J’ai
avalé une lune de fer
Qu’ils appellent une vis
J’ai avalé ces rejets industriels, ces papiers à remplir pour le chômage
Les jeunes courbés sur des machines meurent prématurément
J’ai avalé la précipitation et la dèche
Avalé les passages piétons aériens,
Avalé la vie couverte de rouille
Je ne peux plus avaler.
Tout ce que j’ai avalé s’est mis à jaillir de ma gorge comme un torrent
Et déferle sur la terre de mes ancêtres
En un poème infâme.
Qu’ils appellent une vis
J’ai avalé ces rejets industriels, ces papiers à remplir pour le chômage
Les jeunes courbés sur des machines meurent prématurément
J’ai avalé la précipitation et la dèche
Avalé les passages piétons aériens,
Avalé la vie couverte de rouille
Je ne peux plus avaler.
Tout ce que j’ai avalé s’est mis à jaillir de ma gorge comme un torrent
Et déferle sur la terre de mes ancêtres
En un poème infâme.
Xu
Lizhi (许立志,
1990
- 2014)
Zhang Kechun |
Xu
Lizhi était poète, mais aussi ouvrier chez FoxConn. FoxConn est
cette entreprise chinoise qui fournit les multinationales comme Apple
ou Sony en produits technologiques comme vos iPhone ou vos tablettes.
Les conditions de travail sont particulièrement pénibles chez
FoxConn : 12 heures par un jour d'un travail harassant et
répétitif avec des cadences infernales et des chefs qui n'hésitent
pas à vous brimer en public à la moindre défaillance, un seul jour
de congé toutes les deux semaines. C'est l'incarnation du
capitalisme dans ce qu'il a de plus sauvage et de plus déshumanisant.
Certains
ouvriers ne peuvent pas résister à autant de malveillances, à
cette logique implacable qui broient les êtres et les âmes. Ils se
suicident sur leur lieu de travail. Xu Lizhi a été l'un d'eux. Le
30 septembre 2014, il s'est suicidé. Ses amis ont publié ses poèmes
à titre, dont celui qui figure plus haut. Ce poème interpelle avec
sa puissance d'évoquer la face sombre de la société de
consommation dans laquelle nous avons tous notre part de
responsabilité. Ne sommes-nous pas avides de ces smartphones que
nous achetons dans les centres commerciaux rutilants, mais qui ont
été fabriqués en Chine dans les ateliers de FoxConn par des
ouvriers et des ouvrières sur la chaîne de production, épuisés,
harassés, surveillés et traqués par une direction seulement
soucieuse de rentabilité auprès de ses actionnaires ? Ces
ouvriers qui assemblent ces composants électroniques pour que nous
puissions envoyer des photos débiles sur Snapchat qui s'effaceront
au bout de dix secondes. Que de souffrances, que de détresses, que
de solitude, que d'isolement pour autant de futilité de notre part !
Ce
système de la consommation à outrance nous divertit peut-être,
mais ce divertissement grotesque à un coût humain qu'il est si
facile d'oublier derrière les écrans publicitaires et la mine
enjouée des commerciaux, sans compter le coût écologique
catastrophique de cette production insensée. Combien de matières
premières n'épuise-t-on ? Combien de métaux précieux, de
terres rares ce système n'avale-t-il pas ? Quelle énergie ne
dépense-t-elle à faire circuler tous ces produits sur la surface du
globe ? Quelle montagne de déchets cela n'engendre-t-il pas ?
Nous aussi, ce sera bientôt notre tour d'avaler une lune de fer....
Zhang Kechun |
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