Le Souffle des Ancêtres
(Birago
Diop)
Écoute
plus souvent
Les
choses que les êtres,
La
voix du feu s'entend
Entends
la voix de l'eau
Écoute
dans le vent
Le
buisson en sanglot :
C'est
le souffle des ancêtres.
Ceux
qui sont morts ne sont jamais partis
Ils
sont dans l'ombre qui s'éclaire
Et
dans l'ombre qui s'épaissit,
Les
morts ne sont pas sous la terre
Ils
sont dans l'arbre qui frémit,
Ils
sont dans le bois qui gémit,
Ils
sont dans l'eau qui coule,
Ils
sont dans l'eau qui dort,
Ils
sont dans la case, ils sont dans la foule
Les
morts ne sont pas morts.
Écoute
plus souvent
Les
choses que les êtres
La
voix du feu s’entend,
Entends
la voix de l’eau.
Écoute
dans le vent
Le
buisson en sanglots :
C’est
le Souffle des Ancêtres morts,
Qui
ne sont pas partis
Qui
ne sont pas sous la Terre
Qui
ne sont pas morts.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils
sont dans le sein de la femme,
Ils
sont dans l’enfant qui vagit
Et
dans le tison qui s’enflamme.
Les
morts ne sont pas sous la terre :
Ils
sont dans le feu qui s’éteint,
Ils
sont dans les herbes qui pleurent,
Ils
sont dans le rocher qui geint,
Ils
sont dans la forêt, ils sont dans la demeure,
Les
morts ne sont pas morts.
Écoute plus souvent
Les
choses que les êtres
La
voix du feu s’entend,
Entends
la voix de l’eau.
Écoute
dans le vent
Le
buisson en sanglots,
C’est
le Souffle des Ancêtres.
Il redit chaque jour le pacte,
Le
grand pacte qui lie,
Qui
lie à la loi notre sort,
Aux
actes des souffles plus forts
Le
sort de nos morts qui ne sont pas morts,
Le
lourd pacte qui nous lie à la vie.
La
lourde loi qui nous lie aux actes
Des
souffles qui se meurent
Dans
le lit et sur les rives du fleuve,
Des
souffles qui se meuvent
Dans
le rocher qui geint et dans l’herbe qui pleure.
Des
souffles qui demeurent
Dans
l’ombre qui s’éclaire et s’épaissit,
Dans
l’arbre qui frémit, dans le bois qui gémit
Et
dans l’eau qui coule et dans l’eau qui dort,
Des
souffles plus forts qui ont pris
Le
souffle des morts qui ne sont pas morts,
Des
morts qui ne sont pas partis,
Des
morts qui ne sont plus sous la Terre.
Écoute
plus souvent
Les
choses que les êtres
La
voix du feu s’entend,
Entends
la voix de l’eau.
Écoute
dans le vent
Le
buisson en sanglots,
C’est
le Souffle des Ancêtres.
Birago
Diop (Sénégal, 1906-1986), Leurres et lueurs, éditions Présence Africaine, 1960
Birago Diop |
Voilà
un poème qui chante le culte des ancêtres. Le culte des ancêtres
est très présent en Afrique, mais aussi en Asie. Cela revient
souvent dans les enseignements du maître bouddhiste vietnamien Thich
Nhat Hanh. Mais j'avoue que ce culte des ancêtres m'est assez
étranger. Pourtant, je ne suis pas étranger à la poésie de ces
lignes. Notre existence toute entière trouve ses racines dans le
passé ; et ce passé prolonge ces racines dans un passé encore
plus lointain. Quand le poète Birago Diop demande d'écouter la
silencieuse mélopée des choses plutôt que le bavardage des gens
autour de soi, cela fait sens pour moi. Tout ce qui se produit devant
nous, toutes les choses que nous rencontrons sur notre chemin est ce
qu'elle est parce qu'un long enchaînement de causes et de conditions
a produit cette chose telle qu'elle est dans l'instant présent. Le
passé n'est plus, mais il est la cause de ce qui est aujourd'hui. Le
clapotis de la rivière, la litanie du vent, le bruissement du
buisson et de la Nature toute entière, cela fait écho à toutes
sortes d'événements importants ou minuscules qui ont conditionné
le présent. Et les actes que ceux qui sont venus avant nous ont
aussi leur importance évidemment. Ce sont eux, les Anciens, qui ont
contribué à façonner notre monde. Et ce monde est ce qu'il est en
raison de leurs actions et de ce qu'ils entrepris pour construire ce
monde.
L'explication
bouddhiste fait intervenir les renaissances : on a vécu toute
une série de vies humaines ou animales tout au long des âges. Et
notre existence présente est conditionnée par les actes que nous
avons posés dans ces vies. Le culte des ancêtres se borne à
prendre en compte la lignée familiale. Je ne sais pas si c'est
absolument cohérent, car notre destin ne peut-il pas bifurquer ?
Si vos ancêtres ont été fermiers, ne pouvez-vous pas être ouvrier
ou commerçant ou juge ? Si vos parents étaient chrétiens,
animistes ou musulmans, ne pouvez-pas devenir bouddhiste ou
vice-versa ? Faut-il se laisser enfermer par le destin de nos
ancêtres qui, certes, continue à produire ces échos ici et là
dans ces monts et vallées que sont nos vies, mais qui, pourtant, n'a
pas de raison de déterminer entièrement nos vies, si ce n'est pour
les raisons souvent contestables de la coutume et de la tradition ?
Je
pense aussi que ce moment présent, ce monde qui s'offre à nous
présentement est le résultat de tous les actes posés par toutes
les Ancêtres, toutes les lignées d'hommes et de femmes qui se
mêlent et se démêlent constamment dans cette grande trame qu'on
appelle l'humanité, et au-delà même de l'humanité, l'immense
communauté des êtres doués de conscience et des êtres vivants. Et
toutes ces consciences passées, toutes ces vies de jadis continuent
à résonner dans nos vies individuelles et collectives. Comme le dit
Birago Diop, les morts « sont dans la case, ils sont dans la
foule. Les morts ne sont pas morts ». On peut sentir leur
présence si l'on veut bien abandonner le bavardage pour adopter une
attitude plus contemplative.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire