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dimanche 16 novembre 2014

Je ne suis pas un amoureux des animaux...

Je ne suis pas un amoureux des animaux,
Et pourtant je suis vegan...

Extrait de la préface de 1975 de la « Libération animale » de Peter Singer.
(éd. Grasset, traduit par Louise Rousselle, 1993, pp. 9-11)

Peter Singer
    J'avais depuis peu entrepris cet ouvrage lorsque nous fûmes invités, mon épouse et moi, à prendre le thé - nous vivions à l'époque en Angleterre - par une dame qui avait entendu que je projetais d'écrire au sujet des animaux. Elle-même s'intéressait beaucoup aux animaux, nous dit-elle, et elle avait une amie qui avait déjà écrit sur eux et qui serait si heureuse de nous rencontrer.

   Quand nous arrivâmes, l'amie de notre hôtesse nous attendait, et elle était très impatiente effectivement de parler des animaux. « Je les aime tant, commença-t-elle. J'ai un chien et deux chats et savez-vous qu'ils s'entendent à merveille ? Vous connaisez Mrs Scott ? Elle tient un petit hôpital pour chiens et chats malades... » - et la voilà lancée. Elle s'interrompit lorsqu'on servit les rafraîchissements, prit un sandwich au jambon, et nous demanda quels animaux nous avions.


    Nous lui dîmes que nous n'avions pas d'animaux. Elle parut un peu surprise, et mordit dans son sandwich. Notre hôtesse, qui avait fini de servir les sandwichs, se joignit à nous et s'inséra dans la conversation : « Mais vous vous intéressez bien aux animaux, n'est-ce pas, monsieur Singer ? »

    Nous tentâmes d'expliquer que nous nous intéressions à prévenir la souffrance et le malheur ; que nous étions opposés à la discrimination arbitraire ; que nous considérions comme mal d'infliger des souffrances non-nécessaires à un autre être, même quand cet être n'est pas membre de notre espèce ; et que nous pensions que les animaux étaient implacablement et cruellement exploités par les humains, et que nous voulions que cela cesse. En dehors de cela, avons-nous dit, nous n'étions pas particulièrement « intéressés » par les animaux ; ni mon épouse, ni moi n'avions jamais été spécialement passionnés par les chiens, les chats ou les chevaux comme le sont bien des gens. Nous n' « aimions » pas les animaux. Nous voulions simplement qu'ils soient traités comme les êtres sensibles indépendants qu'ils sont, et non comme des moyens pour les fins humaines – comme l'avait été le porc dont la chair se retrouvait maintenant dans les sandwichs de notre hôte.


Elke Vogelsang


     Ce livre ne traite pas des animaux de compagnie. La lecture n'en sera sans doute pas confortable pour ceux qui pensent qu'aimer les animaux n'implique rien de plus que de caresser un chat ou de nourrir les oiseaux dans le jardin. Il s'adresse plutôt aux gens qui sont motivés pour faire cesser l'oppression et l'exploitation où qu'elles sévissent, et pour faire que le principe moral fondamental d'égale considération des intérêts ne soit plus arbitrairement limités aux seuls membre de notre propre espèce. La présupposition selon laquelle pour s'intéresser à de telles questions on devrait être un « amoureux des animaux » indique déjà combien on peut être loin d'imaginer que les normes morales que nous appliquons entre humains pourraient s'étendre aux animaux. Personne, hormis le raciste qui cherche à salir ses adversaires en les traitant « d'amoureux des nègres », ne suggérait que pour se préoccuper de la question de l'égalité pour les minorités raciales maltraitées il nous faille aimer ces minorités, ou en trouver les membres gentils et mignons. Pourquoi donc devrait-on présupposer cela de ceux qui travaillent à l'amélioration du sort des non-humains ?

    L'image qui dépeint ceux qui protestent contre la cruauté envers les animaux comme autant « d'amoureux des animaux » sentimentaux et émotifs a eu pour effet d'exclure du domaine de la discussion morale et politique sérieuse la totalité du problème de notre traitement des non-humains. Il est facile de voir pourquoi nous avons fait cela. Si nous acceptions de prendre le problème au sérieux, si, par exemple, nous examinions de plus près les conditions où vivent les animaux dans les « fermes-usines » modernes qui produisent notre viande, nous pourrions nous retrouver mal à l'aise devant des sandwichs au jambon, des rôtis de bœuf, des poulets fris, et tous ces autres articles de notre alimentation que nous préférons ne pas nous représenter comme étant de l'animal mort.

     On ne trouvera pas dans ce livre d'appels sentimentaux à la sympathie pour les animaux « mignons ». L'abattage des chevaux ou des chiens ne me scandalise pas plus que l'abattage des porcs.

Adrien Ehrhardt





    J'aime ce passage de Peter Singer, parce qu'il implique l'idée que l'on puisse parfaitement être végétarien ou mieux encore végan, sans pour autant être un « amoureux de animaux ». Comme Peter Singer en 1975, je n'ai pas d'animal domestique chez moi. Parfois je me sens un peu un martien parmi des militants du véganisme et de la cause animale, parce que je n'ai pas d'animaux et que je ne m'occupe pas de chats ou de chiens abandonnés, quand ce n'est pas le sort des chevaux en fin de vie ou maltraités qui devrait me faire bondir à la rescousse. Non, on ne peut pas dire que je suis une « amoureux des animaux ». Globalement, le sort des animaux m'indiffère. Je n'aime pas que l'on fasse souffrir un animal devant moi ou qu'on le maltraite. Mais je ne me sens pas pour autant investi d'une mission qui serait de sauver la masse colossale des animaux en proie à la terrible oppression des hommes. Non, je ne suis pas un amoureux des animaux, et pourtant je suis vegan : je m'abstiens de viande, de poisson, mais aussi des produits animaux que sont le lait, le fromage, les œufs...

    En fait, le véganisme est pour un moi un moyen de ne pas m'impliquer envers les animaux. En mangeant de la viande ou des produits animaux, on s'implique dans la souffrance causée aux animaux et la cruauté à leur égard. En s'abstenant de la viande et des produits animaux, on ne s'implique pas dans cette souffrance et cette cruauté. Les animaux m'indiffèrent, mais voir leur souffrance me met profondément mal à l'aise. Je préfère ne pas être confronté à leur douleur. De la même façon que voir la douleur est dérangeant, savoir que les animaux souffrent est aussi dérangeant, d'autant plus quand ce sont nos actions qui impliquent cette douleur. La plupart des gens se barricadent alors dans l'ignorance avec la complicité malveillante de l’État, des élevages industriels et des abattoirs qui font le sale boulot à notre place et qui en retirent du profit tout en gardant les méthodes d'élevage et d'abattage cachées derrière de hauts murs. Pour qu'on ne puisse pas savoir et parce qu'on ne veut pas savoir. Mais tout cela est un jeu de dupe ! On finit par savoir ; il suffit de visionner le documentaire « Earthling » (Terrien) ou se promener sur le site de L214 ou de Peta pour avoir un aperçu exhaustif des horreurs que l'on inflige aux animaux. Et même quand on est indifférent au sort des animaux, cela reste excessivement dérangeant. Pourquoi infliger de pareilles atrocités aux animaux ?

    En fait, si on veut éviter cette lancinante question, plutôt que de la refouler dans l'ignorance consentie et/ou subie, il vaut mieux s'abstenir de consommer de la viande ou des produits animaux. C'est bien cela que je veux dire quand je dis : « ne pas être impliqué dans le sort des animaux » !

   Un argument que l'on entend souvent à l'encontre des mouvements de libération animale est ce que j'appellerai « l'argument humaniste » : il y a tellement de souffrances parmi la population humaine, tellement de misères, tellement d'injustices, tellement de drames, tellement de tragédies qu'il est presque indécent de défendre la cause des animaux. En dehors du fait que l'un n'empêche pas l'autre (on peut très bien s'engager en faveur des animaux ET des êtres humains, on peut à la fois militer pour Amnesty International ET pour L214), je suis assez d'accord avec cette affirmation : le sort des hommes me semble plus important que celui des animaux. Je me sens personnellement plus concerné, par exemple, par la tragédie actuelle en Syrie et en Irak que par la cruauté affichée lors des corridas où certains aficionados se repaissent d'un jeu où l'on met à mort un taureau.

    Pour autant, le fait de sentir plus concerné par le sort des êtres humains et ce qu'ils peuvent endurer d'injustices et de misères ne doit pas nous faire perdre de vue cet engagement minimal en faveur des animaux qui est de s'abstenir de les manger ou de participer à des activités qui impliquent leur souffrance (la corrida par exemple, ce jeu malsain et truqué, mise en scène sordide de la mort d'un taureau). Surtout que le véganisme implique des conséquences favorables aussi en faveur des êtres humains. L'élevage nécessite de mobiliser des ressources agricoles importantes pour nourrir le bétail et les animaux d'élevage. Toute la vie de l'animal, il faut le nourrir ; et forcément, le maïs, le soja ou les pâtures qui vont servir à nourrir ce bétail, ce sera autant de surfaces agricoles en moins pour nourrir l'humanité. Pour produire 1 kg de viande, il faut la même surface agricole que pour cultiver 200 kg de tomate, 160 kg de pomme de terre ou 80 kg de pommes. On comprend que l'élevage et la production de la viande mettent une pression colossale sur les réserves alimentaires mondiales dans un monde où tout le monde ne mange pas à sa faim. Réduire, voire supprimer sa consommation de la viande est en soi un acte humanitaire.

    Pareillement, la production de la viande rentre pour une grande part dans les émissions de gaz à effet de serre. Il faut des quantités considérables d'eau potable pour produire de la viande dans un monde où beaucoup de gens manquent cruellement de cette ressources. La production de la viande a un impact très négatif en matière de pollution des sols, pollution des cours d'eau et pollution des mers. L'élevage rejette des quantités considérables de lisiers qui viennent eutrophiser l'eau des cours d'eau et des rivages marins comme en Bretagne. L'Amazonie brûle présentement pour laisser la place des pâtures pour l'élevage intensif et pour faire pousser des champs des maïs ou de soja transgénique qui viendront nourrir le bétail européen.

   Enfin, la consommation de viande est excessivement mauvaise pour notre santé et augmente les risques de cancer du colon, du cancer colorectal et les risques de maladies cardiovasculaires. Les élevages intensifs abusent considérablement des antibiotiques pour permettre à des milliers d'animaux de vivre extrêmement restreint et confinés. Cela a toutes sortes d'impact sur l'homme ; puisque les microbes deviennent beaucoup plus résistants à ces antibiotiques quand il s'agit de l'administrer à l'homme.


  La question de la libération animale n'est donc pas seulement une question pour les amoureux des animaux. C'est aussi une question qui touche notre raison : est-il vraiment sensé de continuer de faire souffrir les animaux de manière absurde puisqu'on peut très bien se passer de la consommation de produits animaux ? Et peut-on continuer à consommer des produits animaux quand on sait tous les impacts négatifs que cette production de produits animaux peut avoir sur les hommes et les femmes de cette planète Terre ?    

Bai Wenshu, le 16 novembre 2014



Voir aussi "S'occuper aussi des animaux" de Matthieu Ricard ici.


Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici..

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme ici.

Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.


Elke Vogelsang

1 commentaire:

  1. Je continue mon exploration de ce blog. Par rapport à cet article, je dirais que je me sens davantage concerné, pour ma part, par les animaux que par les humains, éprouvant compassion immense à leur égard et un amour sincère, au sens bouddhiste de leur souhaiter inconditionnellement le bonheur et les causes du bonheur. Je regrette le procès en sentimentalisme fait à l'amoureux des animaux. Ce n'est pas un mal d'aimer, de souhaiter la félicité ? Quant aux humains, je ne sais pas toujours exactement comment m'y prendre avec eux, je suis partie prenante dans l'espèce humaine mais je n'ai pas l'impression d'avoir ma place (je me sens peut-être plus proche des animaux sans doute), alors, je m'implique moins qu'avec les animaux, ce qui ne m'empêche pas de ressentir de la compassion également pour le êtres humains souffrants mais je dirais que c'est plus conditionnel qu'avec les animaux. Je suis loin d'être équanime... mais je me soigne. Merci encore pour cet article.

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