Je
ne suis pas un amoureux des animaux,
Et
pourtant je suis vegan...
Extrait
de la préface de 1975 de la « Libération animale » de
Peter Singer.
(éd.
Grasset, traduit par Louise Rousselle, 1993, pp. 9-11)
Peter Singer |
Quand
nous arrivâmes, l'amie de notre hôtesse nous attendait, et elle
était très impatiente effectivement de parler des animaux. « Je
les aime tant, commença-t-elle. J'ai un chien et deux chats et
savez-vous qu'ils s'entendent à merveille ? Vous connaisez Mrs
Scott ? Elle tient un petit hôpital pour chiens et chats
malades... » - et la voilà lancée. Elle s'interrompit
lorsqu'on servit les rafraîchissements, prit un sandwich au jambon,
et nous demanda quels animaux nous avions.
Nous
lui dîmes que nous n'avions pas d'animaux. Elle parut un peu
surprise, et mordit dans son sandwich. Notre hôtesse, qui avait fini
de servir les sandwichs, se joignit à nous et s'inséra dans la
conversation : « Mais vous vous intéressez bien aux
animaux, n'est-ce pas, monsieur Singer ? »
Nous
tentâmes d'expliquer que nous nous intéressions à prévenir la
souffrance et le malheur ; que nous étions opposés à la
discrimination arbitraire ; que nous considérions comme mal
d'infliger des souffrances non-nécessaires à un autre être, même
quand cet être n'est pas membre de notre espèce ; et que nous
pensions que les animaux étaient implacablement et cruellement
exploités par les humains, et que nous voulions que cela cesse. En
dehors de cela, avons-nous dit, nous n'étions pas particulièrement
« intéressés » par les animaux ; ni mon épouse,
ni moi n'avions jamais été spécialement passionnés par les
chiens, les chats ou les chevaux comme le sont bien des gens. Nous
n' « aimions » pas les animaux. Nous voulions
simplement qu'ils soient traités comme les êtres sensibles
indépendants qu'ils sont, et non comme des moyens pour les fins
humaines – comme l'avait été le porc dont la chair se retrouvait
maintenant dans les sandwichs de notre hôte.
Elke Vogelsang |
Ce
livre ne traite pas des animaux de compagnie. La lecture n'en sera
sans doute pas confortable pour ceux qui pensent qu'aimer les animaux
n'implique rien de plus que de caresser un chat ou de nourrir les
oiseaux dans le jardin. Il s'adresse plutôt aux gens qui sont
motivés pour faire cesser l'oppression et l'exploitation où
qu'elles sévissent, et pour faire que le principe moral fondamental
d'égale considération des intérêts ne soit plus arbitrairement
limités aux seuls membre de notre propre espèce. La présupposition
selon laquelle pour s'intéresser à de telles questions on devrait
être un « amoureux des animaux » indique déjà combien
on peut être loin d'imaginer que les normes morales que nous
appliquons entre humains pourraient s'étendre aux animaux. Personne,
hormis le raciste qui cherche à salir ses adversaires en les
traitant « d'amoureux des nègres », ne suggérait que
pour se préoccuper de la question de l'égalité pour les minorités
raciales maltraitées il nous faille aimer ces minorités, ou
en trouver les membres gentils et mignons. Pourquoi donc devrait-on
présupposer cela de ceux qui travaillent à l'amélioration du sort
des non-humains ?
L'image
qui dépeint ceux qui protestent contre la cruauté envers les
animaux comme autant « d'amoureux des animaux »
sentimentaux et émotifs a eu pour effet d'exclure du domaine de la
discussion morale et politique sérieuse la totalité du problème de
notre traitement des non-humains. Il est facile de voir pourquoi nous
avons fait cela. Si nous acceptions de prendre le problème au
sérieux, si, par exemple, nous examinions de plus près les
conditions où vivent les animaux dans les « fermes-usines »
modernes qui produisent notre viande, nous pourrions nous retrouver
mal à l'aise devant des sandwichs au jambon, des rôtis de bœuf,
des poulets fris, et tous ces autres articles de notre alimentation
que nous préférons ne pas nous représenter comme étant de
l'animal mort.
On
ne trouvera pas dans ce livre d'appels sentimentaux à la sympathie
pour les animaux « mignons ». L'abattage des chevaux ou
des chiens ne me scandalise pas plus que l'abattage des porcs.
Adrien Ehrhardt |
J'aime
ce passage de Peter Singer, parce qu'il implique l'idée que l'on
puisse parfaitement être végétarien ou mieux encore végan, sans pour
autant être un « amoureux de animaux ». Comme Peter
Singer en 1975, je n'ai pas d'animal domestique chez moi. Parfois je
me sens un peu un martien parmi des militants du véganisme et de la
cause animale, parce que je n'ai pas d'animaux et que je ne m'occupe
pas de chats ou de chiens abandonnés, quand ce n'est pas le sort des
chevaux en fin de vie ou maltraités qui devrait me faire bondir à
la rescousse. Non, on ne peut pas dire que je suis une « amoureux
des animaux ». Globalement, le sort des animaux m'indiffère.
Je n'aime pas que l'on fasse souffrir un animal devant moi ou qu'on
le maltraite. Mais je ne me sens pas pour autant investi d'une
mission qui serait de sauver la masse colossale des animaux en proie
à la terrible oppression des hommes. Non, je ne suis pas un amoureux
des animaux, et pourtant je suis vegan : je m'abstiens de
viande, de poisson, mais aussi des produits animaux que sont le lait,
le fromage, les œufs...
En
fait, le véganisme est pour un moi un moyen de ne pas m'impliquer
envers les animaux. En mangeant de la viande ou des produits animaux,
on s'implique dans la souffrance causée aux animaux et la cruauté à
leur égard. En s'abstenant de la viande et des produits animaux, on
ne s'implique pas dans cette souffrance et cette cruauté. Les
animaux m'indiffèrent, mais voir leur souffrance me met profondément
mal à l'aise. Je préfère ne pas être confronté à leur douleur.
De la même façon que voir la douleur est dérangeant, savoir que
les animaux souffrent est aussi dérangeant, d'autant plus quand ce
sont nos actions qui impliquent cette douleur. La plupart des gens se
barricadent alors dans l'ignorance avec la complicité malveillante
de l’État, des élevages industriels et des abattoirs qui font le
sale boulot à notre place et qui en retirent du profit tout en
gardant les méthodes d'élevage et d'abattage cachées derrière de
hauts murs. Pour qu'on ne puisse pas savoir et parce qu'on ne veut
pas savoir. Mais tout cela est un jeu de dupe ! On finit par
savoir ; il suffit de visionner le documentaire « Earthling »
(Terrien) ou se promener sur le site de L214 ou de Peta pour avoir
un aperçu exhaustif des horreurs que l'on inflige aux animaux. Et
même quand on est indifférent au sort des animaux, cela reste
excessivement dérangeant. Pourquoi infliger de pareilles atrocités
aux animaux ?
En
fait, si on veut éviter cette lancinante question, plutôt que de la
refouler dans l'ignorance consentie et/ou subie, il vaut mieux
s'abstenir de consommer de la viande ou des produits animaux. C'est
bien cela que je veux dire quand je dis : « ne pas être
impliqué dans le sort des animaux » !
Un
argument que l'on entend souvent à l'encontre des mouvements de
libération animale est ce que j'appellerai « l'argument
humaniste » : il y a tellement de souffrances parmi la
population humaine, tellement de misères, tellement d'injustices,
tellement de drames, tellement de tragédies qu'il est presque
indécent de défendre la cause des animaux. En dehors du fait que
l'un n'empêche pas l'autre (on peut très bien s'engager en faveur
des animaux ET des êtres humains, on peut à la fois militer
pour Amnesty International ET pour L214), je suis assez
d'accord avec cette affirmation : le sort des hommes me semble
plus important que celui des animaux. Je me sens personnellement plus
concerné, par exemple, par la tragédie actuelle en Syrie et en Irak
que par la cruauté affichée lors des corridas où certains
aficionados se repaissent d'un jeu où l'on met à mort un taureau.
Pour
autant, le fait de sentir plus concerné par le sort des êtres
humains et ce qu'ils peuvent endurer d'injustices et de misères ne
doit pas nous faire perdre de vue cet engagement minimal en faveur
des animaux qui est de s'abstenir de les manger ou de participer à
des activités qui impliquent leur souffrance (la corrida par
exemple, ce jeu malsain et truqué, mise en scène sordide de la mort
d'un taureau). Surtout que le véganisme implique des conséquences
favorables aussi en faveur des êtres humains. L'élevage nécessite
de mobiliser des ressources agricoles importantes pour nourrir le
bétail et les animaux d'élevage. Toute la vie de l'animal, il faut
le nourrir ; et forcément, le maïs, le soja ou les pâtures
qui vont servir à nourrir ce bétail, ce sera autant de surfaces
agricoles en moins pour nourrir l'humanité. Pour produire 1 kg de
viande, il faut la même surface agricole que pour cultiver 200 kg de
tomate, 160 kg de pomme de terre ou 80 kg de pommes. On comprend que
l'élevage et la production de la viande mettent une pression
colossale sur les réserves alimentaires mondiales dans un monde où
tout le monde ne mange pas à sa faim. Réduire, voire supprimer sa
consommation de la viande est en soi un acte humanitaire.
Pareillement,
la production de la viande rentre pour une grande part dans les
émissions de gaz à effet de serre. Il faut des quantités
considérables d'eau potable pour produire de la viande dans un monde
où beaucoup de gens manquent cruellement de cette ressources. La
production de la viande a un impact très négatif en matière de
pollution des sols, pollution des cours d'eau et pollution des mers.
L'élevage rejette des quantités considérables de lisiers qui
viennent eutrophiser l'eau des cours d'eau et des rivages marins
comme en Bretagne. L'Amazonie brûle présentement pour laisser la
place des pâtures pour l'élevage intensif et pour faire pousser des
champs des maïs ou de soja transgénique qui viendront nourrir le
bétail européen.
Enfin,
la consommation de viande est excessivement mauvaise pour notre santé
et augmente les risques de cancer du colon, du cancer colorectal et
les risques de maladies cardiovasculaires. Les élevages intensifs
abusent considérablement des antibiotiques pour permettre à des
milliers d'animaux de vivre extrêmement restreint et confinés. Cela
a toutes sortes d'impact sur l'homme ; puisque les microbes
deviennent beaucoup plus résistants à ces antibiotiques quand il
s'agit de l'administrer à l'homme.
La
question de la libération animale n'est donc pas seulement une
question pour les amoureux des animaux. C'est aussi une question qui
touche notre raison : est-il vraiment sensé de continuer de
faire souffrir les animaux de manière absurde puisqu'on peut très
bien se passer de la consommation de produits animaux ? Et
peut-on continuer à consommer des produits animaux quand on sait
tous les impacts négatifs que cette production de produits animaux
peut avoir sur les hommes et les femmes de cette planète Terre ?
Bai Wenshu, le 16 novembre 2014
Voir aussi "S'occuper aussi des animaux" de Matthieu Ricard ici.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme ici.
Bai Wenshu, le 16 novembre 2014
Voir aussi "S'occuper aussi des animaux" de Matthieu Ricard ici.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici..
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme ici.
Elke Vogelsang |
Je continue mon exploration de ce blog. Par rapport à cet article, je dirais que je me sens davantage concerné, pour ma part, par les animaux que par les humains, éprouvant compassion immense à leur égard et un amour sincère, au sens bouddhiste de leur souhaiter inconditionnellement le bonheur et les causes du bonheur. Je regrette le procès en sentimentalisme fait à l'amoureux des animaux. Ce n'est pas un mal d'aimer, de souhaiter la félicité ? Quant aux humains, je ne sais pas toujours exactement comment m'y prendre avec eux, je suis partie prenante dans l'espèce humaine mais je n'ai pas l'impression d'avoir ma place (je me sens peut-être plus proche des animaux sans doute), alors, je m'implique moins qu'avec les animaux, ce qui ne m'empêche pas de ressentir de la compassion également pour le êtres humains souffrants mais je dirais que c'est plus conditionnel qu'avec les animaux. Je suis loin d'être équanime... mais je me soigne. Merci encore pour cet article.
RépondreSupprimer