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mardi 6 décembre 2016

Tronc commun





     En Belgique, le ministère de l'enseignement vient de lancer une nouvelle réforme intitulée un peu pompeusement : « Pacte d'excellence ». Une mesure-phare de cette réforme est l'extension du tronc commun jusqu'à la troisième secondaire. Quelques mots d'explication : le système scolaire est divisé en trois types d'enseignement, général, technique et professionnel. L'enseignement général dispense une formation intellectuelle en vue de préparer aux études supérieures. Le technique tente de conjuguer les cours généraux (math, français, langues modernes, sciences....) avec des cours portant sur une branche socio-professionnelle plus précise : par exemple, électro-mécanique, bureautique, tourisme, agents d'éducation, etc... Le professionnel correspond à des élèves qui désirent rentrer dans le monde professionnel dès la sortie de l'enseignement secondaire : par exemple, menuiserie, soudure, mécanique, aide familiale, vente, horticulture, etc...

     Il faut savoir que ce principe est un peu perverti par le fait que la filière professionnelle est malheureusement trop souvent une filière-poubelle. Pas toujours, mais trop souvent. Quand un élève échoue dans l'enseignement général, la tendance est très souvent de l'aiguiller vers les filières techniques. Et si ça ne va vraiment pas, on l'aiguille vers le professionnel. La conséquence est qu'un certain nombre d'étudiants se retrouvent dans ces filières alors qu'ils n'ont pas vraiment la vocation pour la mécanique ou la soudure, et donc deviennent des poids morts et des élèves excessivement difficiles à gérer en classe et en plein décrochage scolaire.

     Le problème n'est pas neuf, mais la décision pour combattre cette tendance à reléguer dans le professionnel les élèves qui échouent dans l'enseignement général a été de prolonger le tronc commun jusqu'à la 3ème année. (Dans le système belge, on compte les années du secondaire de manière croissante de la 1ère à la 6ème, appelée « rhétorique »). Ce tronc commun oblige tous les élèves à suivre l'enseignement durant les 3 premières années. Jusqu'à présent, le tronc commun ne touchait que les deux premières années. Les élèves pouvaient entrer dans le professionnel dès la 3ème année. Il y a cinq ou six ans, les étudiants avaient accès au professionnel dès la 2ème année. Et jusque dans les années nonante, il n'y avait pas du tout de tronc commun. Cette idée de tronc commun a trouvé son chemin et s'est imposée en accord et avec l'aide d'une ribambelle de psycho-pédagogues qui n'ont aucune expérience de ce qu'est concrètement une classe, ce qui leur permet de théoriser à leur aise dans le vide.

    Je ne suis pas du tout d'accord avec cette évolution. L'allongement du tronc commun ne m'apparaît vraiment pas être une bonne idée. Les défenseurs de ce projet invoquent une idée d'égalité. Tout le monde devrait avoir accès au meilleur enseignement possible, et personne ne devrait être mis sur le bas-côté de la route. Voilà une idée noble : qui peut sérieusement s'opposer à des idées d'égalité ? Mais malheureusement, il y a une grosse faiblesse dans ce raisonnement. Les psycho-pédagogues et les sociologues de l'éducation en charge de la réforme perdent de vue un point important : dans leur conception des choses, la filière la plus enviable, celle que tout le monde devrait envier, c'est la filière générale. Tout simplement parce qu'eux-mêmes sont des universitaires, et que la voie royale vers l'université et les grandes écoles, c'est l'enseignement général. Mais ils ne voient pas que tout le monde n'a pas nécessairement envie de devenir médecin, avocat, ingénieur ou chercheur à l'université....

     Beaucoup de gamins sont beaucoup plus à l'aise dans les métiers manuels. Par ailleurs, quelle société pourrait-elle sérieusement se passe de menuisiers, de plombiers, de maçons, de jardiniers, de soudeurs, d'aides familiales ? Le problème réel est que la bourgeoisie universitaire méprise ces petits métiers et donc dévalorise l'enseignement professionnel qui y mène. Ce qu'il faudrait, c'est revaloriser ces métiers manuels et les formations professionnelles, pas empêcher les élèves d'y accéder. Cela n'a rien de déshonorant d'exercer ces professions, que du contraire !

    Pour beaucoup d'élèves du professionnel, les cours généraux comme le français, le latin, l'anglais ou le néerlandais, les sciences et les mathématiques sont un véritable calvaire. Pourquoi les forcer à étudier des matières qui en font pas sens pour eux et dans lesquels ils sont faibles ? Devoir les étudier leur donne l'impression qu'ils sont bêtes, incapables et inutiles à la société. Pourquoi prolonger ce calvaire en étendant le tronc commun à trois ans ?

    On est plein de bonnes intentions à l'égard ; mais rappelons-nous le proverbe qui dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions... On voudrait mettre de l'égalité dans l'école ; mais cela conduira toute une série d'élèves à récolter des mauvaises notes et des échecs scolaires dans une formation commune dans laquelle ils ne sentent pas à l'aise. Par ailleurs, cette volonté d'égalité renforcera les inégalités entre les écoles. Il y a d'un côté les écoles où il n'y a que de l'enseignement général : celles-là ne seront pas impactées par cette nouvelle mesure. De l'autre côté, il y a les écoles où on retrouve les trois filières, général, technique et professionnel. Dans ces écoles, les écoles comprendront les trois types d'élèves : les élèves qui relèvent du général seront dans la même classe que des élèves qui relèvent de l'enseignement professionnel. C'est peut-être super pour la mixité sociale, mais par expérience de prof, je peux dire que ce n'est pas super pour maintenir un bon niveau dans la classe. Les élèves « professionnels » risquent de tirer vers le bas les autres bas. Notez bien qu'il n'est pas impossible que se produise le contraire : que les bons élèves du général tire vers le haut les élèves plus faibles. Mais franchement, ce n'est vraiment pas ce qui arrive la plupart du temps ! Donc concrètement, cette réforme va encore creuser l'écart déjà grand entre les écoles élitistes et les écoles qui comptent plusieurs filières en leur mur. Voilà comment à partir d'une idéologie de l'égalité, on crée de l'inégalité !

      Je propose donc qu'on abandonne cette mesure purement et simplement. Tous les changements ne sont pas bons à prendre. L'idéal serait même de réduire le tronc commun à un an, voire même le supprimer. Comment dès lors résoudre le problème des élèves qui éjectés du système dans la filière professionnel ? Personnellement, je ne prétends pas avoir de solutions toutes faites. Mais une piste serait de provoquer un changement de mentalité dans la population : qu'on redore le blason des métiers tels que maçon, plombier, mécaniciens, aides familiales, tous ces métiers dont on a besoin dans notre société et dont on ne voit pas la vraie valeur. Par ailleurs, il serait utile de penser à des structures qui permettent à un élève de revenir dans l'enseignement général, moyennant certaines conditions afin de d'éviter cette dimension de la « relégation » de la filière professionnelle.





Frédéric Leblanc (enseignant), le 6 décembre 2016.










1 commentaire:

  1. Entièrement d'accord avec toi. Le débat dure depuis des années en France et on veut aussi allonger le tronc commun avec toujours plus de valorisation de l'intellectuel et une dépréciation du manuel, comme si on avait pas besoin de tout le monde, chacun selon ses préférences (du moins, les filières techno et pro ne devraient assurément pas être des filières "poubelle", du moins par défaut), je n'ai pas la solution non plus mais elle n'est sûrement pas dans l'allongement du tronc commun dans la mesure où nombre d'élèves se font chier à mort dans ce qu'on appelle le "général". Enfin plus ça va, plus je suis sceptique sur cette institution qu'est l'école, telle qu'elle est organisée en tous cas, même si j'ai le plus grand respect et la plus grande estime pour le boulot des collègues, c'est l'institution qui m'emmerde. Au juste, je viens de revoir un film que j'affectionne, Diabolo Menthe, tu connais ? J'adore ce film, il résonne grandement en moi.

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