Si je
pouvais croquer la terre entière
et lui
trouver un goût,
j'en serais
plus heureux un instant...
Mais ce
n'est pas toujours que je veux être heureux.
Il faut
être malheureux de temps à autre
afin de
pouvoir être naturel....
D'ailleurs
il ne fait pas tous les jours soleil,
et la
pluie, si elle vient à manquer très fort, on l'appelle.
C'est
pourquoi je prends le malheur comme le bonheur,
naturellement,
en homme qui ne s'étonne pas
qu'il y ait
des montagnes et des plaines
avec de
l'herbe et des rochers.
Ce qu'il
faut, c'est qu'on soit naturel et calme
dans le
bonheur comme dans le malheur,
c'est
sentir comme on regarde,
penser
comme l'on marche,
et, à
l'article de la mort, se souvenir que le jour meurt,
que le
couchant est beau, et belle la nuit qui demeure...
Puisqu'il
en est ainsi, ainsi soit-il...
Alberto
Caeiro (alias Fernando Pessoa), Le gardeur de troupeaux, XXI,
Gallimard/Poésie.
Stephanie Guilin, Livermore, USA |
Ce
très beau poème de Fernando Pessoa est un appel vibrant à vivre
plus sereinement la vie comme la mort. La Nature nous pousse à
connaître tant la vie que la mort, tant le bonheur que le malheur ;
et le sage est sage en cela qu'il a appris à accepter cette réalité.
La vie implique de connaître à un moment ou à un autre de la
douleur, la perte, la maladie ou la mort. L'existence connaît des
hauts et des bas tout comme le territoire peut connaître des reliefs
accidentés : cela n'enlève rien à la beauté du paysage.
Accepter
pleinement l'existence. L'amor fati des stoïciens, l'amour du
destin pour tout ce qui arrive, que ce destin soit lumineux ou
sombre. Si l'on refuse la part d'ombre, on ne perd pas la possibilité
de développer le courage, l'endurance et la patience par rapport à
ce qui est pénible, on perd aussi la possibilité de voir s'épanouir
en nous des qualités belles et inattendues. On voudrait que le ciel
soit toujours bleu sans nuages à l'horizon ; mais même si la
pluie nous trempe jusqu'à l'os, elle n'est pas moins une source de
vie pour les arbres et les champs.
Ayant
dit oui à la vie et au monde, cultiver une esthétique de
l'existence où nous avons la sagesse de voir le déclin comme un
soleil couchant et la mort comme une belle nuit étoilée de l'été.
Pour cela, il faut s'être entraîné l'équanimité par rapport aux
sensations plaisantes et déplaisantes et avoir médité sur ce qui
est inévitable dans l'existence : la vieillesse, la maladie et
la mort, de telle façon qu'on soit en mesure de se détacher des
concepts et des notions que l'on rattache toujours à celles-ci :
« sinistre », « sombre », « terrifiant »...
Voir qu'il y a une beauté dans chaque aspect de la vie.
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c'est beau... merci
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