L'idéologie
dominante nous pousse à devenir notre propre entrepreneur,
l'entrepreneur de nous-mêmes. Comme si nous avions à vendre la
marque d'un produit auprès des autres dans la société, et cette
marque n'est autre que nous-mêmes, notre nom, notre histoire, notre
personne. Mais tout le monde est le promoteur de sa propre personne,
tout est le monde est en concurrence avec tout le monde. Tout le
monde est le rival de tout le monde. Margaret Thatcher martelait
qu'il n'existait rien de tel qu'une société. Dans l'idéologie
ultra-libérale, il n'y a que des individus œuvrant dans le sens de
leur propre égoïsme. Dans cette idéologie, il ne peut pas y avoir
de bien commun ou alors de manière paradoxale avec la main invisible
d'Adam Smith qui transformerait les égoïsmes individuels en machine
à produire de la richesse pour les nations. Et si on augmente la
taille du gâteau, il restera quelques miettes pour les délaissés
du grand jeu du marché libéralisé.
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dimanche 31 janvier 2016
samedi 30 janvier 2016
Résignation et acceptation
La
résignation est un suicide quotidien.
Honoré
de Balzac, Illusions perdues.
Dorothea Lange - Sur la route avec sa famille du Dakota du Sud jusqu'en Californie - Septembre 1939 |
On
trouve cette citation dans les « Illusions perdues »
d'Honoré de Balzac. Mais pour moi, cette citation est avant tout un
slogan du journal anarchiste belge « Alternative
Libertaire ». La formule se trouvait en une du journal, et
elle figurait sur nombre d'affiches et d'autocollants estampillés
Alternative Libertaire.
C'est
une formule qui m'a toujours interpellé, mais aussi dérangé dans
la mesure où les anarchistes critiquent toute philosophie qui
appelle à l'acceptation, et notamment le bouddhisme, comme une sorte
de défaitisme par rapport aux événements et aux injustices que
l'on pourrait subir. Or pour moi, l'acceptation n'est pas du tout la
même chose que la résignation. L'acceptation, c'est dire « oui »
à tout ce qui nous arrive, y compris les choses désagréables,
malheureuses ou injustes, et travailler sur cette situation
présente ; tandis que la résignation est une façon de dire
« oui », mais tout en pensant « non » dans
son for intérieur, en hurlant même ce « non » dans les
tréfonds de son âme. Au fond, la résignation est comme le traité
de capitulation que le vaincu signe à contrecœur.
dimanche 17 janvier 2016
Le carrelage au fond de la piscine
Quand
je vois à travers l’épaisseur de l’eau le carrelage au fond de
la piscine, je ne le vois pas malgré l’eau, les reflets, je les
vois justement à travers eux, par eux. S’il n’y avait pas ces
distorsions, ces zébrures de soleil, si je voyais sans cette chair
la géométrie du carrelage, c’est alors que je cesserais de le
voir comme il est, où il est, à savoir : plus loin que tout
lieu identique. L’eau elle-même, la puissance aqueuse, l’élément
sirupeux et miroitant, je ne peux pas dire qu’elle est dans
l’espace ; elle n’est pas ailleurs, mais elle n’est pas
dans la piscine. Elle l’habite, elle s’y matérialise, elle n’y
est pas contenue, et si je lève les yeux vers l’écran des cyprès
où joue le réseau des reflets, je ne puis contester que l’eau le
visite aussi, ou du moins y envoie son essence active et vivante.
Maurice
Merleau-Ponty, L’Œil
et l’Esprit, Paris, 1964, p. 70-71.
samedi 16 janvier 2016
Méditer à la piscine
Beaucoup
de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se
relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se
baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je
trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la
méditation et l'attention. La méditation bouddhiste est notamment
axée sur l'attention au va-et-vient de la respiration. L'air entre
et sort de nos poumons, et la plupart du temps, on ne fait absolument
pas attention à cela. On traite le phénomène de la respiration
comme quelque chose de tout à fait insignifiant ; et pourtant,
si la respiration cessait soudain, cela entraînerait inévitablement
notre mort. Or justement à la piscine ou de manière générale
quand nous nageons, la respiration prend une place essentielle dans
la mesure où cela dicte quand nous sortirons la tête hors de l'eau
pour reprendre notre souffle. La piscine est donc un lieu idéal pour
prendre conscience de la respiration alors que nous sommes occupés à
faire des longueurs. Être attentif à l'air qui rentre dans les
poumons, l'air que l'on retient quand on a la tête sous l'eau et
qu'on expire progressivement et l'air que l'on reprend quand notre
tête émerge à nouveau.
mercredi 6 janvier 2016
Bouddhisme et don d'organes
Le
don d'organes suscite souvent des interrogations en matière de
bioéthique : l'idéal du médecin de sauver des vies se heurte
parfois au respect que les religions demandent d'avoir par rapport au
corps du défunt. Mais qu'en est-il de la position de la philosophie
bouddhiste ? Est-ce un bien? Est-ce un mal ? Que faut-il en
penser à l'aune des enseignements du Bouddha ? Je commencerai
tout de suite par dire que je ne prétends pas ici parler au nom de
tous les bouddhistes, j'essaye ici de produire une réflexion
pertinente tant vis-à-vis du problème éthique ici posé que des
différentes approches de la mort qui peuvent exister dans le
bouddhisme. Cette réflexion qui est mienne peut converger ou
diverger d'autres penseurs bouddhistes ou d'approches culturelles qui
peuvent exister dans les différents pays bouddhistes comme la
Thaïlande, la Chine, le Japon ou le Tibet.
Les
enseignements originels du Bouddha parlent fréquemment de la mort,
mais se concentre plutôt sur notre peur et notre appréhension de la
mort. Pour trouver la sérénité, nous dit le Bouddha, on ne peut
pas se détourner de cette réalité qu'est la mort qui tôt ou tard
nous frappera et engloutira notre être. L'idée est de méditer sur
l'impermanence et la mort pour que nous nous détachions de ce qui
nous occupe dans cette vie. De ce détachement peuvent naître la
sérénité et la béatitude. L'idéal bouddhiste est de pouvoir
mourir sans peur, ni attachement à cette vie, de manière sereine et
apaisée.
vendredi 1 janvier 2016
Passage et transition
Nous
sommes le jour de l'an, le premier janvier. Et comme il est de
coutume, je m'en vais souhaiter une bonne et heureuse année à
tout le monde. Ce jour de l'an, ce premier janvier est symboliquement
un nouveau commencement avec son lot de bonnes résolutions qui
n'iront probablement pas bien loin dans l'année. Il est intéressant
de noter que le mot « janvier » vient de ianuarius
qui dérive du nom du dieu latin Janus. Or Janus est un ancien dieu
du panthéon romain, dieu du commencement et de la fin, dieu des
portes et des passages.
Janus
a deux têtes : l'une pour regarder le passé, l'autre pour
regarder le futur. Le moment présent n'étant jamais que le passage
de l'un vers l'autre, il lui suffit d'incarner ce passage pour
prendre conscience de ce présent toujours insaisissable. « Je
ne peins pas l'être, je peins le passage » disait
Montaigne dans ses Essais. On peut souhaiter à tous que ce
passage conduise à de belles choses : plus de sagesse, plus de
paix, plus de bonheur. Que ce nouveau commencement de l'année soit
l'occasion d'habiter à nouveau le moment présent sans se perdre
constamment dans les remords du passé et les projets incessants que
l'on cherche à bâtir dans l'avenir.
Le
temple de Janus dans la Rome antique fermait ses portes en temps de
paix et les ouvrait en temps de guerre. Autant dire que le temple de
Janus était souvent ouvert... C'est qu'en temps de trouble, on
désire une transition vers le silence des armes et la résolution
des conflits. On vit aujourd'hui dans une période troublée, et l'on
peut aussi espérer pour l'ensemble de la population, pour l'ensemble
des peuples une transition vers plus de paix, plus de solidarité et
de fraternité, une transition aussi vers un avenir plus durable.
Que
tout se passe pour le mieux.
Victor Habchy (au Burning Man) |