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vendredi 29 septembre 2017

Écrire







     (...) Je sais pas, tu vois. Prends les poètes. Certains démarrent très fort. Il y a un éclair, une brûlure, un pari dans leur façon de coucher les mots sur le papier. Un bon premier livre ou un second, ensuite ils semblent se d i s s o u d r e. Tu jettes un œil alentour et tu découvres qu'ils enseignent l'ÉCRITURE CRÉATIVE à l'université. Maintenant ils s'imaginent qu'ils savent comment ÉCRIRE et qu'ils vont dire aux autres comment s'y prendre. Ceci est une maladie : ils se sont épris d'eux-mêmes. C'est incroyable qu'ils puissent faire ça. C'est comme si un type venait me voir et essayait de me dire comment on baise sous prétexte qu'il pense baiser décemment.


     S'il existe de bons écrivains, je ne pense pas que ces écrivains triment, marchent, discutent et s'accouplent en pensant, « Je suis un écrivain. » Ils vivent parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. Ça s'empile : les abominations, les réjouissances, les pneus crevés, les cauchemars, les hurlements, les rires, les morts, les longues enfilades de zéros et tout le reste, ça commence à peser alors ils voient la machine à écrire et ils se posent devant et ça leur sort par les doigts, il n'y a pas de planning, ça leur tombe dessus : s'ils sont toujours en veine. (...)


Charles Bukowski, extrait d'une lettre adressée à Loss Pequeño Glazier, le 16 février 1983.








Charles Bukowski


lundi 25 septembre 2017

Choix et liberté




Choix et liberté




          Suite à un de mes articles récents (« Antispécisme et humanisme »), il y a eu une longue et intéressante discussion sur un cas moral sous forme d'expérience de pensée, que j'avais énoncé dans l'article en question : si, marchant le long d'un fleuve, vous voyez un homme et un chien, tous les deux en train de se noyer, et que vous plongez pour en sauver un des deux et le ramener à la berge, tandis que l'autre se noiera emporté par le courant, lequel allez-vous secourir ? Il y a toutes sortes d'arguments avancés de part et d'autre et de variantes de ce cas moral. Je ne reviendrai pas sur le cas moral en lui-même ; les personnes intéressées n'ont qu'à aller consulter la page de l'article. Je rappellerai juste que c'est une expérience de pensée, c'est-à-dire une situation qu'on ne risque pas de rencontrer dans la vie réelle. Il s'agit d'extraire de ce cas des principes philosophiques qui vont diriger des priorités dans l'action et les choix de société. Mais il ne faut pas non plus surinterpréter ce cas moral : si j'ai dit que je choisirai de sauver l'homme plutôt que le chien, il ne faut pas en tirer la conclusion que les chiens et les animaux ne méritent pas d'être aidés, et qu'on peut les exploiter sans vergogne. Au contraire, mon raisonnement cherchait à montrer que, même si on choisit l'homme plutôt que les animaux, on éprouver de la compassion envers les animaux et vouloir que ceux-ci ne soient pas chassés, maltraités, torturés ou abattus par la main de l'homme. L'humanisme n'est pas fondamentalement en contradiction avec l'antispécisme.


      Dans les commentaires de l'article, j'ai cité ce passage du « Plaidoyer pour les Animaux » de Matthieu Ricard que j'ai envie de citer à nouveau : « Ce livre a pour but de mettre en évidence les raisons et l'impératif moral d'étendre l'altruisme à tous les êtres sensibles, sans limitation d'ordre quantitatif ni qualitatif. Nul doute qu'il y a tant de souffrances parmi les êtres humains de par le monde que l'on pourrait passer une vie entière à n'en soulager qu'une partie infime. Toutefois, se préoccuper du sort de quelque 1,6 million d'autres espèces qui peuplent la planète n'est ni irréaliste, ni déplacé, car, la plupart du temps, il n'est pas nécessaire de choisir entre le bien-être des humains et celui des animaux. Nous vivons dans un monde essentiellement interdépendant, où le sort de chaque être, quel qu'il soit, est intimement lié à celui des autres. Il ne s'agit donc pas de ne s'occuper QUE des animaux, mais de s'occuper AUSSI des animaux ».






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         Enfin, une internaute, Tara, a aussi questionné le bien-fondé du choix dans la mesure où l'ego est une illusion qui se croit libre, mais en fait complètement déterminé par des causes extérieures. À quoi bon faire un choix, puisque nous sommes conditionnés à aller dans tel ou tel sens ?

dimanche 17 septembre 2017

Le carnisme intériorisé



Le carnisme intériorisé




    La psychologue américaine Melanie Joy a développé le concept de carnisme dans un ouvrage important : « Pourquoi on aime les chiens, on mange du cochon et on porte de la vache 1 » (Why we love dogs, eat pigs and wear cows). Le carnisme, c'est l'idéologie qui fait que nous trouvons normal, naturel et nécessaire de manger de la viande et des autres produits animaux. La particularité de cette idéologie, c'est qu'elle ne se présente jamais comme une idéologie. Elle se présente comme une évidence. On demande à un végétarien ou à une végane pourquoi il est devenu végétarien ou végane. Cette question suppose que ce végétarien ou végane a du trouver des raisons idéologiques ou de santé pour cesser de manger de la viande ; alors que le mangeur de viande ne se demande pas pourquoi il continue à manger de la viande, alors même qu'il éprouve un profond dégoût moral devant des images d'un abattoir ou d'un élevage industriel. C'est là qu'intervient le carnisme : légitimer la consommation de viande et de produits animaux, et faire taire les appels de notre propre conscience quand on a l'idée que le sort que les humains réservent aux animaux.

vendredi 15 septembre 2017

Espérant le cri du coucou





Espérant le cri du coucou,
j'entends les cris
du marchand de légumes verts

Bashō (Japon, 1644 – 1694)







Fan Ho







      Voilà un haïku intéressant de Bashō, le grand maître japonais du genre. L'esprit poétique s'enivre de la beauté et du calme qui peuvent apparaître dans les moments de contemplation. De simples choses comme le chant du coucou ou le murmure du vent dans les branches peuvent ravir le poète. Néanmoins, on n'est pas toujours servi de la délicatesse du monde. Parfois, souvent même, on n'est rappelé à des choses beaucoup plus terre-à-terre : les harangues du marchand de légumes. « Vous reprendrez bien un peu de mes beaux poireaux ! » C'est le monde aussi qui nous appelle. Mais de façon beaucoup moins aérienne. Je me souviens m'être promené sur les hauteurs d'une vallée boisée. J'avais avec moi les textes poétiques et spirituels d'un maître Zen, Dōgen Zenji. Je voulais m'asseoir au-dessus d'une falaise pour méditer et m'imprégner du silence et de la beauté verdoyante des lieux. Au moment où je me suis assis, des gens ont activé leur tronçonneuse dont le vrombissement résonnait dans toute la vallée encaissée. Voilà un moment inspirant de méditation qui s'est transformé en séance de torture pour mes oreilles. Un rappel du fracas du monde et une invitation malgré tout à trouver la sérénité dans le brouhaha et l'inconfort.


mercredi 13 septembre 2017

Antispécisme et humanisme




Antispécisme et humanisme





      Je regardais hier un extrait d'une émission de Canal + où Tiphaine Lagarde, la porte-parole de l'association radicale 269Life était invitée à parler d'antispécisme, d'animalisme et de véganisme. Tiphaine Lagarde rabaissait notamment le véganisme pour mettre en avant l'antispécisme. J'ai déjà dit ailleurs les doutes que j'entretenais envers 269Life (ici). Mais ce qui m'a frappé dans l'interview de Tiphaine Lagarde, c'est l'intervention sur le plateau de l'intellectuel français Emmanuel Todd. Celui-ci s'est insurgé sur l'utilisation du terme « holocauste » revendiquée par Tiphaine Lagarde pour parler du massacre des animaux qui s'opère chaque jour et condamne des milliards d'animaux à une souffrance atroce en ce moment-même. Emmanuel Todd trouvait aussi inquiétant l'anti-humanisme supposé des antispécistes.

dimanche 10 septembre 2017

La vie humaine comme nuage et eau



Le ruisseau de montagne coule sans intention,
Le nuage dans la grotte pénètre sans idée.
Que soit la vie humaine comme nuage et eau
Et des arbres de fer fleuriront au printemps.

Ci'an Shoujing (XIIème siècle).





Kilian Schönberger





       Nous vivons dans une société toute entière sur les notions de « projets », des « objectifs à atteindre », de « plans d'action », de « visions pour l'avenir ». Tout cela s'arc-boute sur la volonté : il faut avoir la volonté d'agir dans la direction voulue par la société. La vie humaine ne vaut que par la réussite de ces projets et de ces plans d'action. On ne se réalise qu'en se projetant dans le temps et la durée. Mais le problème est que le temps passe et réduit tous ces projets au néant. Ne reste plus alors qu'à s'enthousiasmer pour de nouveaux projets et de nouveaux plans d'action. Constante fuite en avant vers un futur qui sera toujours ravalé par le passé. De nous, il ne restera que quelques souvenirs qui finiront par s'effilocher dans l'oubli ; et de nos réalisations concrètes, quelques traces comme les ruines d'un château qui fut un jour le projet ambitieux d'un bâtisseur de l'époque.


      Le poète chinois et maître Chan, Ci'an Shoujing, ne partage pas cette vision des choses. Pourquoi vouloir agir et forcer tout le temps les choses ? Le ruisseau coule sans qu'on lui demande, l'arbre pousse sans avoir fait au préalable un projet d'avenir pour sa croissance verte. Le nuage rencontre la montagne sans avoir pris rendez-vous. Votre cœur bat et pompe la sang dans vos veines et vos artères sans avoir fait de plans. Il bat, c'est tout. À chaque instant, il bat. On peut et on devrait, selon Ci'an Shoujing, se laisser aller au non-agir, wuwei en chinois : 無爲. Vivre dans l'instant présent, renoncer à vivre dans le futur d'un projet à réaliser, sans intention d'influer sur le cours des choses. Se laisser aller à ce qui est et laisser la créativité de la vie apporter les plus beaux fruits de la vie. « Que soit la vie humaine comme nuage et eau / Et des arbres de fer fleuriront au printemps ». Même un arbre desséché ou a fortiori un arbre de fer peut engendrer la vie dès lors qu'on laisse la puissance créatrice qui est cachée en nous se manifester au grand jour.


       Il en découle un débat : faut-il privilégier une vie où la maturité consiste à se projeter dans le futur, à avoir des plans de carrière, des objectifs à plus ou moins long terme ? Ou faut-il vivre là où est la vie : dans l'instant présent, sans se soucier du lendemain ? Je n'ai pas l'ambition d'essayer d'apporter ici une réponse maintenant à cette grande question. J'avais juste envie de partager ce court poème de Ci'an Shoujing.



mercredi 6 septembre 2017

Arachnophobie








      C'est la saison : les araignées reviennent en force dans les recoins de notre maison : des petites, des toutes petites, mais aussi des plus grosses. Ces bestioles ont l'art de provoquer chez nous des peurs irrationnelles, surtout dans les pays du nord de l'Europe – comme la Belgique où j'habite – où on ne risque pas de croiser des araignées venimeuses comme les mygales ou les tarentules. Mais rien n'y fait : de très nombreuses personnes ont une phobie très marquée des araignées, surtout si elles sont grosses et velues. Ce petit article se propose de donner quelques conseils pour dépasser ces peurs et cette arachnophobie ambiante.












       Il y deux pôles dans ce problème : le sujet, c'est-à-dire nous qui ne pouvons nous empêcher de tressaillir de dégoût face à ces petites bêtes, et l'objet, l'araignée elle-même. La raison ne fait pas grand-chose à l'affaire : on peut essayer de se rassurer, de se raisonner en se disant : « mais non, ici, elles ne sont pas dangereuses », cela n'enlève pas la peur. Par contre, essayer de se documenter sur elles, de s'informer, de faire des araignées un objet de connaissance renforcera le pouvoir de la raison sur nos réactions émotionnelles. Une nuit, j'ai été appelé en urgence par une amie traquée chez elle par une araignée à croix blanche. Elle était persuadée que c'était une araignée extrêmement venimeuse et maléfique. J'avais beau lui dire qu'aucune araignée n'était venimeuse en Belgique, cela ne la calmait pas. Je suis donc arrivé, j'ai capturé la dite araignée avec un bocal et un carton, et je l'ai relâchée à une centaine de mètres de distance de la maison. Puis j'ai simplement googlisé le nom « araignée à croix blanche ». La plupart des sites expliquaient clairement que ce type d'araignée n'était en rien venimeuse pour l'homme. La dangerosité supposée de ces araignées n'était qu'une rumeur. Ce qui a eu pour effet de soulager grandement mon amie. Le fait de se renseigner contribue à amoindrir la charge émotionnelle.


       Ensuite, je conseillerai de développer la bienveillance et la compassion envers les araignées. Comme tout être sensible, les araignées recherchent le bien-être et fuient la douleur et la souffrance. On peut donc éprouver de la bienveillance et de la compassion à leur égard, c'est-à-dire souhaiter qu'elles soient heureuses et connaissent les causes du bonheur d'une part et qu'elles soient libres de toute souffrance et des causes de la souffrance d'autre part. Le fait de vouloir du bien à ces bestioles ne nous libérera peut-être pas tout de suite de la peur parfois panique qu'elles nous causent, mais cela aidera grandement à faire basculer notre point de vue sur elles. Cela nous fera comprendre plus facilement que ces petites araignées (même quand elles sont grosses) ont beaucoup plus à craindre cette énorme créature qu'est l'homme que l'être humain ne doit craindre ces petits bêtes. Que peuvent les quelques grammes de l'araignée contre les dizaines de kilo de l'homo sapiens ? Dans quel camp est vraiment la terreur ?


       Il faut aussi essayer de comprendre d'où vient notre peur antique des araignées. Peut-être que dans des vies antérieures nous avons été des mouchettes engluées dans la toile d'une de ces araignées et que le traumatisme s'est perpétuée de renaissances en renaissances. D'accord, mon explication vaut ce qu'elle vaut. Mais c'est vraiment une peur fondamentale. Qu'il suffise de regarder les films fantastiques ou de science-fiction où les héros sont confrontés à des araignées géantes. Je pense notamment à la scène du Seigneur des Anneaux de Tolkien où Frodon et Sam sont aux prises avec l'horrible Arachnée. Je pense qu'il faut observer cette peur en nous avec les outils de la Pleine Conscience, et essayer d'en comprendre le mécanisme. L'influence culturelle est importante. Si des proches sont facilement effrayés par les araignées, il est probable qu'il vous aient transmis cette peur, voire cette phobie.


       Inversement, si vous montrez à des enfants toute la beauté d'une toile d'araignée, si vous vous montrez curieux envers les araignées, et pas effrayés comme si vous étiez en face d'un revenant, il y a beaucoup de chances pour que ces enfants ne développent de dégoût exacerbé ou de phobie à l'égard d'elles. Votre comportement dit de lui-même qu'il n'y a pas à avoir peur d'elles. Dans mon jardin, je suis désolé quand je dois briser des toiles d'araignée. Quel manque de respect envers le travail d'autrui ! Mais une grosse bête comme moi doit bien avancer en occupant un certain espace...


        Enfin, motivé par la bienveillance et la compassion, je vous recommande de regarder les araignées le plus souvent possible. Ne détournez pas le regard. Observez-les dans leur milieu naturel, émerveillez-vous des trésors de géométrie et d'architecture qu'elles déploient pour créer leur toile. Observez toute la diversité qui existe parmi l'ensemble des araignées. Je pense que peu à peu vos peurs ou votre phobie perdront de l'emprise sur vous. Les araignées pourront alors devenir vos amies !









Lisa Gill








Voir aussi : 


Penser l’homme et l’animal au sein de la Nature











Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.








Quand vous êtes triste, rappelez-vous
que les araignées sauteuses portent parfois une goutte d'eau en guise de chapeau.






















lundi 4 septembre 2017

Sans savoir pourquoi



Sans savoir pourquoi
j'aime ce monde
où nous venons pour mourir

Sōseki Natsume (漱石 夏目, 1867 – 1916)