Les
mauvaises justifications de l'exploitation animale
2ème
justification
Nous
vivons dans une société où le débat fait rage de savoir quel
traitement nous devons accorder aux animaux. Ceux qui ont l'habitude
de lire ce blog savent qu'en tant que végane, je désapprouve toute
souffrance inutile exercée contre les animaux et contre toute
exploitation cruelle à leur encontre. À partir du moment où l'on
se rend compte que les animaux sont des êtres doués de sensibilité
et de conscience, la seule attitude morale logique est de tout faire
pour minimiser la violence et la cruauté dont les êtres humains
sont capables à leur encontre. Cela implique au niveau individuel,
le véganisme, le fait de ne pas consommer de produits animaux, et au
niveau sociétal, le combat pour le bien-être et contre
l'exploitation cruelle des animaux. Mais on entend toutes sortes de
justifications qui minimise l'intérêt de ce combat en faveur des
animaux ou qui justifie carrément que l'humanité exploite les
animaux. Ces justifications reviennent de manière cyclique et je
voudrais les traiter une par une. A chaque article, j'essayerai de
démonter les arguments de ces mauvaises excuses du statu quo par
rapport aux animaux.
2ème
justification : il n'y a pas de mal à exploiter les animaux
car les animaux ne souffrent pas ou tout du moins pas comme nous.
3ème justification : les plantes ont une conscience ; donc en manger est mal au même titre que manger des animaux.
3ème justification : les plantes ont une conscience ; donc en manger est mal au même titre que manger des animaux.
4ème justification : il est prioritaire de s'occuper d'abord des problèmes de l'humanité avant de s'occuper des souffrances des animaux.
« Il
n'y a pas de mal à exploiter les animaux car les animaux ne
souffrent pas ou tout du moins pas comme nous. »
Quand
on les frappe ou quand on les maltraite, les animaux ne souffrent pas
réellement. Voilà une idée qui me semble complètement
ahurissante. Il suffit d'observer des animaux pour se rendre qu'ils
éprouvent de la douleur ainsi que des émotions de peur ou de rejet
face à ce qui créée de la douleur. Pourtant, l'idée a prévalu
pendant des siècles que les animaux ne souffrent pas. Cela doit
beaucoup à la conception des animaux comme autant de machines
dépourvues de la moindre capacité de ressentir des sensations ainsi
que des émotions, conception que l'on doit à René Descartes au
XVIIème siècle. Même si les animaux peuvent être doués
pour accomplir telle ou telle tâche, cette ingéniosité, nous dit
Descartes, ne doit pas aveugler sur le fait qu'il n'y a là dans
l'animal qu'une mécanique parfaitement rodée, tellement subtile
qu'elle nous donne l'impression d'être confronté à un être doué
de conscience, mais il n'en est rien selon le Discours de la
Méthode : « C’est aussi une chose fort
remarquable que, bien qu’il y ait plusieurs animaux qui témoignent
plus d’industrie que nous en quelques-unes de leurs actions, on
voit toutefois que les mêmes n’en témoignent pas du tout en
beaucoup d’autres : de façon que ce qu’ils font mieux que
nous ne prouve pas qu’ils ont de l’esprit ; car, à ce
compte, ils en auraient plus qu’aucun de nous et feraient mieux en
toute chose ; mais plutôt qu’ils n’en ont point, et que
c’est la nature qui agit en eux, selon la disposition de leurs
organes : ainsi qu’une horloge, qui n’est composée que de
roues et de ressorts, peut compter les heures, et mesurer le temps,
plus justement que nous avec toute notre prudence ».
Voilà,
c'est dit. L'animal n'est jamais rien d'autre qu'une mécanique
subtile et complexe certes, mais une mécanique. Une horloge compte
mieux le temps que nous ; pour autant, l'horloge n'est pas douée
de conscience et de sensibilité. Les animaux selon Descartes sont
capables de faire des choses étonnantes, mais ce n'est pas pour cela
qu'ils sont doués de conscience et de sensibilité. Selon lui, on se
fait avoir par la complexité de cette mécanique créée par Dieu,
là où les hommes du XVIIème siècle n'étaient capables
de construire et d'inventer que des automates ingénieux certes, mais
extrêmement loin d'atteindre la complexité et le raffinement à
l’œuvre dans le corps d'un animal. Comme le dit le Discours de la
Méthode : « Ce qui ne semblera nullement étrange à
ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes,
l’industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de
pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles,
des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties
qui sont dans une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu
est incomparablement mieux ordonnée et, a en soi des mouvements plus
admirables, qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par
l’homme ». Cette
attitude trouve son point culminant chez Nicolas de Malebranche qui
explique que si on frappe son chien avec un bâton, il ne crie que du
fait du jeu de poulie et de rouages dans son mécanisme interne. Il
n'y a aucune sensation, aucune subjectivité profonde dans ce cri de
douleur que nous arrachons à l'animal, ce cri qui, pourtant, résonne
en nous comme la trace d'un ressenti de douleur.
Le
premier argument qui vient tout de suite à l'esprit est d'appeler à
la simple observation des animaux. Il apparaît évident que non
seulement les animaux souffrent, mais que tout du moins les
mammifères ou les oiseaux souffrent comme nous. Au XVIIIème
siècle,
Bernard Mandeville déclarait dans la Fable
des Abeilles :
« J'ai
souvent pensé que sans cette tyrannie que la coutume usurpe sur
nous, les personnes d'un naturel bon et débonnaire ne se
résoudraient jamais à tuer autant d'animaux pour leur nourriture
journalière, tandis que la terre fertile prendra soin de fournir
abondamment à ses enfants une variété de productions exquises,
propre à les entretenir. Je sais que la raison n'excite la
compassion que bien faiblement. Ainsi ne suis-je point surpris que
les hommes aient peu de pitié de créatures aussi imparfaites que
les écrevisses, les huîtres et les pétoncles. Les poissons sont
muets ; leur formation intérieure, ainsi que leur figure
extérieure, diffèrent de la nôtre ; ils n'expriment pas la
douleur que nous leur faisons ressentir, d'une manière qui frappe
nos organes : il n'est donc pas surprenant, si leur affliction
ne nous touche pas.
Pour
être ému par la pitié, il faut que les symptômes de la misère
frappent immédiatement nos sens. (…) Mais il y a des animaux plus
parfaits, tels que sont la brebis et le bœuf, dont le cœur, le
cerveau et les nerfs diffèrent très peu des nôtres. (…) Il m’est
impossible de concevoir comment un homme, qui n’est pas endurci
dans le sang et dans le carnage, peut voir sans peine la mort
violente et les longues angoisses de ces innocents animaux. (…)
Peut-on,
sans être touché de compassion, se représenter un bœuf déjà
grand, quoiqu’encore jeune, renversé et tout étourdi d’un
dizaine de grands coups qu’il a reçu de son bourreau ? Sa
tête armée est liée avec des cordes contre la terre. On lui fait
au gosier une plaie large et profonde. Quel mortel peut entendre sans
compassion ses douloureux mugissements, interrompus par le sang qui
coule à grands flots ? Qui peut ouïr les soupirs amers qui
marquent la violence de ses angoisses, et les gémissements profonds
qu'il pousse ? Voyez son cœur encore vif palpiter. Jetez les
yeux sur ces membres, qui par de violentes convulsions tremblent et
s'agitent. Son sang fumant ruisselle, ses yeux deviennent obscurs et
languissants. Contemplez ses abattements, ses abois, et les derniers
efforts qu'il fait pour s'arracher à une mort qu'il ne peut éviter ;
mouvements qui sont des marques assurées de la fatalité de sa
destinée qui approche. Quand une créature donne des preuves aussi
convaincantes, et aussi incontestables des terreurs qu'elle éprouve,
des douleurs et des tourments qu'elle ressent, peut-il y avoir des
sectateur de Descartes si endurci au sang, qui saisi de compassion
n'abandonne la ridicule philosophie de ce vain raisonneur1 ».
Bernard
Mandeville soutient que, vu le peu d'expressivité des poissons, des
écrevisses ou des huîtres, il est peu étonnant que l'on ne voit
pas de douleur ou de souffrance chez ces animaux marins. Mais les
vaches, les brebis, les porcs, les chiens, les chats ? Tous ces
mammifères expriment la douleur et la souffrance comme nous le
faisons. J'étais un jour, il y a presque vingt ans maintenant, dans
une rue de Katmandou, et dans une maison à côté, on entendait un
cheval qu'on était en train d'égorger. Franchement, cela m'a glacé
le sang. Je ne l'ai pas vu se faire égorger, rien qu'entendu, mais
je m'en souviens comme si c'était hier. Pourquoi toutes ces
manifestations de douleur, cris, mimiques, gestes incontrôlables,
aussi similaires que celles qui se produisent quand c'est un être
humain qui est frappé par la douleur ne seraient-elles pas le signe
d'une conscience de la douleur chez l'animal ?
Cela
semble évident. Mais voilà, toute la pensée occidentale s'est
engouffrée dans ce déni de la douleur des animaux. Comme le dit
d'ailleurs Bernard Mandeville : « Je
sais que la raison n'excite la compassion que bien faiblement ».
Il y eu même dans la pensée occidentale une rupture brutale entre
raison et compassion, la compassion étant considérée comme une
manifestation de sensiblerie inacceptable dans l'exercice de la
raison. Probablement que cette mentalité d'effacer la conscience de
la douleur des animaux chez René Descartes a des racines beaucoup
plus anciennes : quand les hommes ont commencé à domestiquer
les animaux et à les élever dans l'intention de prendre leur chair.
Auparavant, les hommes n'avaient qu'une relation lointaine avec les
animaux, une relation faite de respect et d'admiration pour toutes
les qualités dont les humains étaient dépourvus les ailes de
l'oiseau, les yeux du lynx, l'odorat du loup, la force de l'ours, la
vision nocturne de la chouette... Et puis quand les hommes se sont
mis à enfermer des animaux dans des enclos dans le but de les manger
plus tard, la relation a changé : les hommes ont pris le
mauvais rôle, celui de geôlier, de bourreau et de tortionnaire. Les
hommes ont alors cessé d'admirer les animaux, voire de les vénérer
quand ils voyaient certains esprits-animaux comme leurs dieux. Ils
ont au contraire systématiquement rabaissé les animaux et justifié
la supériorité des hommes pour justifier l'horreur de leurs actes
et désactiver toute empathie à l'égard des animaux de ferme.
La
théorie de l'animal-machine de Descartes n'est jamais qu'une
prolongation sordide de cet état d'esprit qui s'est par ailleurs
donné les habits de la science. La raison a pu alors grâce à cette
idéologie fumeuse se déconnecter complètement de la compassion.
Cette idéologie cartésienne a dominé la pensée occidentale
pendant longtemps et a imprégné le discours scientifique, notamment
en agronomie. L'élevage industriel qui s'est imposé au XXème
siècle
doit beaucoup à cette conception de l'animal-machine. L'élevage
industriel a réduit l'animal à sa seule dimension d'unité de
production assurant des bénéfices aux actionnaires de
multinationale de l'agro-alimentaire.
La
raison a été disjointe de la compassion en ce qu'on a commencé à
dire que la science allait souvent à l'encontre des évidences
naturelles. Par exemple, la science astronomique a montré, preuve à
l'appui, que c'est n'est pas le Soleil qui tourne autour de la Terre,
mais bien le contraire. Pourtant, l'évidence qui vient quand on a
les yeux ouverts et qu'on regarde le ciel est de dire que c'est le
Soleil qui se meut et la Terre qui est immobile, et pas l'inverse.
Les cartésiens et les scientifiques du XIXème
et du XXème
ont eu beau jeu de dire que là où tout un chacun voit des
manifestations de cris de douleur chez l'animal, il n'y a en fait
qu'une mécanique de tendons et de nerfs qui fonctionnent sans aucune
conscience. Les gens sans culture scientifique seraient aveuglés par
leur sensiblerie et leur attachement ridicule aux animaux, tandis que
la raison scientifique ne se laisse pas influencée par ces
atermoiements.
Il
y a un problème majeur dans cette conception de la science. Quand
Copernic, Galilée et Kepler ont mis à bas le système géocentrique
(le Soleil tourne autour de la Terre) pour établir comme vérité le
système héliocentrique (la Terre tourne autour du Soleil), il leur
a fallu justifier leurs découvertes par toutes sortes de preuves
scientifiques : le système héliocentrique devaient mieux
prédire le comportement des astres et des planètes, il a fallu
expliquer pourquoi les gens ne perdaient pas leur chapeau si la Terre
tournait sur elle-même, répondre à toutes sortes de contradictions
des tenants du géocentrisme. Or dans le cas des théoriciens de
l'animal-machine, ce sont les partisans de la compassion et de la
sensiblerie envers les animaux qui doivent justifier leur position :
prouver qu'il y a bien une conscience et une sensation de douleur
chez les animaux. Or ce sont les cartésiens qui sont allés à
l'encontre de l'intuition commune. C'est à eux, les
cartésiens, qu'aurait du revenir la charge de la preuve. Or cette
idéologie s'est imposé sans preuve rationnelle parce que cela
arrangeait bien tout un système économique d'adhérer à la thèse
de l'animal-machine comme un dogme.
Or
ces preuves ont commencé à venir de la neurobiologie et de
l'éthologie. Il est de plus en plus manifeste qu'au moins les
mammifères et les oiseaux, mais aussi d'autres animaux sont dotés
de conscience, de sensations, d'un ressenti de la douleur. Le débat
fait encore rage pour savoir si les poissons, les crustacés et les
insectes souffrent réellement. Dans le discours neurologique
contemporain, on distingue plusieurs niveaux dans l'élaboration de
la sensation de douleur :
- la nociception
- la sensation et l'émotion
- la conscience primaire
- la conscience réflexive ou conscience de soi.
La
nociception est la capacité d'un influx sensoriel provoqué par un
stimulus négatif provoque une réaction dans le système nerveux.
Par exemple, votre main est en contact avec du feu. Cela provoque un
stimulus qui remonte tout au long de vos nerfs jusqu'au cerveau qui
commande de retirer tout de suite votre main avant même que vous ne
soyez conscient de ce que votre main est en train de brûler. Tous
les animaux dotés d'un système nerveux et de nocicepteurs font
preuve de nociception. Mais souffrent-ils pour autant ?
À
un niveau plus complexe, ces influx nerveux vont provoquer des
sensations ainsi que des émotions, des réactions à ces sensations,
colère, peur, détresse, etc... Ces émotions engagent à la fois le
corps et le cerveau dans toutes sortes de réactions appropriées ou
non. Les émotions influencent grandement nos états d'esprit, nos
comportements et nos attitudes (des postures, des gestes et des
mimiques faciales par exemple). Ces attitudes sont aussi là pour
montrer aux autres ce qu'on ressent intérieurement.
Enfin,
la conscience primaire est la perception ici et maintenant du monde
extérieur ainsi que la perception de états de notre corps. Elle est
dite conscience primaire parce qu'elle ne prend conscience que de la
situation présente. Elle ne se projette pas dans le passé ou
l'avenir comme peut le faire une conscience plus développée ;
et surtout elle ne se pense pas en tant que personne comme peut le
faire la conscience de soi (ou conscience réflexive).
En
ce qui concerne les mammifères, la neurobiologie a établit qu'ils
sont capables de nociception, de sensations, d'émotions et de
conscience primaire. Les mammifères sont donc capables d'éprouver
la conscience de la douleur. Ce ne sont donc pas de simples machines.
Les scientifiques s'accordent même à admettre la conscience de soi
pour certains mammifères évolués. C'est le fameux « test du
miroir ». On met les animaux devant un miroir et ceux qui sont
capables de reconnaître que l'image contenue dans le miroir n'est
autre qu'eux-mêmes sont estampillés « dotés de la conscience
de soi ». Ont passé ce test avec succès les chimpanzés, les
gorilles, les orangs-outans, les dauphins, les éléphants notamment.
Je suis pour ma part un peu sceptique face à ce test : le test
du miroir n'est jamais que le test qui prouve que l'animal est
capable de reconnaître son image dans un miroir. J'ai conscience de
moi, pas seulement quand je m'admire dans un miroir ! Je peux
avoir une conscience intuitive de moi à tout moment de mon
existence. Je peux aussi avoir une conscience plus réflexive de
moi-même quand je réfléchis à moi-même et à mon existence.
(Peut-on d'ailleurs penser à soi-même indépendamment de son
existence et de la vie que l'on a vécu?). Cette conscience réflexive
est certainement limitée aux humains ; mais la conscience
intuitive d'être une entité qui se bat pour sa survie et pour
améliorer son plaisir et son bien-être, tous les êtres conscients
l'ont à mon sens. C'est cette intuition qui conduit à entretenir
l'illusion de l'ego. Ce n'est pas quelque chose à quoi l'on pense,
mais c'est profondément inscrit en nous.
Mais
pour en revenir à la conscience de la douleur, il semble acquis que
la conscience de la douleur existe chez de nombreuses espèces
animales. Oui pour les mammifères, certainement pour les oiseaux,
probablement pour les poissons. Mais il suffit de regarder comment un
poisson se débat une fois qu'il a été pêché pour douter que ce
soit là seulement des réactions mécaniques au fait qu'il étouffe
à l'air libre. Certaines espèces animales sont problématiques
comme les huîtres qui n'ont pas de système nerveux. Mais
globalement, cela devrait être aux cartésiens et aux scientifiques
qui défendent les lobbys de la viande et les secteurs de l'élevage
à qui devrait revenir la charge de la preuve : ce sont eux qui
devraient prouver que les animaux ne sont pas capables d'éprouver de
la douleur comme ils prétendent. Cela ne devrait pas être la
situation actuelle où ce sont les véganes et les défenseurs des
animaux qui doivent établir la réalité de la souffrance des
animaux pour demander un traitement plus éthique de ces derniers.
1 Bernard
Mandeville, la Fable des Abeilles, ou les fripons devenus
honnêtes gens, 1714 (traduction de 1740), cité dans
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Anthologie d'éthique animale,
PUF, Paris, 2011, pp. 49-50.
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