Si tous les enfants de 8 ans
(2ème partie)
Voir la première partie.
4°)
Est-ce que la méditation agit de la même manière sur tout le
monde ? Est-ce que la méditation agit de la même façon qu'un
remède à prendre comme l'aspirine ?
Non, évidemment. C'est un point
extrêmement important. La méditation n'est pas quelque chose de
passif. La méditation n'est pas comme un médicament qu'on prendrait
et qui agirait indépendamment de nous : on ne peut pas
pratiquer autant d'heures de méditation pour avoir tel résultat,
telle diminution de la nervosité. Cela ne marche pas comme ça. J'ai
coutume de dire que la méditation est une façon extrêmement active
de ne rien faire.
Dans la méditation, on peut stagner, on
peut somnoler à longueur de séances, on peut se monter incapable ou
sans volonté d'échapper à la dispersion produites par les pensés.
On peut ne pas oser regarder ses côtés sombres. On peut
s'illusionner. Bref, on peut pratiquer la méditation sans que cela
transforme notre être de manière décisive. C'est un travail
toujours renouvelé que d'aller au-delà de la confusion et des
illusions, de revenir encore et encore à l'attention soutenue. Il
n'y a aucune garantie que vous atteigniez l’Éveil d'un Bouddha :
cela se gagne.
Je donnerai un seul contre-exemple d'un
méditant qui n'est pas un homme de paix. Le moine Wirathu est ce
moine birman qui, au nom du nationalisme birman, appelle à massacrer
les membres de la communauté musulmane Rohingya en Birmanie. Il y a
eu un documentaire sur ce personnage douteux : « Le
Vénérable W » de Barbet Scroeder (2017). Dans une
interview, Wirathu explique qu'il a aimé la prison, car cela avait
été pour lui l'occasion de pratiquer la méditation. Donc Wirathu
médite. Certainement mal, mais il médite. Et il fait l'apologie de la haine, de la dissension et d'une
guerre civile complètement atroce.
Donc méditer ne suffit pas pour
extirper la haine et les germes de la guerre hors de son esprit. Il
faut bien pratiquer la méditation, et y faire, naître encore et
encore l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité,
contre ceux qui font du bouddhisme une identité guerrière. Il faut
affronter sa propre part d'ombre. Dans l'Antiquité, Térence
disait : « Je suis humain, et rien de ce qui est humain
ne m'est étranger ». Cela doit servir d'avertissement :
la méditation seule ne fait pas de nous un homme de paix. La paix se
gagne à travers un long cheminement spirituel.
5°)
Quel type de méditation enseigner aux enfants ?
Rien que dans le bouddhisme, le panel
des différentes techniques de méditation est vaste. La question
est : que va-t-on apprendre aux enfants en respectant leur
nature d'enfant ? Et comment enseigner une technique
particulière pour que les enfants puissent s'y retrouver ? Je
vais me contenter ici de poser ces questions, car je ne suis pas du
tout un spécialiste de la méditation pour les enfants.
Néanmoins, je vais poser une seule
prescription, mais qui semble très importante : il faut
conserver un caractère ludique et léger à la méditation, adapté
à l'âge des enfants. Ce ne doit être en aucun une pénitence pour
les enfants. Pour les adultes, la méditation est souvent difficile
et pénible ; mais si on propose une activité de méditation
pour les enfants, celle-ci doit être plaisante et agréable. Sinon
autant laisser les enfants jouer tranquillement, comme je l'ai déjà
dit plus haut.
6°)
Est-ce qu'il est pertinent de penser que cet enseignement de la
méditation à toute l'enfance de l'humanité soit un véritable
remède à la violence qui se déchaîne dans le monde ?
On aura compris que je suis très
sceptique sur la question. La méditation n'enlève pas
systématiquement toute trace de violence en nous, même pour les
adultes. Appliquée uniquement aux enfants, je pense que cela est
voué à l'échec, puisque les enfants vont se retrouver déchirés
entre le modèle qu'on leur présente dans la méditation et le
modèle parental.
Néanmoins, je pense comme le Dalaï-Lama
que : « plus de paix dans votre esprit contribue à
plus de paix dans le monde ». À
un niveau individuel, nous avons la possibilité d'apporter notre
petite contribution à l'ordre du monde ou plutôt à son désordre.
Apaiser notre colère, notre ressentiment, notre malveillance est
vraiment essentiel pour apporter du bien-être tout autour de soi.
Promouvoir la méditation me semble être une mesure pour contribuer
à un monde meilleur. Apaiser notre esprit fera que nos réactions
vis-à-vis d'autrui seront moins porteuses de problèmes et de
tensions et, au contraire, apporteront du bonheur. Cette contribution
individuelle est certes très petite par rapport à l'ensemble de
l'humanité ; mais si beaucoup de gens se joignent dans l'effort
commun, l'ensemble de ces petites contributions individuelles peut
avoir un impact énorme, surtout qu'un acte de bienveillance peut
inspirer un autre acte de bienveillance, qui va lui-même inspirer un
autre acte de bienveillance, etc...
Enseigner la méditation et encourager à
la pratique, que ce soit pour les enfants, mais avant tout pour les
adultes, peut avoir un effet positif sur la diminution de la violence
et des conflits dans le monde. Il faut néanmoins ne pas être naïf
et se mette à croire à des miracles, comme si la méditation allait
changer le monde en un coup de baguette magique. Il serait aussi naïf
et inconséquent de négliger l'action politique globale et le
travail de compréhension des mécanismes sociologiques, historiques,
géopolitiques qui conduisent à des conflits et des guerres. On cite
souvent l'histoire du colibri qui prend de l'eau dans son tout petit
bec pour aller éteindre l'incendie de la forêt comme paradigme des
initiatives individuelles infinitésimales à l'échelle de la
planète, mais qui peuvent faire évoluer les choses dans le sens du
bien. Ce petit conte interpelle, mais il vaut quand même mieux faire
appel à un canadair qu'à un colibri pour venir à bout d'un
incendie qui fait rage dans la toute la forêt. Je veux dire par là
que les initiatives individuelles pour être efficace doivent
s'agréger pour un projet politique (au sens noble du mot
« politique »)
*****
En guise de conclusion, je voudrais
citer un extrait du « Plaidoyer pour l'altruisme »
de Matthieu Ricard (éd. NiL, Paris, 2013, chap. 37, pp. 608-609) :
« C’est
le matin, dans la salle de classe d’une école maternelle de
Madison, dans l’État du Wisconsin, aux États-Unis. Allongés sur
le dos, des enfants de quatre à cinq ans, issus en majorité de
milieux défavorisés, apprennent à se concentrer sur le va-et-vient
de leur souffle et sur les mouvements d’un petit ours en peluche
posé sur leur poitrine. Après quelques minutes, au son d’un
triangle musical, ils se lèvent et vont ensemble observer les
progrès des « graines de paix » qu’ils ont chacun
plantées dans des pots rangés le long des fenêtres de la classe.
L’enseignant leur demande
de prendre conscience du soin dont les plantes ont besoin et, par
association d’idées, du soin dont l’amitié, elle aussi, a
besoin. Puis il les aide à comprendre que ce qui les rend sereins
est aussi ce qui permet aux autres enfants d’être sereins. Au
début de chaque séance, les enfants expriment à voix haute la
motivation qui doit inspirer leur journée : « Puisse tout
ce que je pense, tout ce que je dis et tout ce que je fais ne causer
aucun tort aux autres, mais au contraire les aider. »
Ce sont là quelques
éléments d’un programme de dix semaines conçu par le Centre
d’investigation de la bonne santé mentale (Center for
Investigating Healthy Minds), fondé par le psychologue et
neuroscientifique Richard Davidson. Bien que sa collaboratrice Laura
Pinger et leurs autres collègues n’enseignent ce programme que
trois fois par semaine, à raison de trente minutes par séance, il a
un effet notable sur les enfants. Ceux-ci demandent d’ailleurs aux
instructeurs pourquoi ils ne viennent pas tous les jours.
Au fil des semaines,
les enfants sont amenés très naturellement à pratiquer des actes
de bonté, à se rendre compte que ce qui les met mal à l’aise met
aussi mal à l’aise les autres, à mieux identifier leurs émotions
et celles de leurs camarades, à pratiquer la gratitude et à former
des souhaits bienveillants pour eux-mêmes et pour autrui. Lorsqu’ils
sont perturbés, on leur montre qu’ils peuvent certes résoudre
leurs problèmes en agissant sur les circonstances extérieures mais
aussi en agissant sur leurs propres émotions.
Au bout de cinq
semaines vient le moment de donner à d’autres une ou plusieurs
plantes que chacun a fait pousser. Les enfants sont ensuite amenés à
prendre conscience qu’ils sont reliés à tous les enfants de la
planète, à toutes les écoles et à tous les peuples, lesquels
aspirent à la paix et dépendent tous les uns des autres. Cela les
conduit à éprouver de la gratitude à l’égard de la nature, des
animaux, des arbres, des lacs, des océans, de l’air que nous
respirons, et à prendre conscience qu’il est important de prendre
soin de notre monde. »
Je trouve cette
expérience très intéressante, pour plusieurs raisons :
- les exercices demandés aux enfants sont ludiques et créatifs,
- on n'exige pas des enfants qu'ils pratiquent une méditation aride,
- on vise des objectifs réalistes à la portée des enfants : développer la bonne entente, l'empathie, la compréhension du ressenti des camarades de classe, le réflexe de chercher des solutions en soi-même en agissant sur ses propres émotions, le sentiment d'être rattaché au monde.
Matthieu Ricard se
montre extrêmement enthousiaste : il parle de « réussite
spectaculaire ». Il constate « une nette amélioration
des comportements prosociaux et une diminution des troubles
émotionnels et des conflits chez les participants à l'expérience ».
Le Dalaï-Lama, lui même, a appelé à la reproduction de cette
expérience : « Une école, dix écoles, cent écoles,
puis, par l'intermédiaire des Nations-Unies, les écoles du monde
entier... »
Je serai pour ma part
beaucoup plus prudent. Regardons comment l'expérience est dupliquée
à travers le monde, regardons comment elle perdure dans le temps.
Par mon expérience de prof, je sais que pratiquer une nouvelle
manière d'enseigner suscite toujours l'enthousiasme les premiers
temps, justement parce que c'est nouveau, puis l'intérêt s'émousse
et retombe insensiblement. Soyons donc ouvert d'esprit, voyons
comment cela évolue, ce qu'on peut en retirer, mais ne nous
emballons pas trop. Et rappelons-nous surtout que c'est les adultes
qui ont la responsabilité morale et spirituelle de s'améliorer
eux-mêmes et de contribuer à un monde meilleur. C'est l'engagement
sacré qu'ils ont envers les enfants d'aujourd'hui et les enfants des
générations futures.
Frédéric Leblanc,
le 29 août 2018.
Concernant le Dalaï-Lama :
Voir également :
- À la manière des rois, à la manière des sages
- Cagnes-sur-Mer (Jacques Prévert)
- Pacifiste ou pacifique
- Équanimité
- Empathie et altruisme
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
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