Une feuille d’érable
montre son envers, son endroit
avant de tomber au sol
Ryôkan (1758 – 1831)
Le Zen est d'abord une
longue méditation sur le caractère passager de notre présence dans
ce monde. Ryôkan compare ici la vie du pratiquant du Dharma à la
chute d'une feuille d'érable. Quelque chose qu'il sait inéluctable
pour avoir longtemps médité sur la mort et l'impermanence, mais
qu'il prend avec douceur, insouciance et nonchalance, car il a appris
à accepter sereinement cette fatalité à laquelle nous sommes
soumis d'avoir à mourir un jour. C'est comme la chute de la feuille
oscillant doucement dans les airs et virevoltante quelques moments
tranquilles avant de toucher le sol.
Et comme la feuille
qui peut présenter l'une ou l'autre de ses faces, l'existence
présente tour à tour deux facettes que le pratiquant du Dharma doit
apprendre à discerner pour développer sa méditation de la vision
profonde qui perce le voile des illusions et de l'ignorance et
réalise la véritable nature des phénomènes. Ces deux facettes,
c'est ce qu'on appelle dans la philosophie bouddhique les « deux
vérités » : la vérité relative et la vérité ultime.
On peut observer l'une ou l'autre de ces deux vérités. La vérité
relative est ce que nous percevons et vivons dans cette existence,
tout ce que nous expérimentons. Dans ma vérité relative, je suis
présentement chez moi en train d'écrire le texte que, dans votre
vérité relative à vous, vous êtes en train de lire à un certain
moment, à un certain endroit et avec un certain état d'esprit qui
est le vôtre en ce moment. La vérité ultime est la vérité nature
de la réalité, indépendamment des subjectivités et des ressentis
de chacun. Dans la vérité ultime, le « je » est une
illusion, la maison dans laquelle je me trouve n'a pas non plus
d'existence ultime et les idées que j'exprime n'ont pas non plus de
fondement dans la vérité ultime.
On emploie ces deux
notions de vérité ultime et de vérité relative pour bien faire
comprendre qu'une chose peut être vraie du point de vue des
apparences de la vérité relative, mais fausse du point de vue de la
vérité ultime. Si on ne gardait que la vérité ultime, on ne
serait peut-être tenté de croire que le « je » ou le
« moi » n'est qu'un pur néant. Pourtant, il y a bien un
« je » du point de vue relatif qui apparaît dans votre
existence. D'un point de vue pratique, on a aussi besoin d'une
identité pour s'y retrouver en société et se reconnaître les uns
les autres ; tout comme nous avons besoin d'identifier les
choses pour pouvoir les utiliser de manière efficace. Mais il ne
faut pas être enfermé dans la vérité relative : parce que
nous nous appelons « Pierre », « Paul » ou
« Jacques », on a tendance à croire que notre « je »
a une réalité absolue, que nous devons avoir un « soi »
permanent et indépendant qui est le support de notre existence.
L'analyse bouddhique montre que c'est une illusion, que notre « je »
peut se décomposer en éléments corporels ou psychiques dont aucun
n'est le « je » à lui tout seul. Seule l'interaction
d'instant et instant de tous ces composants matériels ou psychiques
donne l'impression d'un « je » qui est foncièrement
tangible et réel, mais ce n'est qu'une production qui est créée
par l'interdépendance de tous ces éléments et qui évolue
d'instant en instant. Cette production du « je » dans
notre conscience mentale n'a donc aucun caractère ultime. En vérité
ultime, le « je » est vide d'une existence ultime, même
si, en vérité relative, il y a bien une apparence de « je »
qui se manifeste dans l'existence.
Imaginez que vous
soyez à table et quelqu'un vous demande le sel : si vous êtes
en train de contempler la vérité ultime et que vous répondiez à
votre convive qu'il est impossible de passer le sel, puisqu'il n'y a
aucun « je » existant qui puisse servir le sel, il est
fort vraisemblable que votre convive vous prenne pour un cinglé !
C'est pourquoi il importe de bien savoir distinguer les deux vérités
et de savoir quand l'une s'impose et l'autre s'efface pour ne pas
tomber dans la confusion.
Le méditant qui
observe son existence comme le chute paisible d'une feuille d'érable
sera conscient par moment de la vérité relative quand il sera
plongé dans les activités quotidiennes et qu'il interagira avec
d'autres personnes. Quand il pratiquera par contre zazen, la
méditation assise, il s'éveillera à la conscience de la vérité
ultime. Et peut-être qu'à un certain stade, surgira une intuition
de l'existence comme Ryôkan l'a eue avec la chute de sa feuille
d'érable et il saisira alors intuitivement la présence simultanée
de ces deux vérités. Cela nourrira son être et sa sagesse. Une
douce illumination.
Yamamoto Masao. |
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