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lundi 9 avril 2018

Combien de temps méditer ?




Combien de temps méditer ?




   Une question qui revient souvent par rapport à la méditation : combien de temps est-il nécessaire de pratiquer ? Je voudrais essayer d'apporter ici quelques éléments de réponse.



      Avant de répondre, il faudrait peut-être interroger les pré-requis de cette question. Pourquoi est-ce qu'on considère qu'il est NÉCESSAIRE de pratiquer la méditation. La plupart du temps, on considère que c'est nécessaire parce qu'on attend un fruit, un résultat de la pratique de la méditation. On pourrait reformuler la question de cette manière : combien de temps est-il nécessaire que je m'impose de rester complètement immobile en ne pensant à rien et en fixant mon attention sur le va-et-vient de la respiration pour atteindre un certain résultat qui est (biffer les mentions inutiles) :
  • 1°) de la sérénité,
  • 2°) de l'apaisement du stress et des angoisses,
  • 3°) du bien-être ou, n'ayons pas peur des grands mots, de la béatitude,
  • 4°) l'obtention des réponses aux grandes questions de l'existence,
  • 5°) une meilleure concentration,
  • 6°) la disparition de mes névroses et de mes démons existentiels,
  • 7°) une plus grande force mentale pour affronter les épreuves de l'existence,
  • 8°) une inspiration divine en vue de mes futures œuvres d'art,
  • 9°) des visions psychédéliques,
  • 10°) la liberté,
  • 11°) la sagesse,
  • 12°) le Plein Éveil d'un Bouddha,
  • 13°) autres (à préciser) : ............


      Il ressort de cela que le temps dépensé dans la méditation sera fonction de l'objectif que vous comptez atteindre. Est-ce que vous avez un but modeste ou vos objectifs tendent-ils vers le grandiose ? Cherchez-vous à être un peu mieux dans votre peau ? Ou comptez-vous devenir un grand maître spirituel ? L'engagement ne sera évidemment pas le même.


  Mais, par ailleurs, une autre dimension de la même question : est-ce qu'on doit vraiment se sentir obligé de faire de la méditation ? Est-ce qu'on doit voir la méditation uniquement sous l'angle d'une contrainte ? Personnellement, j'ai du plaisir à méditer. Je ne m'oblige pas à méditer la plupart du temps, je suis content de simplement m'asseoir et de poser mon attention sur le souffle. Voilà une activité qui rend heureux et joyeux. Pourquoi la verrai-je comme une contrainte que je dois caser dans mon agenda ? C'est une notion importante parce que si vous appréciez la méditation, ce sera beaucoup plus facile de trouver le temps (comme tout ce que vous aimez faire d'ailleurs). Si, par contre, vous voyez la méditation comme une contrainte, un passage obligé, la question du temps va devenir de plus en plus ardue.



*****



      Mais revenons-en à la question même : combien de temps faut-il méditer ? Je n'aborderai que deux cas : 1°) vous pratiquez la méditation en vue de devenir un grand maître spirituel, 2°) vous pratiquez la méditation en vue d'un mieux-être dans votre vie de tous les jours. Pardonnez-moi de ne pas envisager les cas intermédiaires ou d'autres cas plus spécifiques, mais le développement serait trop long !


- 1° cas : vous comptez devenir un grand maître spirituel


      Dans ce cas, c'est assez simple : il faut pratiquer le plus possible la méditation ! La seule problématique est le rapport du temps consacré avec le temps consacré aux actions éthiques et le temps consacré à l'étude des textes et de la philosophie bouddhique. En gros, si vous voulez devenir un grand yogin, mettez l'accent sur la méditation et la puissance de concentration et d'absorption méditative. Si vous voulez devenir un saint, mettez l'accent sur les différentes actions éthiques et l'aide à autrui. Si vous voulez devenir un grand érudit, une somme de savoirs et de connaissances, consacrez-vous d'arrache-pied à l'étude. Et si vous voulez devenir un sage, mettez l'accent sur la réflexion et la vision pénétrante dans la méditation. Après, mon seul conseil sera de ne pas tout miser sur l'une de ces 3 branches du Dharma: action éthique, méditation ou la sagesse, de les mettre en pratique toutes les trois, d'intensifier peut-être son effort sur l'une de ces trois branches sans négliger complètement les autres, sinon vous allez clairement vous fourvoyer.


         L'autre question que ce genre de projet va poser est : faut-il que je fasse des retraites pour consacrer à plein temps à la méditation pour pouvoir avoir une chance plus grande de transformer mon être ? Et combien de temps devrait durer cette retraite (ou ces retraites) ? Les cas individuels et les approches dans le Dharma sont trop variées pour pouvoir apporter une réponse claire à cette question. Il y a des retraites de quelques jours, de plusieurs semaines, de mois, d'années, avec des intensités très variables ainsi que des buts et des projets différents. Donc, c'est une question trop vaste pour pouvoir être abordée ici.




- 2° cas : vous cherchez un mieux-être dans la méditation


      Là encore, les situations sont trop variées pour tirer des généralités, mais il serait intéressant de se poser les questions suivantes : combien de temps est-ce que je suis prêt à investir dans la méditation ? Combien de temps est-ce que je dispose, une fois retirées toutes mes activités quotidiennes, le boulot, l'entretien de sa maison, les obligations familiales, etc... ? Quelles sont mes priorités ? Est-ce que je mets les épisodes de ma série télévisée préférée comme plus importants que ma pratique de la méditation, ou vice-versa ?


       De prime abord, je pense que faire une ou deux séances de méditation de dix minutes ou un quart d'heures par jour peut être une très bonne chose. Cela ne prend pas trop de temps dans son horaire, et cela permet de souffler dans le quotidien, tout en permettant de progresser et de s'enraciner dans la méditation. S'il est possible une fois ou deux de pratiquer des séances plus longues, une demi-heure, voire une heure, ce serait une excellente chose ! C'est quelque chose que l'on peut faire seul ou en groupe, je pense par exemple zazen pratiqué en commun dans un dojo Zen ou des séances de Pleine Conscience pratiquées en groupe.


     Ajouté à cela, on peut aussi faire ponctuellement des retraites plus intensives dans des centres Zen, tibétains, Theravada. La notion « intensive » est très relative : cela veut parfois dire trois heures, six heures, voire plus de dix heures dans les centres Vipassana ! Cela peut jouer un rôle essentiel dans notre rapport à la méditation, mais il faut bien veiller à ce que ces retraites intensives ne substituent pas à la pratique quotidienne. Je suis sincèrement convaincu que s'il faut choisir entre, d'un côté, un stage de méditation d'une semaine tous les ans et, de l'autre, la pratique de cinq minutes par jour tous les 365 jours de l'année, le plus fructueux est la pratique des cinq minutes par jours !


      Il y a deux dimensions temporelles importantes de la méditation dans laquelle s'opèrent les transformations : l'instant présent et la longue durée. Une retraite de méditation intensive peut vraiment être une expérience exceptionnelle. Mais elle ne se produit pas dans le temps long qui est nécessaire au développement spirituel propre à la méditation. La graine d'un arbre ne pousse d'un mètre en une nuit. La croissance de la graine en jeune pousse, de la jeune pousse en arbrisseau, de l'arbrisseau au jeune arbre et du jeune arbre en arbre vénérable prend des années, des décennies, voire des siècles.... Cette croissance est imperceptible au jour le jour. Elle ne prend son sens qu'en envisageant un temps long. Pareillement, la méditation prend du temps à s'enraciner dans notre être ; la transformation qu'elle opère est aussi imperceptible quand on l'envisage en terme de jours, voire de semaines...


       En même temps, il y a l'instant présent, et c'est une bonne nouvelle, car cela veut dire que même un débutant peut goûter aux joies de la méditation : le simple fait de demeurer dans l'instant présent ici et maintenant peut déjà apporter du soulagement, une euphorie et une lumière dans votre existence. C'est pourquoi il est important aussi de multiplier ses rendez-vous avec l'instant présent (pour paraphraser le titre d'une livre de Thich Nhat Hanh) et de réitérer encore et encore cette pratique de la méditation au quotidien. Le fait de faire un peu de méditation tous les jours a le pouvoir de rejaillir sur le restant de la journée. À l'inverse, faire uniquement une retraite intensive de méditation sera certes une expérience bouleversante, mais qui s'estompera assez vite avec le temps jusqu'au point de n'être qu'un vague souvenir, quelque chose d'exotique à raconter dans les soirées mondaines...


      (NB : j'exprimai ici une alternative avec un « ou » exclusif : ou on pratique tous les jours 5 minutes, ou on fait une retraite intensive, mais pas les deux. Mais il est évident que ce serait encore mieux de faire l'un ET l'autre, cela va sans dire. Je voulais souligner à quel point il ne faut pas négliger les petits rendez-vous quotidiens avec soi-même et l'instant présent, même si cela semble peu de choses face à la capacité des grands yogins à rester en samādhi des heures durant).


            Au début, il sera certainement nécessaire d'utiliser une minuterie pour être en mesure de s'imposer un certain en méditation et ne pas se relever tout de suite ! Avec le temps, il y a une sorte d'effet d'inertie qui s'installe. Vous prenez le temps qu'il vous faut pour méditer : cela peut être un quart d'heure, un demi-heure, voire une heure. Ne négligez pas non la méditation marchée entre les séances de méditation ou carrément comme méditation à proprement parler. Cela peut être quelque chose de très inspirant !


         N'oubliez pas aussi de toujours bien privilégier la qualité sur la quantité. Ce n'est pas tellement les heures passées en méditation qui comptent, mais bien comment vous allez vous plonger dedans. Allez-vous vraiment cultiver l'attention juste et la pleine conscience ? Allez-vous développer l'ouverture d'esprit et la bienveillance ? Allez-vous chercher à déjouer les obstacles dans la méditation ? Ou allez-vous céder à la paresse et à la facilité ? Chaque instant que vous passez en méditation est précieux. Ne le gâchez pas, même si dans tel ou tel jour, vous semblez être de mauvais poil, agité, distrait, peu concentré, en proie à la négativité. Il n'y a pas de mauvaise méditation. N'oubliez pas que la fleur de lotus pousse dans l'eau boueuse, et avec l'esprit d’Éveil, il y a toujours quelque chose à faire fructifier dans l'instant présent, même si cela semble mal engagé de prime abord !


           Par rapport à cette question de la qualité, j'en reviens alors au thème qui débutait cette réflexion : et si on pratiquait la méditation en vue de la méditation, et non en vue d'un profit futur ? Savourer l'instant présent pour ce qu'il est ici et maintenant, et non pour ce qui se produira comme bénéfice dans le futur de cette vie, voire le futur d'une vie ultérieure ? Les pratiquants du zen ont une expression en japonais pour cela : mushotoku, sans but, ni profit. C'est important pour ne pas être comme ce petit gamin dans la célèbre photo de Robert Doisneau, le « Cadran Scolaire », qui assis sur son banc de classe scrute l'avancée de l'aiguille en espérant qu'elle avancera suffisamment vite pour que sonne enfin la récréation. Ne pratiquez pas la méditation comme une pénitence en attendant avidement la cloche qui vous autorisera à vous relever. Mais n'attendez rien dans la méditation que la méditation, et découvrez la joie de la méditation. C'est là la voie royale pour améliorer la qualité de la méditation. Chaque instant est l'étincelle d'une étoile dans votre existence. Soyez heureux de vivre cela dans la méditation.


         Et je terminerai ce billet par une petite histoire zen. Un jeune disciple un peu zélé vient trouver son maître et lui demande : « Combien de temps dois-je pratiquer zazen pour atteindre l’Éveil à coup sûr ? ». « 20 ans » lui répond le maître. Le jeune disciple emporté par toute la fougue de sa jeunesse est quand même fort contrarié d'un délai aussi long et demande : « Oui, mais si je pratique de manière très intensive, sans relâche, avec beaucoup d'effort et de persévérance, combien de temps me faudra-t-il ? ». « Oh dans ce cas-là, répond le maître, c'est 50 ans qu'il te faudra ! ».



F.L., le 9 avril 2018.















Joel Robison, Killing time.










Sur la méditation de manière générale : 





Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir : 

En compagnie du souffle :  

     















Sur la méditation des Quatre Qualités Incommensurables :




Les différentes formes de l'amour et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.


Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée



        On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.




Joie 

   Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?





    L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?




Méditation avec et sans objet






Voir également : 

- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard : voir le texte

     Pourquoi les enseignements du Bouddha sont-ils si rarement cités par les lamas du bouddhisme tibétains ? Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soutra des Quatre Etablissements de l'Attention) ? Les soutras du Petit Véhicule ont-ils un intérêt dans la méditation sur la vacuité telle que l'expriment les soutras de la Perfection de Sagesse ? Comment intégrer les différents Véhicules du bouddhisme ?




Slowly, slowly, slowly.... : voir le texte
       Le progrès lent et graduel de la méditation. Comment arriver à la pleine conscience ?




Méditation marchée





       Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention. 



- En attendant le bus

        Et si on s'inspirait de la méditation en attendant le bus plutôt que râler et trouver le temps interminable ?







          On dit parfois : "Je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ?" Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.










Robert Doisneau, Le cadran scolaire, Paris 1956







Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.



    Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.





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