Les journaux le disent,
les hommes politiques le disent, les gens dans les cafés, dans la
rue le disent, certains intellectuels le contestent : « Nous
sommes en guerre », résonne ce slogan un partout en France et
en Europe. Les stratèges militaires précisent sur les plateaux de
télévision : « Oui, c'est une guerre, mais pas n'importe
quel genre de guerre ; non, c'est une guerre asymétrique ! Retenez bien ce mot, les enfants, A-SY-MÉ-TRI-QUE ».
Tout ça pour dire que Daesh n'est pas à proprement parler un État,
même si Daesh est l'acronyme arabe pour « État Islamique
d'Irak et du Levant ». Mais ce n'est pas non un vulgaire groupe
terroriste qui se terre dans une cave en attendant le prochain
attentat. Ces gens ont un territoire, et a
fortiori un territoire
assez vaste, même si c'est principalement un désert. On compte
pourtant sur le territoire contrôlé par Daesh des villes
importantes comme Mossoul, la deuxième ville d'Irak, un million et
demi de personnes ; et l'armée de Daesh compte plus ou moins 50
000 hommes, plus notamment que l'armée belge (40 000 hommes plus ou
moins). Certaines estimations plus alarmistes élèvent le nombre de
combattants de Daesh à 200 000 hommes. L'armée française compte
dans ses rangs plus ou moins 350 000 hommes. Donc Daesh est en
guerre, mais comme ils ne sont pas en mesure présentement de nous
bombarder en bonne et due forme et qu'ils en sont réduits à des
actions de type terroriste pour nous meurtrir et nous inspirer la
crainte et la terreur, on dit que c'est une guerre asymétrique. Mais
cela reste une guerre, avec tout ce qu'une guerre peut avoir de sale
et de répugnant : des morts, des blessés, les larmes et du
sang, et là-bas au loin en Syrie et en Irak encore beaucoup plus de
morts, de gens terrorisés, d'enfances détruites, d'innocents
torturés, de maisons éventrées et de fosses communes.
La
France a réagi très vite aux attentats de Paris en redoublant ses
bombardements sur Raqqa et les positions de l’État Islamique. Mais
est-ce juste ? Certaines voix se font entendre pour dire que la
violence n'engendre que la violence, répondre à la guerre par la
guerre n'apportera que plus de guerre. D'autres montrent les échecs
de l'invasion de l'Irak par les forces américaines en 2003, d'autres
pointent du doigt l'exemple de la Libye où les bombardements
français et occidentaux ont fait tomber le dictateur Muammar
Kadhafi, mais durablement installé le pays dans un état
d'instabilité profonde, avec des terroristes proches de Daesh qui
font régner la terreur un peu partout. La question que je pose est
donc : est-ce que cette guerre « contre le terrorisme »
est-elle justifiée ou non ? Y a-t-il seulement des guerres
justes ou justifiées ? Ou la guerre est-elle un mal qu'il faut
absolument éradiquer ?
En
fait, vis-à-vis de la guerre, des conflits ou même de
l'agressivité, je me définirai comme un pacifique, mais pas comme
un pacifiste. En ce sens que je suis quelqu'un qui recherche la paix
et l'apaisement des conflits que ce soit en matière politique ou en
matière individuelle. Je pense que la paix, la douceur et la
non-violence sont toujours préférables à une approche agressive ou
vindicative de régler ses problèmes. Régler ses problèmes par la
violence ne résout généralement pas le problème, et cela ne fait
qu'apporter plus de violence à une situation déjà violente. Pour
autant, je ne me définirai pas comme pacifiste. Le pacifisme est une
idéologie, un « -isme », une doctrine qui amène son lot
de dogmatisme au monde. Je ne suis malheureusement pas certain qu'on
puisse régler tous les problèmes par la paix et la non-violence. Ce
serait merveilleux, mais il y a certains cas où, malheureusement,
nous n'avons pas d'autre choix que d'employer la violence. La
violence est toujours un mal, mais parfois nous y sommes contraints.
Ce
qui m'a empêché de me déclarer pacifiste, c'est Adolf Hitler. Face
à la menace nazie, peut-on vraiment prôner le seul pacifisme ?
Ce serait très noble, mais très inefficace aussi. Les nazis étaient
arrivés à une telle logique de haine et de conquête qu'on ne peut
pas rester sans rien faire ou seulement brandir quelques fleurs face
à une division SS bien décidée à répandre la terreur et la
destruction, à envoyer toute une partie de la population dans les
camps d'extermination. En fait, dans ces circonstances, le pacifisme
est peut-être noble dans ses principes, mais ignoble dans son
application pratique car elle vient faciliter l'entreprise
monstrueuse d'annihilation des nazis. Face aux nazis, je ne vois que
la résistance armée comme action morale à accomplir. Il y a un
moment où la haine va trop loin pour qu'on puisse l'arrêter avec
une manifestation pour la paix.
Cela
ne veut pas dire non plus qu'il faille tomber dans un bellicisme
stupide pour la cause. La guerre devrait en tout état de cause être
le dernier recours, et une fois engagée il faudrait pouvoir la
limiter et la terminer le plus tôt possible. En parallèle, il faut
chercher toutes les solutions politiques et diplomatiques possibles.
La guerre n'est jamais un bien. On ne devrait jamais être content de
la faire et on ne devrait pas non plus se réjouir de faire des
dégâts dans le camp ennemi. On devrait tout faire pour apaiser
intérieurement la haine qui est en soi et désamorcer la violence
qui est en nous. On devrait également être triste même pour les
ennemis qui vont périr dans ce conflit comme on se lamente pour les
gens qui sont morts dans les attentats de Paris. La guerre ne devrait
être jamais être glorifiée. Malheureusement, les films
hollywoodiens glorifient en permanence la guerre et la violence comme
réponse efficace aux problèmes qui se posent à nous. Cette
idéologie américaine joue un rôle évident dans l'évolution
délétère du monde.
La
guerre ne devrait être accomplie qu'à contrecœur et que dans la
mesure où on cherchera à établir un accord de paix le plus vite
possible. Il faudrait développer aussi une vision à plus long
terme. Dans le cas de Daesh, il faut essayer un accord où tout le
monde cessera son jeu ambigu où tout le monde condamne l’État
Islamique, mais en même temps, tout le monde pactise d'une manière
ou d'une autre avec eux, en achetant du pétrole venant des
territoires contrôlés par Daesh notamment, en acceptant que des
milliardaires saoudiens ou qatari financent allègrement leurs
combattants. Cela ne sera pas facile d'autant que les pays de la
région comme la Turquie, l'Iran, Israël ainsi que les grandes
puissances internationales jouent chacun leur partition, soutenant
tel camp, mais pas l'autre. Ainsi, la Turquie soutient ce qui reste
des rebelles de l'Armée Syrienne Libre, est violemment opposée au
gouvernement de Bachar el-Assad ; et elle est sensée combattre
Daesh, mais ne fait pas grand-chose contre eux. Par contre, la
Turquie mène une offensive très violente contre les Kurdes qui sont
les combattants les plus efficaces et les plus zélés contre
Daesh... Les Américains et les Européens sont pour les rebelles et
contre Daesh et Bachar el-Assad, tandis que les Russes et les
Iraniens sont contre les sunnites de Daesh, ce qui nous fait un point
commun, mais sont contre les rebelles et pour Bachar el-Assad, ce qui
attriste grandement les démocraties occidentales. Les
pétromonarchies sunnites du Golfe sont contre Bachar el-Assad, un
alaouite, et contre Daesh, du moins officiellement...
Tout
cela est très complexe. Il faudrait régler le problème rapidement,
parce qu'en-dehors du problème des attentats terroristes, ce conflit
en Syrie et en Irak risque d'attiser des conflits régionaux au
Liban, en Israël, en Turquie et en Jordanie, sans compter les
tensions internationales entre Occidentaux et Russes. Il faut d'abord
régler le problème de Daesh, parce que, sur ce point au moins,
Russes et Occidentaux sont d'accord. Et puis trouver une solution
viable pour la Syrie qui n'en peut plus d'agoniser sous les ruines.
Bachar El Assad restera-t-il ou pas ? S'il part, est-ce que son
successeur vaudra mieux ? Franchement, je ne sais pas. Personne
ne peut savoir. Mais il faudra trouver un accord qui sera peut-être
difficile à avaler pour toutes les parties.
Il
faudra donc gagner cette guerre contre Daesh. Mais comment ? Les
frappes des avions de chasses russes ou occidentaux ne suffisent pas
à faire plier l’État Islamique. Faudra-t-il armer les opposants
aux jihadistes sur le terrain ? C'est un jeu dangereux, puisque
ces armes risquent de se perdre dans la nature. Quand les combattants
de Daesh ont pris la ville de Mossoul, ils sont tombés sur un stock
d'armes américaines et de chars que les Américains avaient cédé à
l'armée régulière irakienne. Faudra-t-il envoyer des troupes au
sol là-bas ? Cela coûte cher financièrement, mais surtout
cela risque de coûter de nombreuses vies parmi nos soldats. Comment
justifier que nos hommes aillent mourir à des milliers de kilomètres
de chez nous ? Il faudra avoir de solides arguments pour motiver
les troupes et surtout l'opinion publique qui oscille en général
grandement quand on voit au journal télévisé les cercueils de
soldats tombés au combat rapatriés par avion. Pour ne pas parler
seulement, des militaires qui risqueraient d'être faits prisonniers
et d'être torturés en place publique, décapités ou brûlés vifs
comme cela s'est déjà vu. Et dans tous les cas, que ce soit au sol
ou dans les airs, la guerre amène son lot de victimes innocentes. Il
faut en être conscient. La guerre n'est jamais une bonne chose, la
guerre est toujours sale ; elle ne peut être faite que dans la
volonté et l'espoir d'améliorer les choses.
Il
faudrait aussi une vision stratégique intelligente des conflits.
Dans l’État Islamique, il n'y a pas que des jihadistes qui lisent
le Coran à longueur de journée. Il y a aussi des anciens de l'armée
irakienne de Saddam Hussein, il y a aussi des sunnites dégoûtés
par l'oppression que le gouvernement chiite de Bagdad a exercé sur
eux. On doit pouvoir rassurer ces gens pour que la défaite de Daesh
ne signifie pas pour eux la défaite des sunnites. Si on met en place
des structures qui défendront les sunnites du nord de l'Irak,
ceux-ci auront une motivation pour se désolidariser des fanatiques
fous furieux de Daesh et cela facilitera d'autant mieux la
disparition de cette organisation barbare.
Mais
ce qui est important, c'est de comprendre qu'il ne faut pas seulement
gagner la guerre, il faut aussi gagner la paix. On l'a vu en Irak en
2003 où les Américains ont écrasé sans aucune difficulté l'armée
de Saddam Hussein, mais ont été incapables de garantir une paix
durable. Ce qui a plongé l'Irak dans un chaos total dont la
situation actuelle dans le nord de l'Irak avec Daesh est une
résultante. Pareillement, la coalition menée par les Français a
rapidement mis fin au régime de Khadafi en Libye, mais on n'a pas
réfléchi comment se donner les moyens pour établir une transition
démocratique dans un pays qui n'a jamais connu la démocratie.
J'en
reviens donc à mon idée d'être pacifique, mais pas pacifiste. Être
pacifique, c'est réfléchir concrètement comment on peut installer
la paix, comment on peut réconcilier les forces antagonistes qui se
sont parfois cruellement affrontées et se sont causés mutuellement
des torts énormes. Être pacifique, c'est réfléchir comment on
peut dépasser les ressentiment et se détacher de la haine, comment
aplanir les tensions et les conflits. C'est réfléchir tant dans le
domaine des idées que celui des lois, tant dans le domaine
stratégique que celui de la communication comment on peut arriver à
cette paix. Je pense que si les leaders adoptaient cette mentalité
au lieu de glorifier en permanence la rivalité, le chauvinisme, les
réflexes sécuritaires et la volonté de revanche, on irait beaucoup
plus aisément vers un monde plus apaisé et bien meilleur.
Retour à Kobané, le 25 mars 2015 (photographie de Yasin Akgül- AFP) |
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