de telle ou telle manière doit nous inspirer d'une part
d'autres interrogations philosophiques, d'autre part plus d'empathie
avec les difficultés des autres et plus de compréhension envers
eux.
Frédéric Leblanc,
le 22 août 2018.
Gianni Berengo Gardin, Catane, 2001. |
Voir aussi :
- Contradictions (Montaigne)
- Rien de certain (Pline l'Ancien)
- Blaise Pascal, Epictète, Montaigne et la question du stoïcisme au XVIIe siècle
- Je ne peins pas l'être, je peins le passage (Montaigne)
- la forme entière de l'humaine condition (Montaigne)
- nonchalant de la mort comme de son jardin (Montaigne)
- Vivre, la plus illustre de vos occupations (Montaigne)
- Il n'y a pas de remède à l'amour (Henry David Thoreau)
- tuer le temps (Henry David Thoreau)
- les feuilles de l'aune et du peuplier (Henry David Thoreau)
Arthur Francis - chouettes effraies - Norwich |
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Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Merci! Pour votre sincérité ! C'est ce que j'ai ressenti, en lisant vos réflexions..vos textes... Cela me guide! Dans cette vie, me rassure!quand je découvre cette sensibilité lucide, qui vient doucement lorsque la méditation s'accorde au jour, le jour, pour parfaire notre souffle!...j'espère, Jean , permettez - moi, suivre votre blog..aussi longtemps qu'il existera...pour accompagner et parfaire mes enseignements dans la voie ...et sur la voie...pour le bien être d'autrui ! 🥀
RépondreSupprimerMerci mille fois, Annie Cerisier, pour vos encouragements qui me font chaud au cœur !
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