Une
prétendue guerre de l'islam politique
Je
voudrais ici réagir à une interview de Michel Onfray parue dans le
quotidien belge « Le Soir » le lundi 16 novembre 2015.
Dans cette interview, le philosophe français défend ses opinions
sur les attentats de Paris et sa conception d'un très douteux
« islam politique ». Ces idées ne sont pas neuves chez
lui. On ne trouvera quantités d'autres interviews dans la presse
écrite et sur les plateaux de télévision. La nuit même du 13 au
14 novembre, il lançait un tweet sur le réseau social Twitter
particulièrement explicite : « Droite
et gauche qui ont internationalement semé la guerre contre l'islam
politique récoltent nationalement la guerre de l'islam politique ».
On ne peut être plus clair : on fait l'économie d'une
compassion à l'égard des victimes des attentats pour passer
directement l'attaque du gouvernement et de la démocratie française.
Les méchants, ce ne sont pas les terroristes, mais bien Hollande,
mais bien Sarkozy, mais bien Chirac, mais bien Mitterrand, mais bien
tous les hommes politiques qui ont contribué à la politique
internationale de la République française depuis au moins 25 ans.
Dans
le Soir, Onfray explique : « Ce qui a eu lieu le
vendredi 13 novembre est certes un acte de guerre, mais il répond à
d'autres actes de guerre dont le moment initial est la décision de
détruire l'Irak de Saddam Hussein par le clan Bush et ses alliés,
il y a un quart de siècle. La France fait partie depuis le début,
hormis l'heureux épisode chiraquien, de la coalition occidentale qui
a déclaré la guerre à des pays musulmans. Irak, Afghanistan, Mali,
Libye... Ces pays ne nous menaçaient aucunement avant que nous leur
refusions leur souveraineté et la possibilité pour eux d'instaurer
chez eux leur régime de leur choix. La France n'a pas vocation à
être le gendarme du monde et à intervenir selon son caprice dans
tel ou tel pays pour y interdire le choix qu'il fait ».
Première
réflexion : Saddam Hussein n'était pas une petite victime en
1991 quand a éclaté la 1ère guerre du Golfe. C'est lui
qui a décidé d'envahir le Koweit en prétendant que c'était la
dix-neuvième province de l'Irak, et donc c'est lui qui a menacé en
premier la souveraineté d'un État ! Auparavant, Saddam Hussein
s'est toujours comporté en dictateur féroce ; et c'est lui qui
avait dans les années '80 déclaré la guerre Iran-Irak qui a été
une boucherie sans nom. On ne peut donc pas établir un manichéisme
simpliste comme le fait Onfray entre les gentils musulmans agressés
et les méchants Occidentaux toujours avides de guerre et de
destruction. Cela ne peut pas fonctionner comme ça ! Certes,
les Occidentaux sont intervenus pour défendre des intérêts
géostratégiques évidents. Il y a des quantités énormes de
pétrole au Koweit comme en Irak. Les démocraties occidentales ne
sont pas non plus angéliques dans cette histoire. C'est une
évidence. Gardons-nous de tout manichéisme afin de garder un
semblant d'intelligence dans l'analyse des faits qui sont complexes
tant que par le nombre des forces en présence, mais aussi le nombre
colossal de grille d'interprétations que l'on peut avoir dans cet
événement.
Deuxième
réflexion : cette première guerre du Golfe n'avait rien, mais
rien du tout d'une guerre religieuse ! Les Occidentaux n'ont pas
cherché à détruire les sites de l'islam, mais étendre leur
puissance sur les réserves de pétrole dans la région. Ils n'en ont
pas moins commis des erreurs flagrantes, comme notamment les
Américains qui ont déployé des troupes sur le sol saoudien, alors
que certains textes de l'islam interdisent explicitement que des
armées d'impies soient présents sur la terre sainte de la Mecque et
de Médine. Les Américains avaient promis que ce serait provisoire,
mais après la fin de cette première guerre du Golfe, ils sont
restés. Ce qui a provoqué le ressentiment d'une bonne partie des
Saoudiens. Oussama Ben Laden justifiait notamment ses attaques contre
le « Grand Satan Américain » du fait de la présence des
GI's sur cette terre d'islam qu'est l'Arabie Saoudite.
D'un
autre côté, Saddam Hussein, jusqu'alors personnage extrêmement peu
religieux, s'est trouvé soudain une vocation soudaine pour la prière
en public. Cette stratégie lui a permis de rallier des sympathies
d'un monde musulman qui n'a toujours pas digéré la colonisation.
Cela lui a permis de se présenter en victime pendant des années.
Mais, sil vous plaît, ne soyons pas dupes de cette mascarade :
Saddam Hussein n'était pas plus un pieux musulman que Georges Bush
n'a été un porteur du message d'amour de prochain de Jésus
Christ ! Si la question de « l'islam politique » est
intervenue à ce moment-là, c'est purement en vue de manipuler des
masses avides de crier leur dégoût justifié ou non de l'Occident.
Troisième
réflexion : Onfray dans cet extrait mentionne le Mali comme
exemple de « guerre contre les pays musulmans » (sic!).
Mais si la France est intervenue dans ce conflit en 2012, ce n'est
pas contre le gouvernement malien (pourtant composés très
majoritairement de musulmans) ! Mais bien pour contrer
l'invasion des fanatiques islamistes dans la région qui répandaient
la terreur et la destruction. Qu'on se rappelle les destructions
contre des mosquées, des tombeaux de saints musulmans et les
bibliothèques coraniques commises par les jihadistes salafistes et
l'on relativisera beaucoup la soi-disant « guerre contre
l'islam politique » théorisée par monsieur Onfray. Peut-être
que la France n'a pas vocation à être le gendarme du monde, mais
alors faut-il tous les criminels, tous les fascistes, tous les
terroristes envahir le monde sans que nous ne levions le petit
doigt ?
Avant
la seconde guerre mondiale, dans les années '30, il y avait de très
forts courants pacifistes qui contestaient haut et fort la simple
idée de réarmer face à l'Allemagne nazie. Ces gens avaient de
bonnes raisons d'être pacifistes : ils avaient été
traumatisés par les horreurs monstrueuses de la 1ère
guerre mondiale. Ils avaient connu les tranchées, le froid, la boue,
les barbelés, les bombardements incessants et les ordres imbéciles
venus d'en haut qui demandaient de charger contre les lignes ennemies
alors que, toute évidence, ce serait une boucherie. Ils ont connu
aussi les fusillés pour l'exemple, ils ont entendu le cris des
mourants, ils ont touché l'absurdité de la guerre. Ils ont alors
pensé que cette guerre, c'était la « der des der »,
la dernière des dernières, et ils ont voulu chasser le spectre
hideux de la guerre, même quand Adolf Hitler est devenu chancelier
de l'Allemagne. La France et l'Angleterre sont restées trop
longtemps sans rien faire face à Hitler. Peut-on vraiment
aujourd'hui rester sans rien faire à l’État Islamique et autres
factions jihadistes qui se propagent en de nombreux points du globe ?
Peut-on les laisser sans broncher piller, détruire, violer,
massacrer, torturer, lapider, brûler, tout en se réfugiant dans le
pacifisme ?
Dans
les années '20, Albert Einstein était un fervent pacifiste. Il
était de toutes les manifestations contre la guerre et le
militarisme. A ce titre, ils étaient en lien avec un grand nombre de
pacifistes dans toute l'Europe. Mais dans les années '30, quand il a
compris la véritable nature du régime national-socialiste d'Adolf
Hitler, il a complètement basculé dans son opinion. Au grand dam
des pacifistes européens, il a soutenu qu'il fallait se préparer à
combattre Hitler, pas seulement sur le terrain de l'idéologie, mais
aussi par les armes. Plus tard, il a même cosigné avec le physicien
Léo Szilárd une
lettre enjoignant le président des États-Unis à se lancer dans la
course à l'arme nucléaire pour devancer les scientifiques allemands
qui travaillaient sur ce projet pour le compte du régime nazi.
*****
Mais
dans l'interview, Michel Onfray ne s'arrête pas là : il met en
cause une entité abstraite qu'il appelle « islam politique »,
une entité qui se confond selon lui avec l'Oumma,
la communauté de tous les musulmans (« C'est
se demander ce que signifie faire la guerre à un peuple qui est
celui de la communauté musulmane planétaire, l'oumma »
- sic). Et nous, méchants Occidentaux, nous aurions déclaré la
guerre à cet « islam politique ». Je cite toujours
Michel Onfray : « C'est
une guerre menée par l'islam politique avec autant d'intelligence
que l'Occident mène la sienne, mais avec moins d'armes ou avec
d'autres armes que les nôtres » (re-sic). Ce qui pose d'emblée, c'est l'islamophobie
pathologique de Michel Onfray, il y a aurait un « islam
politique » aux valeurs diamétralement opposées à
l'hédonisme libertaire et « solaire » de Michel Onfray.
Le problème, c'est que cet islam politique est un fantasme. Les
musulmans ne sont absolument pas une unité, même si ceux-ci
entretiennent eux aussi le fantasme d'une Oumma, une communauté des
croyants unies sous la bannière de l'unicité de Dieu. L'oumma est
fragmentée en une multitude de courants et de branches qui ne
s'entendent pas du tout entre eux. Il y a des chiites et des
sunnites, et une myriade de subdivisions. Il y a des traditionalistes
et des réformistes, il y a des pacifiques et des belliqueux, des
courants liés aux différentes cultures et nationalités. Et même
parmi les salafistes les plus enragés, ils n'arrivent pas à
s'entendre : actuellement, le front Al-Nosra proches d'Al-Qaida,
est violemment opposé à Daesh, l’État Islamique !
Ce
qu'on appelle islam politique est la tentation pour nombre de
musulmans que l'islam agisse sur les décisions politiques et les
valeurs que devrait défendre la société musulmane. Mais il y a
toutes sortes de conceptions de l'islam politique. Qu'on regarde en
Turquie le parti de Recep Tayyip Erdogan et l'on verra que cela n'a
pas grand-chose à voir avec ce qui se passe à l'intérieur de Daesh
ou chez les talibans d'Afghanistan. Dans l'Europe chrétienne, il y a
depuis longtemps des mouvances politiques ou syndicales qui se
revendiquent du christianisme, mais on ne peut pas assimiler toutes
ces mouvances chrétiennes aux catholiques qui défendaient le
général Franco durant la guerre d'Espagne. Michel Onfra y dit que
le philosophe doit vivre dans un « temps
long fait de réflexion ».
Je suis d'accord avec lui sur ce point, mais pourquoi alors ne se
documente-t-il pas un peu plus sur ce qu'il appelle « islam
politique » ? Il verrait alors que le concept d'islam
politique ne recouvre aucune unité : les musulmans ne sont pas
comme un seul homme derrière la bannière noire de Daesh. Je dirai
même plus que s'il est de bon ton de se revendiquer
« anti-américain » dans le monde arabe comme il est de
bon ton de revendiquer « contre les Amerloques » en
France, la politique des pays musulmans montre qu'ils ne sont pas
aussi anti-occidentaux qu'on voudrait bien le dire. Il me semble que
la philosophie devrait rendre compte de la complexité du monde
musulman plutôt que de nourrir le fantasme ridicule et néfaste du
« clash des civilisations ».
Le camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie où des musulmans subissent les attaques venant d'autres musulmans.... |
Mais
Onfray ne s'arrête pas là. Il nous expose alors un étrange
philosophie de l'Histoire d'inspiration hégélienne : « Ils
ont des plans. Ils disposent également d'une vision de l'Histoire,
ce que nous sommes incapables d'avoir, tout à notre matérialisme
trivial qui obéit aux combines électorales, aux mafias de l'argent,
au cynisme économique, à la tyrannie de l'instant médiatique. Le
Califat a clairement livré ses intentions. Mais notre dénégation
est coupable. Leur dénier le droit de dire qu'ils sont un État
Islamique doublé de l'invitation politiquement correcte à dire
qu'il s'agit de Daesh, faire d'eux des barbares, les qualifier de
terroristes, tout ça fait que nous sous-estimons en tout point leur
nature véritable qui n'est pas à mépriser »
(sic!).
On
atteint ici le summum d'une pensée nauséabonde. Onfray, philosophe
agressivement matérialiste et anti-religieux (il est quand même
l'auteur du best-seller « Traité
d'Athéologie »,
je le rappelle) nous vend une division simpliste du monde avec d'un
côté les matérialistes occidentaux, des gens détestables :
ils croient en la démocratie, et tout le monde sait que la
démocratie, c'est magouilles et compagnie. Et de l'autre, on a de
braves gens qu'on aurait tort de mépriser ou de sous-estimer, des
gens qui ont une « vision de l'Histoire » d'une
profondeur inégalée : instaurer le Califat en tuant,
massacrant tout le monde s'il le faut. Quelle pureté ! Quelle
merveille que cet État Islamique qui ne se compromet pas avec la
démocratie et ses petits calculs électoraux minables ! Je ne
sais pas si je dois rire ou pleurer devant un tel chapelet
d’imbécillités ! Je rappellerai simplement que Daesh
massacre tous les non-musulmans, les chrétiens, les yézidis, mais
aussi les musulmans non-sunnites tels que les chiites, les druzes,
les alaouites... Faut-il rappeler aussi les décapitations, les
immolations, les fusillades pratiquées à la chaîne ? Faut-il
mentionner les fatwas qui autorisent les combattants à violer des
femmes non-musulmanes et des jeunes filles, et de les réduire en
esclavage ?
Est-ce
vraiment un problème si l'Occident ne génère plus de vision de
l'Histoire comparé à ce projet démentiel d'instaurer un Califat
planétaire ? N'est-ce pas plutôt un progrès et une
considérable avancée de nos sociétés ? Karl Popper avait
bien montré en son temps le danger que représente la philosophie de
l'Histoire : tout expliquer à l'aide d'un sens de l'Histoire
comme on a pu le faire dans l'idéologie marxiste ou
national-socialiste conduit à justifier des régimes totalitaires.
Contre Michel Onfray, je dis haut et fort qu'il faut préférer les
sociétés ouvertes qui sont les nôtres, avec certes toutes sortes
de défaut et de déviances qu'on peut bien sûr critiquer :
clientélisme, démagogie, consumérisme, influence du monde de la
finance, dévoiement des médias... Mais avec tous leurs défauts,
les démocraties occidentales sont quand même infiniment préférables
à un régime comme celui de Daesh qui vit de manière criminelle et
corrompue contre les populations qu'elle asservit.
L'idéologie
de Michel Onfray est donc fausse, elle est lâche car elle nous
demande de nous soumettre devant les jihadistes, de nous rendre
serviles. Michel demande à la France d'arrêter sa politique
islamophobe, mais c'est certainement un des pires islamophobes qui
court actuellement sur les plateaux de télévision ! Et puis
surtout, l'idéologie de Michel Onfray ne sert à rien, car les
attentats ne s'arrêteront pas, même si on arrêtait les frappes sur
Daesh. Les jihadistes trouveront toujours une bonne raison d'attaquer
les « démon-craties » occidentales, que ce soit
l'interdiction du port du voile ou notre soutien à Salman Rushdie,
ou que sais-je... Et plus ils vont nous savoir faibles, plus ils
auront la tentation de nous frapper sans aucune pitié...
Que
faire alors ? D'abord essayer de comprendre la complexité de la
situation. Le conflit syrien est particulièrement ardu à
comprendre, tant des composantes différentes sont entrées en
action, avec tout un système d'alliance régionales et
internationales. Pareillement, la situation en Irak est loin d'être
simples. Face à cette complexité, il faut rester humble, et ne pas
commencer à croire que la solution est toute trouvée en soutenant
un des camps en présence. Il faudra aussi comprendre que la solution
ne peut pas être que militaire. Il faudra remettre sur pied des
populations meurtries par la misère et des années de guerre. Il
faudra chercher la paix. Toujours, mais en sachant qu'on en pourra
pas empêcher les armes de parler.
Il
faut aussi essayer de convaincre les musulmans d'aller dans le sens
de la démocratie, de la tolérance et du respect de l'autre, et pas
dans le sens de la barbarie jihadistes. Toutes les religions ont leur
fanatiques. Il faudra soutenir les musulmans qui prônent une société
ouverte et tolérante. Mais pour ça, il faudra une vision plus
nuancée sur le monde musulman que celle de monsieur Onfray...
NB : l'interview de Michel Onfray réalisé par Sébastien Lefol publiée dans le Soir est la même que celle qui est parue dans le Point de cette semaine.
RépondreSupprimerElle a suscité la réaction de Laurent Joffrin dans Libération : "Non, Michel Onfray, le monde musulman n’est pas Daech"
http://www.liberation.fr/france/2015/11/22/non-michel-onfray-le-monde-musulman-n-est-pas-daech_1415293
Voir aussi la réaction de Baptiste Rossi : "Tchao crétin" http://laregledujeu.org/2015/11/19/26241/tchao-cretin/