je marche le long d'un
cours d'eau, cherchant sa source
j'arrive là où la
source semble commencer, perplexe,
réalisant qu'on atteint
jamais la source véritable
appuyé à ma canne,
partout autour le murmure de l'eau
Ryokan
Killian Shönberger |
La métaphore du fleuve
ou de la rivière parle beaucoup à ceux qui suivent la Voie du
Bouddha comme elle parlait à Héraclite durant l'Antiquité grecque,
pour qui toute chose coule comme un fleuve jamais semblable à
lui-même, ne serait-ce que deux instants consécutifs. C'est la
formule héraclitéenne « Panta rhei » ainsi que
cette autre sentence célèbre : « On ne se baigne
jamais deux fois dans la même rivière ».
Dans le bouddhisme, le
fleuve est plutôt une métaphore de la conscience ou plutôt du flux
de conscience qui suit le fil de nos expériences, car la conscience
n'est pas une entité fixe, immuable et indépendante du monde, mais
plutôt une succession d'instants de conscience de ce que nous
expérimentons à travers les facultés des sens (la vue, l'ouïe,
l'odorat, la saveur, le toucher et le mental qui est lui aussi
considéré comme un sens qui perçoit les idées, les pensées, les
souvenirs, les espoirs, les craintes, les rêves et les produits de
notre imagination, etc...). Comme un fleuve, la conscience n'est
jamais semblable à elle-même, ne serait-ce que deux instants
consécutifs. A ce titre, la conscience est vide d'un Soi ou d'un Moi
permanent, immuable et indépendant. Et comme le fleuve, ce flux de
conscience est quand même pourvu d'une certaine continuité, ce qui
explique que la mémoire de ce que l'on a vécu est notre mémoire,
et pas celle d'un autre. La Seine ou la Meuse ne sont jamais
semblables à elles-mêmes d'un moment à l'autre : l'eau
qu'elles contiennent s'écoulent sans interruption ; pourtant on
peut suivre leurs cours et ne pas confondre la Meuse ou la Seine avec
le Gange ou le Nil.
Les bouddhistes en
tirent aussi une conséquence pratique dans la méditation : ne
pas s'identifier à ce flux de conscience, prendre du recul et
relativiser ce qui nous arrive afin de nous apaiser et trouver une
liberté véritable et profonde dans l'existence. Il faut analyser ce
flux de conscience et comprendre comme il surgit, comment il se
manifeste. Pour cela, il faut développer vipashyana, la vision
pénétrante, une forme d'intuition au-delà de nos pensées
conscientes pour comprendre cette source ou origine de la conscience,
la racine de notre être. Tous les bouddhistes qui s’attellent
sérieusement à la méditation essayent de remonter à cette source,
et parmi eux, les pratiquants du Zen dont Ryôkan est un des
représentants les plus illustres, bien que déconcertant par
ailleurs.
Ce dernier nous met en
garde que ce qui semble être la source de la conscience n'est
peut-être pas la source véritable, tout comme voir surgir l'eau
d'une ouverture d'un rocher dans la forêt n'est peut-être pas la
véritable source. Peut-être faut-il encore explorer et ne pas se
réjouir trop tôt. Dans la méditation, certaines expériences
mystiques vont peut-être sembler être de fantastiques révélations
qui nous donneront l'impression d'avoir compris tous les secrets de
l'univers ; et pourtant, la sagesse nous invitera à ne pas
s'attacher à ces expériences, parce que là n'était pas la source
véritable. S'y attacher nous conduira à toutes sortes de
désillusions et de méprises. Ryôkan constate cela avec une petite
note de dépit, songeur, les deux mains appuyées sur sa canne ;
et puis il passe à autre chose. Le murmure de l'eau qui coule le
rappelle à l'instant présent. Tout comme le murmure de nos pensées
revient très naturellement dans notre conscience qui sort du silence
de la méditation.
Chemin de retour, Nguyen Ngoc Thach |
Ryôkan, Moine errant et poète, Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel/Spiritualités vivantes, Paris, 2012, p. 100.
Ryôkan
Je ne connaissais pas la formule "Panta Rhei" merci à un de ces jours, et please continuez tant que vous le pouvez à poster vos articles qui me font du bon. ( Tartiplume dans la Lune)
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