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samedi 28 mai 2016

Les mauvaises justifications - 2ème partie

Les mauvaises justifications de l'exploitation animale

2ème justification

    Nous vivons dans une société où le débat fait rage de savoir quel traitement nous devons accorder aux animaux. Ceux qui ont l'habitude de lire ce blog savent qu'en tant que végane, je désapprouve toute souffrance inutile exercée contre les animaux et contre toute exploitation cruelle à leur encontre. À partir du moment où l'on se rend compte que les animaux sont des êtres doués de sensibilité et de conscience, la seule attitude morale logique est de tout faire pour minimiser la violence et la cruauté dont les êtres humains sont capables à leur encontre. Cela implique au niveau individuel, le véganisme, le fait de ne pas consommer de produits animaux, et au niveau sociétal, le combat pour le bien-être et contre l'exploitation cruelle des animaux. Mais on entend toutes sortes de justifications qui minimise l'intérêt de ce combat en faveur des animaux ou qui justifie carrément que l'humanité exploite les animaux. Ces justifications reviennent de manière cyclique et je voudrais les traiter une par une. A chaque article, j'essayerai de démonter les arguments de ces mauvaises excuses du statu quo par rapport aux animaux.


2ème justification : il n'y a pas de mal à exploiter les animaux car les animaux ne souffrent pas ou tout du moins pas comme nous.

3ème justification : les plantes ont une conscience ; donc en manger est mal au même titre que manger des animaux. 
« Il n'y a pas de mal à exploiter les animaux car les animaux ne souffrent pas ou tout du moins pas comme nous. »


    Quand on les frappe ou quand on les maltraite, les animaux ne souffrent pas réellement. Voilà une idée qui me semble complètement ahurissante. Il suffit d'observer des animaux pour se rendre qu'ils éprouvent de la douleur ainsi que des émotions de peur ou de rejet face à ce qui créée de la douleur. Pourtant, l'idée a prévalu pendant des siècles que les animaux ne souffrent pas. Cela doit beaucoup à la conception des animaux comme autant de machines dépourvues de la moindre capacité de ressentir des sensations ainsi que des émotions, conception que l'on doit à René Descartes au XVIIème siècle. Même si les animaux peuvent être doués pour accomplir telle ou telle tâche, cette ingéniosité, nous dit Descartes, ne doit pas aveugler sur le fait qu'il n'y a là dans l'animal qu'une mécanique parfaitement rodée, tellement subtile qu'elle nous donne l'impression d'être confronté à un être doué de conscience, mais il n'en est rien selon le Discours de la Méthode : « C’est aussi une chose fort remarquable que, bien qu’il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus d’industrie que nous en quelques-unes de leurs actions, on voit toutefois que les mêmes n’en témoignent pas du tout en beaucoup d’autres : de façon que ce qu’ils font mieux que nous ne prouve pas qu’ils ont de l’esprit ; car, à ce compte, ils en auraient plus qu’aucun de nous et feraient mieux en toute chose ; mais plutôt qu’ils n’en ont point, et que c’est la nature qui agit en eux, selon la disposition de leurs organes : ainsi qu’une horloge, qui n’est composée que de roues et de ressorts, peut compter les heures, et mesurer le temps, plus justement que nous avec toute notre prudence ».


     Voilà, c'est dit. L'animal n'est jamais rien d'autre qu'une mécanique subtile et complexe certes, mais une mécanique. Une horloge compte mieux le temps que nous ; pour autant, l'horloge n'est pas douée de conscience et de sensibilité. Les animaux selon Descartes sont capables de faire des choses étonnantes, mais ce n'est pas pour cela qu'ils sont doués de conscience et de sensibilité. Selon lui, on se fait avoir par la complexité de cette mécanique créée par Dieu, là où les hommes du XVIIème siècle n'étaient capables de construire et d'inventer que des automates ingénieux certes, mais extrêmement loin d'atteindre la complexité et le raffinement à l’œuvre dans le corps d'un animal. Comme le dit le Discours de la Méthode : « Ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l’industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu est incomparablement mieux ordonnée et, a en soi des mouvements plus admirables, qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par l’homme ». Cette attitude trouve son point culminant chez Nicolas de Malebranche qui explique que si on frappe son chien avec un bâton, il ne crie que du fait du jeu de poulie et de rouages dans son mécanisme interne. Il n'y a aucune sensation, aucune subjectivité profonde dans ce cri de douleur que nous arrachons à l'animal, ce cri qui, pourtant, résonne en nous comme la trace d'un ressenti de douleur.

     Le premier argument qui vient tout de suite à l'esprit est d'appeler à la simple observation des animaux. Il apparaît évident que non seulement les animaux souffrent, mais que tout du moins les mammifères ou les oiseaux souffrent comme nous. Au XVIIIème siècle, Bernard Mandeville déclarait dans la Fable des Abeilles :

    « J'ai souvent pensé que sans cette tyrannie que la coutume usurpe sur nous, les personnes d'un naturel bon et débonnaire ne se résoudraient jamais à tuer autant d'animaux pour leur nourriture journalière, tandis que la terre fertile prendra soin de fournir abondamment à ses enfants une variété de productions exquises, propre à les entretenir. Je sais que la raison n'excite la compassion que bien faiblement. Ainsi ne suis-je point surpris que les hommes aient peu de pitié de créatures aussi imparfaites que les écrevisses, les huîtres et les pétoncles. Les poissons sont muets ; leur formation intérieure, ainsi que leur figure extérieure, diffèrent de la nôtre ; ils n'expriment pas la douleur que nous leur faisons ressentir, d'une manière qui frappe nos organes : il n'est donc pas surprenant, si leur affliction ne nous touche pas.

      Pour être ému par la pitié, il faut que les symptômes de la misère frappent immédiatement nos sens. (…) Mais il y a des animaux plus parfaits, tels que sont la brebis et le bœuf, dont le cœur, le cerveau et les nerfs diffèrent très peu des nôtres. (…) Il m’est impossible de concevoir comment un homme, qui n’est pas endurci dans le sang et dans le carnage, peut voir sans peine la mort violente et les longues angoisses de ces innocents animaux. (…)

     Peut-on, sans être touché de compassion, se représenter un bœuf déjà grand, quoiqu’encore jeune, renversé et tout étourdi d’un dizaine de grands coups qu’il a reçu de son bourreau ? Sa tête armée est liée avec des cordes contre la terre. On lui fait au gosier une plaie large et profonde. Quel mortel peut entendre sans compassion ses douloureux mugissements, interrompus par le sang qui coule à grands flots ? Qui peut ouïr les soupirs amers qui marquent la violence de ses angoisses, et les gémissements profonds qu'il pousse ? Voyez son cœur encore vif palpiter. Jetez les yeux sur ces membres, qui par de violentes convulsions tremblent et s'agitent. Son sang fumant ruisselle, ses yeux deviennent obscurs et languissants. Contemplez ses abattements, ses abois, et les derniers efforts qu'il fait pour s'arracher à une mort qu'il ne peut éviter ; mouvements qui sont des marques assurées de la fatalité de sa destinée qui approche. Quand une créature donne des preuves aussi convaincantes, et aussi incontestables des terreurs qu'elle éprouve, des douleurs et des tourments qu'elle ressent, peut-il y avoir des sectateur de Descartes si endurci au sang, qui saisi de compassion n'abandonne la ridicule philosophie de ce vain raisonneur1 ».







     Bernard Mandeville soutient que, vu le peu d'expressivité des poissons, des écrevisses ou des huîtres, il est peu étonnant que l'on ne voit pas de douleur ou de souffrance chez ces animaux marins. Mais les vaches, les brebis, les porcs, les chiens, les chats ? Tous ces mammifères expriment la douleur et la souffrance comme nous le faisons. J'étais un jour, il y a presque vingt ans maintenant, dans une rue de Katmandou, et dans une maison à côté, on entendait un cheval qu'on était en train d'égorger. Franchement, cela m'a glacé le sang. Je ne l'ai pas vu se faire égorger, rien qu'entendu, mais je m'en souviens comme si c'était hier. Pourquoi toutes ces manifestations de douleur, cris, mimiques, gestes incontrôlables, aussi similaires que celles qui se produisent quand c'est un être humain qui est frappé par la douleur ne seraient-elles pas le signe d'une conscience de la douleur chez l'animal ?

    Cela semble évident. Mais voilà, toute la pensée occidentale s'est engouffrée dans ce déni de la douleur des animaux. Comme le dit d'ailleurs Bernard Mandeville : « Je sais que la raison n'excite la compassion que bien faiblement ». Il y eu même dans la pensée occidentale une rupture brutale entre raison et compassion, la compassion étant considérée comme une manifestation de sensiblerie inacceptable dans l'exercice de la raison. Probablement que cette mentalité d'effacer la conscience de la douleur des animaux chez René Descartes a des racines beaucoup plus anciennes : quand les hommes ont commencé à domestiquer les animaux et à les élever dans l'intention de prendre leur chair. Auparavant, les hommes n'avaient qu'une relation lointaine avec les animaux, une relation faite de respect et d'admiration pour toutes les qualités dont les humains étaient dépourvus les ailes de l'oiseau, les yeux du lynx, l'odorat du loup, la force de l'ours, la vision nocturne de la chouette... Et puis quand les hommes se sont mis à enfermer des animaux dans des enclos dans le but de les manger plus tard, la relation a changé : les hommes ont pris le mauvais rôle, celui de geôlier, de bourreau et de tortionnaire. Les hommes ont alors cessé d'admirer les animaux, voire de les vénérer quand ils voyaient certains esprits-animaux comme leurs dieux. Ils ont au contraire systématiquement rabaissé les animaux et justifié la supériorité des hommes pour justifier l'horreur de leurs actes et désactiver toute empathie à l'égard des animaux de ferme.

      La théorie de l'animal-machine de Descartes n'est jamais qu'une prolongation sordide de cet état d'esprit qui s'est par ailleurs donné les habits de la science. La raison a pu alors grâce à cette idéologie fumeuse se déconnecter complètement de la compassion. Cette idéologie cartésienne a dominé la pensée occidentale pendant longtemps et a imprégné le discours scientifique, notamment en agronomie. L'élevage industriel qui s'est imposé au XXème siècle doit beaucoup à cette conception de l'animal-machine. L'élevage industriel a réduit l'animal à sa seule dimension d'unité de production assurant des bénéfices aux actionnaires de multinationale de l'agro-alimentaire.

      La raison a été disjointe de la compassion en ce qu'on a commencé à dire que la science allait souvent à l'encontre des évidences naturelles. Par exemple, la science astronomique a montré, preuve à l'appui, que c'est n'est pas le Soleil qui tourne autour de la Terre, mais bien le contraire. Pourtant, l'évidence qui vient quand on a les yeux ouverts et qu'on regarde le ciel est de dire que c'est le Soleil qui se meut et la Terre qui est immobile, et pas l'inverse. Les cartésiens et les scientifiques du XIXème et du XXème ont eu beau jeu de dire que là où tout un chacun voit des manifestations de cris de douleur chez l'animal, il n'y a en fait qu'une mécanique de tendons et de nerfs qui fonctionnent sans aucune conscience. Les gens sans culture scientifique seraient aveuglés par leur sensiblerie et leur attachement ridicule aux animaux, tandis que la raison scientifique ne se laisse pas influencée par ces atermoiements.

     Il y a un problème majeur dans cette conception de la science. Quand Copernic, Galilée et Kepler ont mis à bas le système géocentrique (le Soleil tourne autour de la Terre) pour établir comme vérité le système héliocentrique (la Terre tourne autour du Soleil), il leur a fallu justifier leurs découvertes par toutes sortes de preuves scientifiques : le système héliocentrique devaient mieux prédire le comportement des astres et des planètes, il a fallu expliquer pourquoi les gens ne perdaient pas leur chapeau si la Terre tournait sur elle-même, répondre à toutes sortes de contradictions des tenants du géocentrisme. Or dans le cas des théoriciens de l'animal-machine, ce sont les partisans de la compassion et de la sensiblerie envers les animaux qui doivent justifier leur position : prouver qu'il y a bien une conscience et une sensation de douleur chez les animaux. Or ce sont les cartésiens qui sont allés à l'encontre de l'intuition commune. C'est à eux, les cartésiens, qu'aurait du revenir la charge de la preuve. Or cette idéologie s'est imposé sans preuve rationnelle parce que cela arrangeait bien tout un système économique d'adhérer à la thèse de l'animal-machine comme un dogme.

      Or ces preuves ont commencé à venir de la neurobiologie et de l'éthologie. Il est de plus en plus manifeste qu'au moins les mammifères et les oiseaux, mais aussi d'autres animaux sont dotés de conscience, de sensations, d'un ressenti de la douleur. Le débat fait encore rage pour savoir si les poissons, les crustacés et les insectes souffrent réellement. Dans le discours neurologique contemporain, on distingue plusieurs niveaux dans l'élaboration de la sensation de douleur :
  • la nociception
  • la sensation et l'émotion
  • la conscience primaire
  • la conscience réflexive ou conscience de soi.

   La nociception est la capacité d'un influx sensoriel provoqué par un stimulus négatif provoque une réaction dans le système nerveux. Par exemple, votre main est en contact avec du feu. Cela provoque un stimulus qui remonte tout au long de vos nerfs jusqu'au cerveau qui commande de retirer tout de suite votre main avant même que vous ne soyez conscient de ce que votre main est en train de brûler. Tous les animaux dotés d'un système nerveux et de nocicepteurs font preuve de nociception. Mais souffrent-ils pour autant ?

    À un niveau plus complexe, ces influx nerveux vont provoquer des sensations ainsi que des émotions, des réactions à ces sensations, colère, peur, détresse, etc... Ces émotions engagent à la fois le corps et le cerveau dans toutes sortes de réactions appropriées ou non. Les émotions influencent grandement nos états d'esprit, nos comportements et nos attitudes (des postures, des gestes et des mimiques faciales par exemple). Ces attitudes sont aussi là pour montrer aux autres ce qu'on ressent intérieurement.

    Enfin, la conscience primaire est la perception ici et maintenant du monde extérieur ainsi que la perception de états de notre corps. Elle est dite conscience primaire parce qu'elle ne prend conscience que de la situation présente. Elle ne se projette pas dans le passé ou l'avenir comme peut le faire une conscience plus développée ; et surtout elle ne se pense pas en tant que personne comme peut le faire la conscience de soi (ou conscience réflexive).

      En ce qui concerne les mammifères, la neurobiologie a établit qu'ils sont capables de nociception, de sensations, d'émotions et de conscience primaire. Les mammifères sont donc capables d'éprouver la conscience de la douleur. Ce ne sont donc pas de simples machines. Les scientifiques s'accordent même à admettre la conscience de soi pour certains mammifères évolués. C'est le fameux « test du miroir ». On met les animaux devant un miroir et ceux qui sont capables de reconnaître que l'image contenue dans le miroir n'est autre qu'eux-mêmes sont estampillés « dotés de la conscience de soi ». Ont passé ce test avec succès les chimpanzés, les gorilles, les orangs-outans, les dauphins, les éléphants notamment. Je suis pour ma part un peu sceptique face à ce test : le test du miroir n'est jamais que le test qui prouve que l'animal est capable de reconnaître son image dans un miroir. J'ai conscience de moi, pas seulement quand je m'admire dans un miroir ! Je peux avoir une conscience intuitive de moi à tout moment de mon existence. Je peux aussi avoir une conscience plus réflexive de moi-même quand je réfléchis à moi-même et à mon existence. (Peut-on d'ailleurs penser à soi-même indépendamment de son existence et de la vie que l'on a vécu?). Cette conscience réflexive est certainement limitée aux humains ; mais la conscience intuitive d'être une entité qui se bat pour sa survie et pour améliorer son plaisir et son bien-être, tous les êtres conscients l'ont à mon sens. C'est cette intuition qui conduit à entretenir l'illusion de l'ego. Ce n'est pas quelque chose à quoi l'on pense, mais c'est profondément inscrit en nous.

     Mais pour en revenir à la conscience de la douleur, il semble acquis que la conscience de la douleur existe chez de nombreuses espèces animales. Oui pour les mammifères, certainement pour les oiseaux, probablement pour les poissons. Mais il suffit de regarder comment un poisson se débat une fois qu'il a été pêché pour douter que ce soit là seulement des réactions mécaniques au fait qu'il étouffe à l'air libre. Certaines espèces animales sont problématiques comme les huîtres qui n'ont pas de système nerveux. Mais globalement, cela devrait être aux cartésiens et aux scientifiques qui défendent les lobbys de la viande et les secteurs de l'élevage à qui devrait revenir la charge de la preuve : ce sont eux qui devraient prouver que les animaux ne sont pas capables d'éprouver de la douleur comme ils prétendent. Cela ne devrait pas être la situation actuelle où ce sont les véganes et les défenseurs des animaux qui doivent établir la réalité de la souffrance des animaux pour demander un traitement plus éthique de ces derniers.




1 Bernard Mandeville, la Fable des Abeilles, ou les fripons devenus honnêtes gens, 1714 (traduction de 1740), cité dans Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Anthologie d'éthique animale, PUF, Paris, 2011, pp. 49-50.






Voir également : 
















Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.




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