Combien de temps méditer ?
Une
question qui revient souvent par rapport à la méditation :
combien de temps est-il nécessaire de pratiquer ? Je voudrais
essayer d'apporter ici quelques éléments de réponse.
Avant
de répondre, il faudrait peut-être interroger les pré-requis de
cette question. Pourquoi est-ce qu'on considère qu'il est NÉCESSAIRE
de pratiquer la méditation. La plupart du temps, on considère que
c'est nécessaire parce qu'on attend un fruit, un résultat de la
pratique de la méditation. On pourrait reformuler la question de
cette manière : combien de temps est-il nécessaire que je
m'impose de rester complètement immobile en ne pensant à rien et en
fixant mon attention sur le va-et-vient de la respiration pour
atteindre un certain résultat qui est (biffer les mentions
inutiles) :
- 1°) de la sérénité,
- 2°) de l'apaisement du stress et des angoisses,
- 3°) du bien-être ou, n'ayons pas peur des grands mots, de la béatitude,
- 4°) l'obtention des réponses aux grandes questions de l'existence,
- 5°) une meilleure concentration,
- 6°) la disparition de mes névroses et de mes démons existentiels,
- 7°) une plus grande force mentale pour affronter les épreuves de l'existence,
- 8°) une inspiration divine en vue de mes futures œuvres d'art,
- 9°) des visions psychédéliques,
- 10°) la liberté,
- 11°) la sagesse,
- 12°) le Plein Éveil d'un Bouddha,
- 13°) autres (à préciser) : ............
Il
ressort de cela que le temps dépensé dans la méditation sera
fonction de l'objectif que vous comptez atteindre. Est-ce que vous
avez un but modeste ou vos objectifs tendent-ils vers le grandiose ?
Cherchez-vous à être un peu mieux dans votre peau ? Ou
comptez-vous devenir un grand maître spirituel ? L'engagement
ne sera évidemment pas le même.
Mais,
par ailleurs, une autre dimension de la même question : est-ce
qu'on doit vraiment se sentir obligé de faire de la méditation ?
Est-ce qu'on doit voir la méditation uniquement sous l'angle d'une
contrainte ? Personnellement, j'ai du plaisir à méditer. Je ne
m'oblige pas à méditer la plupart du temps, je suis content de
simplement m'asseoir et de poser mon attention sur le souffle. Voilà
une activité qui rend heureux et joyeux. Pourquoi la verrai-je comme
une contrainte que je dois caser dans mon agenda ? C'est une
notion importante parce que si vous appréciez la méditation, ce
sera beaucoup plus facile de trouver le temps (comme tout ce que vous
aimez faire d'ailleurs). Si, par contre, vous voyez la méditation
comme une contrainte, un passage obligé, la question du temps va
devenir de plus en plus ardue.
*****
Mais
revenons-en à la question même : combien de temps faut-il
méditer ? Je n'aborderai que deux cas : 1°) vous
pratiquez la méditation en vue de devenir un grand maître
spirituel, 2°) vous pratiquez la méditation en vue d'un mieux-être
dans votre vie de tous les jours. Pardonnez-moi de ne pas envisager
les cas intermédiaires ou d'autres cas plus spécifiques, mais le
développement serait trop long !
-
1° cas : vous comptez devenir un grand maître spirituel
Dans ce cas, c'est assez simple : il faut pratiquer le plus
possible la méditation ! La seule problématique est le rapport
du temps consacré avec le temps consacré aux actions éthiques et
le temps consacré à l'étude des textes et de la philosophie
bouddhique. En gros, si vous voulez devenir un grand yogin, mettez
l'accent sur la méditation et la puissance de concentration et
d'absorption méditative. Si vous voulez devenir un saint, mettez
l'accent sur les différentes actions éthiques et l'aide à autrui.
Si vous voulez devenir un grand érudit, une somme de savoirs et de
connaissances, consacrez-vous d'arrache-pied à l'étude. Et si vous
voulez devenir un sage, mettez l'accent sur la réflexion et la
vision pénétrante dans la méditation. Après, mon seul conseil
sera de ne pas tout miser sur l'une de ces 3 branches du Dharma:
action éthique, méditation ou la sagesse, de les mettre en pratique
toutes les trois, d'intensifier peut-être son effort sur l'une de
ces trois branches sans négliger complètement les autres, sinon
vous allez clairement vous fourvoyer.
L'autre
question que ce genre de projet va poser est : faut-il que je
fasse des retraites pour consacrer à plein temps à la méditation
pour pouvoir avoir une chance plus grande de transformer mon être ?
Et combien de temps devrait durer cette retraite (ou ces
retraites) ? Les cas individuels et les approches dans le Dharma
sont trop variées pour pouvoir apporter une réponse claire à cette
question. Il y a des retraites de quelques jours, de plusieurs
semaines, de mois, d'années, avec des intensités très variables
ainsi que des buts et des projets différents. Donc, c'est une
question trop vaste pour pouvoir être abordée ici.
- 2°
cas : vous cherchez un mieux-être dans la méditation
Là
encore, les situations sont trop variées pour tirer des généralités,
mais il serait intéressant de se poser les questions suivantes :
combien de temps est-ce que je suis prêt à investir dans la
méditation ? Combien de temps est-ce que je dispose, une fois
retirées toutes mes activités quotidiennes, le boulot, l'entretien
de sa maison, les obligations familiales, etc... ? Quelles sont
mes priorités ? Est-ce que je mets les épisodes de ma série
télévisée préférée comme plus importants que ma pratique de la
méditation, ou vice-versa ?
De
prime abord, je pense que faire une ou deux séances de méditation
de dix minutes ou un quart d'heures par jour peut être une très
bonne chose. Cela ne prend pas trop de temps dans son horaire, et
cela permet de souffler dans le quotidien, tout en permettant de
progresser et de s'enraciner dans la méditation. S'il est possible
une fois ou deux de pratiquer des séances plus longues, une
demi-heure, voire une heure, ce serait une excellente chose !
C'est quelque chose que l'on peut faire seul ou en groupe, je pense
par exemple zazen pratiqué en commun dans un dojo Zen ou des séances
de Pleine Conscience pratiquées en groupe.
Ajouté
à cela, on peut aussi faire ponctuellement des retraites plus
intensives dans des centres Zen, tibétains, Theravada. La notion
« intensive » est très relative : cela veut parfois
dire trois heures, six heures, voire plus de dix heures dans les
centres Vipassana ! Cela peut jouer un rôle essentiel dans
notre rapport à la méditation, mais il faut bien veiller à ce que
ces retraites intensives ne substituent pas à la pratique
quotidienne. Je suis sincèrement convaincu que s'il faut choisir
entre, d'un côté, un stage de méditation d'une semaine tous les
ans et, de l'autre, la pratique de cinq minutes par jour tous
les 365 jours de l'année, le plus fructueux est la pratique des cinq
minutes par jours !
Il
y a deux dimensions temporelles importantes de la méditation dans
laquelle s'opèrent les transformations : l'instant présent et
la longue durée. Une retraite de méditation intensive peut vraiment
être une expérience exceptionnelle. Mais elle ne se produit pas
dans le temps long qui est nécessaire au développement spirituel
propre à la méditation. La graine d'un arbre ne pousse d'un mètre
en une nuit. La croissance de la graine en jeune pousse, de la jeune
pousse en arbrisseau, de l'arbrisseau au jeune arbre et du jeune
arbre en arbre vénérable prend des années, des décennies, voire
des siècles.... Cette croissance est imperceptible au jour le jour.
Elle ne prend son sens qu'en envisageant un temps long. Pareillement,
la méditation prend du temps à s'enraciner dans notre être ;
la transformation qu'elle opère est aussi imperceptible quand on
l'envisage en terme de jours, voire de semaines...
En
même temps, il y a l'instant présent, et c'est une bonne nouvelle,
car cela veut dire que même un débutant peut goûter aux joies de
la méditation : le simple fait de demeurer dans l'instant
présent ici et maintenant peut déjà apporter du soulagement, une
euphorie et une lumière dans votre existence. C'est pourquoi il est
important aussi de multiplier ses rendez-vous avec l'instant présent
(pour paraphraser le titre d'une livre de Thich Nhat Hanh) et de
réitérer encore et encore cette pratique de la méditation au
quotidien. Le fait de faire un peu de méditation tous les jours a le
pouvoir de rejaillir sur le restant de la journée. À
l'inverse, faire uniquement une retraite intensive de méditation
sera certes une expérience bouleversante, mais qui s'estompera assez
vite avec le temps jusqu'au point de n'être qu'un vague souvenir,
quelque chose d'exotique à raconter dans les soirées mondaines...
(NB :
j'exprimai ici une alternative avec un « ou » exclusif :
ou on pratique tous les jours 5 minutes, ou on fait une retraite
intensive, mais pas les deux. Mais il est évident que ce serait
encore mieux de faire l'un ET
l'autre, cela va sans dire. Je voulais souligner à quel point il ne
faut pas négliger les petits rendez-vous quotidiens avec soi-même
et l'instant présent, même si cela semble peu de choses face à la
capacité des grands yogins à rester en samādhi
des heures durant).
Au
début, il sera certainement nécessaire d'utiliser une minuterie
pour être en mesure de s'imposer un certain en méditation et ne pas
se relever tout de suite ! Avec le temps, il y a une sorte
d'effet d'inertie qui s'installe. Vous prenez le temps qu'il vous
faut pour méditer : cela peut être un quart d'heure, un
demi-heure, voire une heure. Ne négligez pas non la méditation
marchée entre les séances de méditation ou carrément comme
méditation à proprement parler. Cela peut être quelque chose de
très inspirant !
N'oubliez
pas aussi de toujours bien privilégier la qualité sur la quantité.
Ce n'est pas tellement les heures passées en méditation qui
comptent, mais bien comment vous allez vous plonger dedans.
Allez-vous vraiment cultiver l'attention juste et la pleine
conscience ? Allez-vous développer l'ouverture d'esprit et la
bienveillance ? Allez-vous chercher à déjouer les obstacles
dans la méditation ? Ou allez-vous céder à la paresse et
à la facilité ? Chaque instant que vous passez en méditation
est précieux. Ne le gâchez pas, même si dans tel ou tel jour, vous
semblez être de mauvais poil, agité, distrait, peu concentré, en
proie à la négativité. Il
n'y a pas de mauvaise méditation. N'oubliez pas que la fleur de
lotus pousse dans l'eau boueuse, et avec l'esprit d’Éveil, il y a
toujours quelque chose à faire fructifier dans l'instant présent,
même si cela semble mal engagé de prime abord !
Par
rapport à cette question de la qualité, j'en reviens alors au thème
qui débutait cette réflexion : et si on pratiquait la
méditation en vue de la méditation, et non en vue d'un profit
futur ? Savourer l'instant présent pour ce qu'il est ici et
maintenant, et non pour ce qui se produira comme bénéfice dans le
futur de cette vie, voire le futur d'une vie ultérieure ? Les
pratiquants du zen ont une expression en japonais pour cela :
mushotoku,
sans but, ni profit. C'est important pour ne pas être comme ce petit
gamin dans la célèbre photo de Robert Doisneau, le « Cadran
Scolaire », qui assis
sur son banc de classe scrute l'avancée de l'aiguille en espérant
qu'elle avancera suffisamment vite pour que sonne enfin la
récréation. Ne pratiquez pas la méditation comme une pénitence en
attendant avidement la cloche qui vous autorisera à vous relever.
Mais n'attendez rien dans la méditation que la méditation, et
découvrez la joie de la méditation. C'est là la voie royale pour
améliorer la qualité de la méditation. Chaque instant est
l'étincelle d'une étoile dans votre existence. Soyez heureux de
vivre cela dans la méditation.
Et
je terminerai ce billet par une petite histoire zen. Un jeune
disciple un peu zélé vient trouver son maître et lui demande :
« Combien de temps dois-je pratiquer zazen pour atteindre
l’Éveil à coup sûr ? ». « 20 ans » lui
répond le maître. Le jeune disciple emporté par toute la fougue de
sa jeunesse est quand même fort contrarié d'un délai aussi long et
demande : « Oui, mais si je pratique de manière très
intensive, sans relâche, avec beaucoup d'effort et de persévérance,
combien de temps me faudra-t-il ? ». « Oh dans ce
cas-là, répond le maître, c'est 50 ans qu'il te faudra ! ».
F.L., le 9 avril 2018.
Joel Robison, Killing time. |
Sur la méditation de manière générale :
Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir :
- En compagnie du souffle :
Sur la méditation des Quatre Qualités Incommensurables :
Les différentes formes de l'amour et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.
- Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée
On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.
- Joie
Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?
L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?
- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard : voir le texte
Pourquoi les enseignements du Bouddha sont-ils si rarement cités par les lamas du bouddhisme tibétains ? Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soutra des Quatre Etablissements de l'Attention) ? Les soutras du Petit Véhicule ont-ils un intérêt dans la méditation sur la vacuité telle que l'expriment les soutras de la Perfection de Sagesse ? Comment intégrer les différents Véhicules du bouddhisme ?
Le progrès lent et graduel de la méditation. Comment arriver à la pleine conscience ?
- Méditation marchée
- Méditation marchée
Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention.
- En attendant le bus
Et si on s'inspirait de la méditation en attendant le bus plutôt que râler et trouver le temps interminable ?
- En attendant le bus
Et si on s'inspirait de la méditation en attendant le bus plutôt que râler et trouver le temps interminable ?
On dit parfois : "Je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ?" Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.
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