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dimanche 22 novembre 2015

Une prétendue guerre de l'islam politique

Une prétendue guerre de l'islam politique



    Je voudrais ici réagir à une interview de Michel Onfray parue dans le quotidien belge « Le Soir » le lundi 16 novembre 2015. Dans cette interview, le philosophe français défend ses opinions sur les attentats de Paris et sa conception d'un très douteux « islam politique ». Ces idées ne sont pas neuves chez lui. On ne trouvera quantités d'autres interviews dans la presse écrite et sur les plateaux de télévision. La nuit même du 13 au 14 novembre, il lançait un tweet sur le réseau social Twitter particulièrement explicite : « Droite et gauche qui ont internationalement semé la guerre contre l'islam politique récoltent nationalement la guerre de l'islam politique ». On ne peut être plus clair : on fait l'économie d'une compassion à l'égard des victimes des attentats pour passer directement l'attaque du gouvernement et de la démocratie française. Les méchants, ce ne sont pas les terroristes, mais bien Hollande, mais bien Sarkozy, mais bien Chirac, mais bien Mitterrand, mais bien tous les hommes politiques qui ont contribué à la politique internationale de la République française depuis au moins 25 ans.


    Dans le Soir, Onfray explique : « Ce qui a eu lieu le vendredi 13 novembre est certes un acte de guerre, mais il répond à d'autres actes de guerre dont le moment initial est la décision de détruire l'Irak de Saddam Hussein par le clan Bush et ses alliés, il y a un quart de siècle. La France fait partie depuis le début, hormis l'heureux épisode chiraquien, de la coalition occidentale qui a déclaré la guerre à des pays musulmans. Irak, Afghanistan, Mali, Libye... Ces pays ne nous menaçaient aucunement avant que nous leur refusions leur souveraineté et la possibilité pour eux d'instaurer chez eux leur régime de leur choix. La France n'a pas vocation à être le gendarme du monde et à intervenir selon son caprice dans tel ou tel pays pour y interdire le choix qu'il fait ».

     Première réflexion : Saddam Hussein n'était pas une petite victime en 1991 quand a éclaté la 1ère guerre du Golfe. C'est lui qui a décidé d'envahir le Koweit en prétendant que c'était la dix-neuvième province de l'Irak, et donc c'est lui qui a menacé en premier la souveraineté d'un État ! Auparavant, Saddam Hussein s'est toujours comporté en dictateur féroce ; et c'est lui qui avait dans les années '80 déclaré la guerre Iran-Irak qui a été une boucherie sans nom. On ne peut donc pas établir un manichéisme simpliste comme le fait Onfray entre les gentils musulmans agressés et les méchants Occidentaux toujours avides de guerre et de destruction. Cela ne peut pas fonctionner comme ça ! Certes, les Occidentaux sont intervenus pour défendre des intérêts géostratégiques évidents. Il y a des quantités énormes de pétrole au Koweit comme en Irak. Les démocraties occidentales ne sont pas non plus angéliques dans cette histoire. C'est une évidence. Gardons-nous de tout manichéisme afin de garder un semblant d'intelligence dans l'analyse des faits qui sont complexes tant que par le nombre des forces en présence, mais aussi le nombre colossal de grille d'interprétations que l'on peut avoir dans cet événement.


     Deuxième réflexion : cette première guerre du Golfe n'avait rien, mais rien du tout d'une guerre religieuse ! Les Occidentaux n'ont pas cherché à détruire les sites de l'islam, mais étendre leur puissance sur les réserves de pétrole dans la région. Ils n'en ont pas moins commis des erreurs flagrantes, comme notamment les Américains qui ont déployé des troupes sur le sol saoudien, alors que certains textes de l'islam interdisent explicitement que des armées d'impies soient présents sur la terre sainte de la Mecque et de Médine. Les Américains avaient promis que ce serait provisoire, mais après la fin de cette première guerre du Golfe, ils sont restés. Ce qui a provoqué le ressentiment d'une bonne partie des Saoudiens. Oussama Ben Laden justifiait notamment ses attaques contre le « Grand Satan Américain » du fait de la présence des GI's sur cette terre d'islam qu'est l'Arabie Saoudite.

D'un autre côté, Saddam Hussein, jusqu'alors personnage extrêmement peu religieux, s'est trouvé soudain une vocation soudaine pour la prière en public. Cette stratégie lui a permis de rallier des sympathies d'un monde musulman qui n'a toujours pas digéré la colonisation. Cela lui a permis de se présenter en victime pendant des années. Mais, sil vous plaît, ne soyons pas dupes de cette mascarade : Saddam Hussein n'était pas plus un pieux musulman que Georges Bush n'a été un porteur du message d'amour de prochain de Jésus Christ ! Si la question de « l'islam politique » est intervenue à ce moment-là, c'est purement en vue de manipuler des masses avides de crier leur dégoût justifié ou non de l'Occident.

       Troisième réflexion : Onfray dans cet extrait mentionne le Mali comme exemple de « guerre contre les pays musulmans » (sic!). Mais si la France est intervenue dans ce conflit en 2012, ce n'est pas contre le gouvernement malien (pourtant composés très majoritairement de musulmans) ! Mais bien pour contrer l'invasion des fanatiques islamistes dans la région qui répandaient la terreur et la destruction. Qu'on se rappelle les destructions contre des mosquées, des tombeaux de saints musulmans et les bibliothèques coraniques commises par les jihadistes salafistes et l'on relativisera beaucoup la soi-disant « guerre contre l'islam politique » théorisée par monsieur Onfray. Peut-être que la France n'a pas vocation à être le gendarme du monde, mais alors faut-il tous les criminels, tous les fascistes, tous les terroristes envahir le monde sans que nous ne levions le petit doigt ?

         Avant la seconde guerre mondiale, dans les années '30, il y avait de très forts courants pacifistes qui contestaient haut et fort la simple idée de réarmer face à l'Allemagne nazie. Ces gens avaient de bonnes raisons d'être pacifistes : ils avaient été traumatisés par les horreurs monstrueuses de la 1ère guerre mondiale. Ils avaient connu les tranchées, le froid, la boue, les barbelés, les bombardements incessants et les ordres imbéciles venus d'en haut qui demandaient de charger contre les lignes ennemies alors que, toute évidence, ce serait une boucherie. Ils ont connu aussi les fusillés pour l'exemple, ils ont entendu le cris des mourants, ils ont touché l'absurdité de la guerre. Ils ont alors pensé que cette guerre, c'était la « der des der », la dernière des dernières, et ils ont voulu chasser le spectre hideux de la guerre, même quand Adolf Hitler est devenu chancelier de l'Allemagne. La France et l'Angleterre sont restées trop longtemps sans rien faire face à Hitler. Peut-on vraiment aujourd'hui rester sans rien faire à l’État Islamique et autres factions jihadistes qui se propagent en de nombreux points du globe ? Peut-on les laisser sans broncher piller, détruire, violer, massacrer, torturer, lapider, brûler, tout en se réfugiant dans le pacifisme ?

     Dans les années '20, Albert Einstein était un fervent pacifiste. Il était de toutes les manifestations contre la guerre et le militarisme. A ce titre, ils étaient en lien avec un grand nombre de pacifistes dans toute l'Europe. Mais dans les années '30, quand il a compris la véritable nature du régime national-socialiste d'Adolf Hitler, il a complètement basculé dans son opinion. Au grand dam des pacifistes européens, il a soutenu qu'il fallait se préparer à combattre Hitler, pas seulement sur le terrain de l'idéologie, mais aussi par les armes. Plus tard, il a même cosigné avec le physicien Léo Szilárd une lettre enjoignant le président des États-Unis à se lancer dans la course à l'arme nucléaire pour devancer les scientifiques allemands qui travaillaient sur ce projet pour le compte du régime nazi.




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       Mais dans l'interview, Michel Onfray ne s'arrête pas là : il met en cause une entité abstraite qu'il appelle « islam politique », une entité qui se confond selon lui avec l'Oumma, la communauté de tous les musulmans (« C'est se demander ce que signifie faire la guerre à un peuple qui est celui de la communauté musulmane planétaire, l'oumma » - sic). Et nous, méchants Occidentaux, nous aurions déclaré la guerre à cet « islam politique ». Je cite toujours Michel Onfray : « C'est une guerre menée par l'islam politique avec autant d'intelligence que l'Occident mène la sienne, mais avec moins d'armes ou avec d'autres armes que les nôtres »  (re-sic). Ce qui pose d'emblée, c'est l'islamophobie pathologique de Michel Onfray, il y a aurait un « islam politique » aux valeurs diamétralement opposées à l'hédonisme libertaire et « solaire » de Michel Onfray. Le problème, c'est que cet islam politique est un fantasme. Les musulmans ne sont absolument pas une unité, même si ceux-ci entretiennent eux aussi le fantasme d'une Oumma, une communauté des croyants unies sous la bannière de l'unicité de Dieu. L'oumma est fragmentée en une multitude de courants et de branches qui ne s'entendent pas du tout entre eux. Il y a des chiites et des sunnites, et une myriade de subdivisions. Il y a des traditionalistes et des réformistes, il y a des pacifiques et des belliqueux, des courants liés aux différentes cultures et nationalités. Et même parmi les salafistes les plus enragés, ils n'arrivent pas à s'entendre : actuellement, le front Al-Nosra proches d'Al-Qaida, est violemment opposé à Daesh, l’État Islamique !

      Ce qu'on appelle islam politique est la tentation pour nombre de musulmans que l'islam agisse sur les décisions politiques et les valeurs que devrait défendre la société musulmane. Mais il y a toutes sortes de conceptions de l'islam politique. Qu'on regarde en Turquie le parti de Recep Tayyip Erdogan et l'on verra que cela n'a pas grand-chose à voir avec ce qui se passe à l'intérieur de Daesh ou chez les talibans d'Afghanistan. Dans l'Europe chrétienne, il y a depuis longtemps des mouvances politiques ou syndicales qui se revendiquent du christianisme, mais on ne peut pas assimiler toutes ces mouvances chrétiennes aux catholiques qui défendaient le général Franco durant la guerre d'Espagne. Michel Onfra y dit que le philosophe doit vivre dans un « temps long fait de réflexion ». Je suis d'accord avec lui sur ce point, mais pourquoi alors ne se documente-t-il pas un peu plus sur ce qu'il appelle « islam politique » ? Il verrait alors que le concept d'islam politique ne recouvre aucune unité : les musulmans ne sont pas comme un seul homme derrière la bannière noire de Daesh. Je dirai même plus que s'il est de bon ton de se revendiquer « anti-américain » dans le monde arabe comme il est de bon ton de revendiquer « contre les Amerloques » en France, la politique des pays musulmans montre qu'ils ne sont pas aussi anti-occidentaux qu'on voudrait bien le dire. Il me semble que la philosophie devrait rendre compte de la complexité du monde musulman plutôt que de nourrir le fantasme ridicule et néfaste du « clash des civilisations ».


Le camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie  où des musulmans subissent les attaques venant d'autres musulmans....



     Mais Onfray ne s'arrête pas là. Il nous expose alors un étrange philosophie de l'Histoire d'inspiration hégélienne : « Ils ont des plans. Ils disposent également d'une vision de l'Histoire, ce que nous sommes incapables d'avoir, tout à notre matérialisme trivial qui obéit aux combines électorales, aux mafias de l'argent, au cynisme économique, à la tyrannie de l'instant médiatique. Le Califat a clairement livré ses intentions. Mais notre dénégation est coupable. Leur dénier le droit de dire qu'ils sont un État Islamique doublé de l'invitation politiquement correcte à dire qu'il s'agit de Daesh, faire d'eux des barbares, les qualifier de terroristes, tout ça fait que nous sous-estimons en tout point leur nature véritable qui n'est pas à mépriser » (sic!).

      On atteint ici le summum d'une pensée nauséabonde. Onfray, philosophe agressivement matérialiste et anti-religieux (il est quand même l'auteur du best-seller « Traité d'Athéologie », je le rappelle) nous vend une division simpliste du monde avec d'un côté les matérialistes occidentaux, des gens détestables : ils croient en la démocratie, et tout le monde sait que la démocratie, c'est magouilles et compagnie. Et de l'autre, on a de braves gens qu'on aurait tort de mépriser ou de sous-estimer, des gens qui ont une « vision de l'Histoire » d'une profondeur inégalée : instaurer le Califat en tuant, massacrant tout le monde s'il le faut. Quelle pureté ! Quelle merveille que cet État Islamique qui ne se compromet pas avec la démocratie et ses petits calculs électoraux minables ! Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer devant un tel chapelet d’imbécillités ! Je rappellerai simplement que Daesh massacre tous les non-musulmans, les chrétiens, les yézidis, mais aussi les musulmans non-sunnites tels que les chiites, les druzes, les alaouites... Faut-il rappeler aussi les décapitations, les immolations, les fusillades pratiquées à la chaîne ? Faut-il mentionner les fatwas qui autorisent les combattants à violer des femmes non-musulmanes et des jeunes filles, et de les réduire en esclavage ?

        Est-ce vraiment un problème si l'Occident ne génère plus de vision de l'Histoire comparé à ce projet démentiel d'instaurer un Califat planétaire ? N'est-ce pas plutôt un progrès et une considérable avancée de nos sociétés ? Karl Popper avait bien montré en son temps le danger que représente la philosophie de l'Histoire : tout expliquer à l'aide d'un sens de l'Histoire comme on a pu le faire dans l'idéologie marxiste ou national-socialiste conduit à justifier des régimes totalitaires. Contre Michel Onfray, je dis haut et fort qu'il faut préférer les sociétés ouvertes qui sont les nôtres, avec certes toutes sortes de défaut et de déviances qu'on peut bien sûr critiquer : clientélisme, démagogie, consumérisme, influence du monde de la finance, dévoiement des médias... Mais avec tous leurs défauts, les démocraties occidentales sont quand même infiniment préférables à un régime comme celui de Daesh qui vit de manière criminelle et corrompue contre les populations qu'elle asservit.

        L'idéologie de Michel Onfray est donc fausse, elle est lâche car elle nous demande de nous soumettre devant les jihadistes, de nous rendre serviles. Michel demande à la France d'arrêter sa politique islamophobe, mais c'est certainement un des pires islamophobes qui court actuellement sur les plateaux de télévision ! Et puis surtout, l'idéologie de Michel Onfray ne sert à rien, car les attentats ne s'arrêteront pas, même si on arrêtait les frappes sur Daesh. Les jihadistes trouveront toujours une bonne raison d'attaquer les « démon-craties » occidentales, que ce soit l'interdiction du port du voile ou notre soutien à Salman Rushdie, ou que sais-je... Et plus ils vont nous savoir faibles, plus ils auront la tentation de nous frapper sans aucune pitié...

     Que faire alors ? D'abord essayer de comprendre la complexité de la situation. Le conflit syrien est particulièrement ardu à comprendre, tant des composantes différentes sont entrées en action, avec tout un système d'alliance régionales et internationales. Pareillement, la situation en Irak est loin d'être simples. Face à cette complexité, il faut rester humble, et ne pas commencer à croire que la solution est toute trouvée en soutenant un des camps en présence. Il faudra aussi comprendre que la solution ne peut pas être que militaire. Il faudra remettre sur pied des populations meurtries par la misère et des années de guerre. Il faudra chercher la paix. Toujours, mais en sachant qu'on en pourra pas empêcher les armes de parler.


         Il faut aussi essayer de convaincre les musulmans d'aller dans le sens de la démocratie, de la tolérance et du respect de l'autre, et pas dans le sens de la barbarie jihadistes. Toutes les religions ont leur fanatiques. Il faudra soutenir les musulmans qui prônent une société ouverte et tolérante. Mais pour ça, il faudra une vision plus nuancée sur le monde musulman que celle de monsieur Onfray...













1 commentaire:

  1. NB : l'interview de Michel Onfray réalisé par Sébastien Lefol publiée dans le Soir est la même que celle qui est parue dans le Point de cette semaine.

    Elle a suscité la réaction de Laurent Joffrin dans Libération : "Non, Michel Onfray, le monde musulman n’est pas Daech"
    http://www.liberation.fr/france/2015/11/22/non-michel-onfray-le-monde-musulman-n-est-pas-daech_1415293

    Voir aussi la réaction de Baptiste Rossi : "Tchao crétin" http://laregledujeu.org/2015/11/19/26241/tchao-cretin/


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