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mercredi 29 août 2018

Si tous les enfants de 8 ans - 2ème partie



Si tous les enfants de 8 ans

(2ème partie) 






4°) Est-ce que la méditation agit de la même manière sur tout le monde ? Est-ce que la méditation agit de la même façon qu'un remède à prendre comme l'aspirine ?


     Non, évidemment. C'est un point extrêmement important. La méditation n'est pas quelque chose de passif. La méditation n'est pas comme un médicament qu'on prendrait et qui agirait indépendamment de nous : on ne peut pas pratiquer autant d'heures de méditation pour avoir tel résultat, telle diminution de la nervosité. Cela ne marche pas comme ça. J'ai coutume de dire que la méditation est une façon extrêmement active de ne rien faire.


     Dans la méditation, on peut stagner, on peut somnoler à longueur de séances, on peut se monter incapable ou sans volonté d'échapper à la dispersion produites par les pensés. On peut ne pas oser regarder ses côtés sombres. On peut s'illusionner. Bref, on peut pratiquer la méditation sans que cela transforme notre être de manière décisive. C'est un travail toujours renouvelé que d'aller au-delà de la confusion et des illusions, de revenir encore et encore à l'attention soutenue. Il n'y a aucune garantie que vous atteigniez l’Éveil d'un Bouddha : cela se gagne.


      Je donnerai un seul contre-exemple d'un méditant qui n'est pas un homme de paix. Le moine Wirathu est ce moine birman qui, au nom du nationalisme birman, appelle à massacrer les membres de la communauté musulmane Rohingya en Birmanie. Il y a eu un documentaire sur ce personnage douteux : « Le Vénérable W » de Barbet Scroeder (2017). Dans une interview, Wirathu explique qu'il a aimé la prison, car cela avait été pour lui l'occasion de pratiquer la méditation. Donc Wirathu médite. Certainement mal, mais il médite. Et il fait l'apologie de la haine, de la dissension et d'une guerre civile complètement atroce.


      Donc méditer ne suffit pas pour extirper la haine et les germes de la guerre hors de son esprit. Il faut bien pratiquer la méditation, et y faire, naître encore et encore l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité, contre ceux qui font du bouddhisme une identité guerrière. Il faut affronter sa propre part d'ombre. Dans l'Antiquité, Térence disait : « Je suis humain, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger ». Cela doit servir d'avertissement : la méditation seule ne fait pas de nous un homme de paix. La paix se gagne à travers un long cheminement spirituel.













5°) Quel type de méditation enseigner aux enfants ?


      Rien que dans le bouddhisme, le panel des différentes techniques de méditation est vaste. La question est : que va-t-on apprendre aux enfants en respectant leur nature d'enfant ? Et comment enseigner une technique particulière pour que les enfants puissent s'y retrouver ? Je vais me contenter ici de poser ces questions, car je ne suis pas du tout un spécialiste de la méditation pour les enfants.


        Néanmoins, je vais poser une seule prescription, mais qui semble très importante : il faut conserver un caractère ludique et léger à la méditation, adapté à l'âge des enfants. Ce ne doit être en aucun une pénitence pour les enfants. Pour les adultes, la méditation est souvent difficile et pénible ; mais si on propose une activité de méditation pour les enfants, celle-ci doit être plaisante et agréable. Sinon autant laisser les enfants jouer tranquillement, comme je l'ai déjà dit plus haut.







6°) Est-ce qu'il est pertinent de penser que cet enseignement de la méditation à toute l'enfance de l'humanité soit un véritable remède à la violence qui se déchaîne dans le monde ?


      On aura compris que je suis très sceptique sur la question. La méditation n'enlève pas systématiquement toute trace de violence en nous, même pour les adultes. Appliquée uniquement aux enfants, je pense que cela est voué à l'échec, puisque les enfants vont se retrouver déchirés entre le modèle qu'on leur présente dans la méditation et le modèle parental.


       Néanmoins, je pense comme le Dalaï-Lama que : « plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ». À un niveau individuel, nous avons la possibilité d'apporter notre petite contribution à l'ordre du monde ou plutôt à son désordre. Apaiser notre colère, notre ressentiment, notre malveillance est vraiment essentiel pour apporter du bien-être tout autour de soi. Promouvoir la méditation me semble être une mesure pour contribuer à un monde meilleur. Apaiser notre esprit fera que nos réactions vis-à-vis d'autrui seront moins porteuses de problèmes et de tensions et, au contraire, apporteront du bonheur. Cette contribution individuelle est certes très petite par rapport à l'ensemble de l'humanité ; mais si beaucoup de gens se joignent dans l'effort commun, l'ensemble de ces petites contributions individuelles peut avoir un impact énorme, surtout qu'un acte de bienveillance peut inspirer un autre acte de bienveillance, qui va lui-même inspirer un autre acte de bienveillance, etc...


        Enseigner la méditation et encourager à la pratique, que ce soit pour les enfants, mais avant tout pour les adultes, peut avoir un effet positif sur la diminution de la violence et des conflits dans le monde. Il faut néanmoins ne pas être naïf et se mette à croire à des miracles, comme si la méditation allait changer le monde en un coup de baguette magique. Il serait aussi naïf et inconséquent de négliger l'action politique globale et le travail de compréhension des mécanismes sociologiques, historiques, géopolitiques qui conduisent à des conflits et des guerres. On cite souvent l'histoire du colibri qui prend de l'eau dans son tout petit bec pour aller éteindre l'incendie de la forêt comme paradigme des initiatives individuelles infinitésimales à l'échelle de la planète, mais qui peuvent faire évoluer les choses dans le sens du bien. Ce petit conte interpelle, mais il vaut quand même mieux faire appel à un canadair qu'à un colibri pour venir à bout d'un incendie qui fait rage dans la toute la forêt. Je veux dire par là que les initiatives individuelles pour être efficace doivent s'agréger pour un projet politique (au sens noble du mot « politique »)







*****






       En guise de conclusion, je voudrais citer un extrait du « Plaidoyer pour l'altruisme » de Matthieu Ricard (éd. NiL, Paris, 2013, chap. 37, pp. 608-609) :


     « C’est le matin, dans la salle de classe d’une école maternelle de Madison, dans l’État du Wisconsin, aux États-Unis. Allongés sur le dos, des enfants de quatre à cinq ans, issus en majorité de milieux défavorisés, apprennent à se concentrer sur le va-et-vient de leur souffle et sur les mouvements d’un petit ours en peluche posé sur leur poitrine. Après quelques minutes, au son d’un triangle musical, ils se lèvent et vont ensemble observer les progrès des « graines de paix » qu’ils ont chacun plantées dans des pots rangés le long des fenêtres de la classe. L’enseignant leur demande de prendre conscience du soin dont les plantes ont besoin et, par association d’idées, du soin dont l’amitié, elle aussi, a besoin. Puis il les aide à comprendre que ce qui les rend sereins est aussi ce qui permet aux autres enfants d’être sereins. Au début de chaque séance, les enfants expriment à voix haute la motivation qui doit inspirer leur journée : « Puisse tout ce que je pense, tout ce que je dis et tout ce que je fais ne causer aucun tort aux autres, mais au contraire les aider. »



      Ce sont là quelques éléments d’un programme de dix semaines conçu par le Centre d’investigation de la bonne santé mentale (Center for Investigating Healthy Minds), fondé par le psychologue et neuroscientifique Richard Davidson. Bien que sa collaboratrice Laura Pinger et leurs autres collègues n’enseignent ce programme que trois fois par semaine, à raison de trente minutes par séance, il a un effet notable sur les enfants. Ceux-ci demandent d’ailleurs aux instructeurs pourquoi ils ne viennent pas tous les jours.


   Au fil des semaines, les enfants sont amenés très naturellement à pratiquer des actes de bonté, à se rendre compte que ce qui les met mal à l’aise met aussi mal à l’aise les autres, à mieux identifier leurs émotions et celles de leurs camarades, à pratiquer la gratitude et à former des souhaits bienveillants pour eux-mêmes et pour autrui. Lorsqu’ils sont perturbés, on leur montre qu’ils peuvent certes résoudre leurs problèmes en agissant sur les circonstances extérieures mais aussi en agissant sur leurs propres émotions.


      Au bout de cinq semaines vient le moment de donner à d’autres une ou plusieurs plantes que chacun a fait pousser. Les enfants sont ensuite amenés à prendre conscience qu’ils sont reliés à tous les enfants de la planète, à toutes les écoles et à tous les peuples, lesquels aspirent à la paix et dépendent tous les uns des autres. Cela les conduit à éprouver de la gratitude à l’égard de la nature, des animaux, des arbres, des lacs, des océans, de l’air que nous respirons, et à prendre conscience qu’il est important de prendre soin de notre monde. »


     Je trouve cette expérience très intéressante, pour plusieurs raisons :
  • les exercices demandés aux enfants sont ludiques et créatifs,
  • on n'exige pas des enfants qu'ils pratiquent une méditation aride,
  • on vise des objectifs réalistes à la portée des enfants : développer la bonne entente, l'empathie, la compréhension du ressenti des camarades de classe, le réflexe de chercher des solutions en soi-même en agissant sur ses propres émotions, le sentiment d'être rattaché au monde.


      Matthieu Ricard se montre extrêmement enthousiaste : il parle de « réussite spectaculaire ». Il constate « une nette amélioration des comportements prosociaux et une diminution des troubles émotionnels et des conflits chez les participants à l'expérience ». Le Dalaï-Lama, lui même, a appelé à la reproduction de cette expérience : « Une école, dix écoles, cent écoles, puis, par l'intermédiaire des Nations-Unies, les écoles du monde entier... »


      Je serai pour ma part beaucoup plus prudent. Regardons comment l'expérience est dupliquée à travers le monde, regardons comment elle perdure dans le temps. Par mon expérience de prof, je sais que pratiquer une nouvelle manière d'enseigner suscite toujours l'enthousiasme les premiers temps, justement parce que c'est nouveau, puis l'intérêt s'émousse et retombe insensiblement. Soyons donc ouvert d'esprit, voyons comment cela évolue, ce qu'on peut en retirer, mais ne nous emballons pas trop. Et rappelons-nous surtout que c'est les adultes qui ont la responsabilité morale et spirituelle de s'améliorer eux-mêmes et de contribuer à un monde meilleur. C'est l'engagement sacré qu'ils ont envers les enfants d'aujourd'hui et les enfants des générations futures.



Frédéric Leblanc, 
le 29 août 2018.






















Concernant le Dalaï-Lama :












Voir également : 




À la manière des rois, à la manière des sages


- Cagnes-sur-Mer (Jacques Prévert)


- Pacifiste ou pacifique


Équanimité


Empathie et altruisme




















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