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lundi 28 octobre 2019

Méditation et politique




Cette semaine, sur le réseau social d'une amie qui est une élue d'un parti écologiste, je suis tombé sur un article de « l'école de méditation occidentale » qui prétend faire le lien entre méditation et politique. L'article en question s'intitule « Et si la méditation pouvait renverser un gouvernement ? », il est rédigé par Elizabeth Larivière en date 7 octobre 2019. L'article en lui-même est assez confus, mais sa thèse, elle, est très claire, bien que très discutable, et ce que je voudrais discuter dans ce présent article.


L'auteure commence par évoquer le travail de journalistes allemands qui ont fait tomber l'actuel gouvernement d'extrême-droite en Autriche en révélant une vidéo où le chef du FPÖ se dit prêt à offrir d’importants marchés publics à la nièce d’un oligarque russe en échange d’un soutien financier. Cela a fait tomber le gouvernement autrichien, et de nouvelles élections doivent être tenues dans ce pays. L'auteure voit alors une similitude (très nébuleuse à mon sens) entre l'activité d'investigation des journalistes et la méditation. Elle proclame ensuite l'importance grandissante chez elle de la « dimension politique de la méditation ». Elle conclut enfin : « Je suis profondément convaincue que méditer peut contribuer à renverser un gouvernement ».


Et là, je ne suis pas du tout d'accord. La méditation n'a certainement pas vocation à renverser le gouvernement, pas plus que la méditation n'a vocation à conserver en place le gouvernement. En fait, méditer n'a rien à voir avec le gouvernement. La politique est une chose, la méditation en est une autre. Quand vous méditez, soyez simplement présent à l'instant présent. Soyez attentifs à votre corps, à votre respiration en particulier. Soyez attentif à vos sensations. Soyez attentif à votre esprit. Soyez attentif à tout ce qui se manifeste ici et maintenant dans le champ de la conscience. Et abandonnez vos préoccupations, toutes vos préoccupations, y compris vos préoccupations politiques. Lâchez prise et soyez en paix.


Je ne dis pas pourtant qu'il faut se désintéresser de la politique, je dis seulement de ne pas être obsédé par elle pendant la méditation. Je suis un méditant et je suis aussi un citoyen. Quand je pratique la méditation, je laisse tomber ma « citoyenneté » pour n'être qu'un homme, rien qu'un être sensible assis quelque part dans l'univers. Quand j'étais jeune, j'étais tombé sur une revue d'Amnesty International où il y avait une interview d'un ex-prisonnier politique marocain. Il y avait dit : « Je n'aime pas la politique, parce que la politique divise les hommes ». C'est quelque chose qui m'avait frappé à l'époque, d'une part parce qu'il avait incarcéré pour des raisons politiques, et non pour des faits de droits commun, d'autre part, parce que j'étais très impliqué dans la politique à cette époque. La politique est le lieu du conflit, l'affrontement incessant entre les fractions politiques d'un pays. Il serait vain et bisounours de croire qu'on pourrait s'affranchir complètement de ce conflit, mais il serait aussi très malsain de s'enfermer intégralement dans ce conflit, de ne voir que lui.


En 2003, je me souviens avoir participé aux grandes manifestations contre la guerre en Irak. À l'époque, il y avait une très grande colère contre George Bush et le gouvernement des États-Unis. Quand je revenais de ces manifestations, il m'était très difficile de méditer tant mon esprit était agité, colère contre George Bush et les va-t'en-guerre, colère contre les jihadistes et Oussama Ben Laden, craintes pour le futur, craintes pour un clash des civilisations que certains conservateurs prophétisaient autant qu'ils l'attisaient... J'étais traversé par toutes ces pensées politiques et j'avais en permanence envie de relever pour crier ma colère. J'avais constamment en tête l'image de George Bush, Saddam Hussein et Ben Laden ainsi que l'un ou l'autre sbire de ces tristes sires. C'était impossible de méditer dans ces conditions. Jusqu'à ce que je me rappelle que l'amour bienveillant et la compassion valent pour tous les êtres sensibles sans exception. Bien sûr, cela semblait inacceptable : éprouver de la bienveillance envers l'un de ces salopards pouvait sembler soutenir leur entreprise. Mais en fait non : éprouver de la bienveillance veut simplement dire que l'on souhaite que cette personne soit véritablement heureuse et connaisse les causes du bonheur. Or la guerre est une cause évidente de malheur. La bienveillance et la compassion dans ce cas précis est le souhait que Bush et compagnie arrêtent leur entreprise de guerre parce que celle-ci provoque la souffrance, l'affliction et le désarroi. Et abandonnant toute haine envers Bush et consorts, l'obsession politique s'est apaisée d'elle-même et j'ai pu m'absorber à nouveau dans la méditation.


Dans la politique, on peut manifester contre tel ou tel camp qui veut la guerre, qui veut la mort et l'injustice. Dans la politique, on peut aussi vouloir la guerre. En 1940, j'aurai voulu la guerre contre Adolf Hitler et les nazis. Mais quand vous pratiquez la méditation, il faut abandonner toute notion de conflit et être en paix avec le monde. Si vous ne scindez pas clairement la politique de la méditation, votre comportement risque de devenir complètement incohérent. Par ailleurs, vous risquez aussi d'entrer dans ce que les philosophes appellent le « théologico-politique », la compromission entre le spirituel et le politique. Vous allez vouloir passer votre temps à imposer une société bouddhiste, mais là encore chercher le pouvoir politique ne vous aidera pas à pratiquer la méditation, que du contraire. Là encore, cela troublera beaucoup plus votre esprit que cela ne l'apaisera.


Il faut se rappeler le geste initial du prince Siddhartha Gautama d'abandonner son palais et son statut de prince pour devenir un ascète errant et, après quelques années, devenir l’Éveillé, le Bouddha. Quand vous travaillez ou que vous vaquez à vos occupations quotidiennes, vous pouvez vous intéresser à la politique, voire vous impliquer en politique si vous en avez la vocation. Mais dans la méditation, abandonnez toutes ces considérations politiques pour être ici et maintenant.



Frédéric Leblanc,
28 octobre 2019. 











Voir également : 











(à propos de la citation d'Honoré de Balzac : "La résignation est un suicide quotidien")















Troll en méditation
Oeuvre de Thomas Dambo (forêt de Boom, Flandres, Belgique)










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1 commentaire:

  1. Mon commentaire n'est pas passé? J'espère qu'il ne va pas apparaitre en doublon.

    Je parlais d'une caricature https://mujoseppo.blogspot.com/2019/11/caricature.html
    d'une personne en méditation qui disait "Me concentrer sur mon nombril et fermer les yeux". Je disais que je préférais l'autre extrême: la méditation peut renverser un gouvernement car la sortie de l'ignorance peut être non violent et efficace politiquement.
    J'ajoutais (pour aller dans ton sens) qu'un maître zen français affichait un peu trop ses préférences politiques (Asselineau)sur son site internet et que j'imaginais que ses disciples ont dû lui faire remarquer (avec raison) que ça ne passait pas.

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