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mardi 25 juin 2019

Le maître spirituel - 1ère partie




Le maître spirituel
1ère partie



Je voudrais entamer ici une série de réflexions sur le maître spirituel. La plupart des traditions bouddhiques parlent de l'importance du maître spirituel ; mais régulièrement, la presse fait mention d'abus de pouvoir perpétrés par des maîtres spirituels. Le relation de maître à disciple est-elle donc absolument indispensable quand on chemine sur une Voie spirituelle ? J'essayerai d'évoquer cette question sous différents angles et avec différents textes.

dimanche 23 juin 2019

Le vallon



Le vallon




Mon cœur, lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses vœux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.

Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.

Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

La source de mes jours comme eux s'est écoulée ;
Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour :
Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée
N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour.

La fraîcheur de leurs lits, l'ombre qui les couronne,
M'enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux,
Comme un enfant bercé par un chant monotone,
Mon âme s'assoupit au murmure des eaux.

Ah ! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure,
D'un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux.

J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie :
L'oubli seul désormais est ma félicité.

Mon cœur est en repos, mon âme est en silence ;
Le bruit lointain du monde expire en arrivant,
Comme un son éloigné qu'affaiblit la distance,
A l'oreille incertaine apporté par le vent.

D'ici je vois la vie, à travers un nuage,
S'évanouir pour moi dans l'ombre du passé ;
L'amour seul est resté, comme une grande image
Survit seule au réveil dans un songe effacé.

Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,
Ainsi qu'un voyageur qui, le cœur plein d'espoir,
S'assied, avant d'entrer, aux portes de la ville,
Et respire un moment l'air embaumé du soir.

Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ;
L'homme par ce chemin ne repasse jamais ;
Comme lui, respirons au bout de la carrière
Ce calme avant-coureur de l'éternelle paix.

Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne,
Déclinent comme l'ombre au penchant des coteaux ;
L'amitié te trahit, la pitié t'abandonne,
Et seule, tu descends le sentier des tombeaux.

Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime ;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.

De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore :
Détache ton amour des faux biens que tu perds ;
Adore ici l'écho qu'adorait Pythagore,
Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts.

Suis le jour dans le ciel, suis l'ombre sur la terre ;
Dans les plaines de l'air vole avec l'aquilon ;
Avec le doux rayon de l'astre du mystère
Glisse à travers les bois dans l'ombre du vallon.

Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence :
Sous la nature enfin découvre son auteur !
Une voix à l'esprit parle dans son silence :
Qui n'a pas entendu cette voix dans son cœur ?


Alphonse de Lamartine (1790 - 1869), Les méditations poétiques, 1820.








mercredi 12 juin 2019

Force et justice





Sans doute, l'égalité des biens est juste, mais ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force. Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que la justice et la force fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien.


*****


Il est juste que ce qui est juste soit suivi. Il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.

La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.

La justice sans force est contredite parce qu'il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.

La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste.

Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.


Blaise Pascal, Pensées, fragments 116 & 135 de l'édition Sellier
(fr. 299 & 298 de l'éd. Brunschvicg, fr. 81 & 103 de l'éd. Lafuma)


dimanche 9 juin 2019

Est-on foutu ?




Est-on foutu ?



Cette semaine, je suis tombé, via les réseaux sociaux, sur une interview de l'ancien parlementaire Yves Cochet qui nous explique tranquillement que l'humanité va disparaître en 2050 des suites de l'effondrement biologiques. Cela me rappelle qu'il y a un mois et demi, dans une des écoles où je travaille, un géographe était venu faire une conférence sur le réchauffement climatique. Son message était qu'on allait droit vers la catastrophe. J'avais l'impression qu'il se croyait très provocateur. Mais le problème est qu'il ne l'était absolument pas : il se contentait d'énoncer une idée que les jeunes partagent depuis longtemps.


De manière générale, quand je pose la à mes élèves: « Est-ce qu'on va vers l'effondrement ? Ou l'humanité va-t-elle trouver les ressources morales, scientifiques ou technologiques pour y échapper ? ». La réponse est en très grande majorité : oui, la société va vers l'effondrement, et non, on n'y échappera pas. Il y a quelques années, je parlais d'écologie à des jeunes de douze ans à peu près, et ils m'ont répondu très agressivement que cela ne servait à rien de parler d'écologie et de défense de l'environnement puisqu'on est de toute façon foutu !


Je pense donc que le catastrophisme ambiant, loin de susciter un électrochoc salutaire dans la conscience des citoyens et des jeunes, est le meilleur moyen de neutraliser tout changement de cap de la société vers une transition écologique. On me rétorquera certainement toutes ces manifestations de jeunes pour le climat ces derniers temps. Mais je constate que l'enthousiasme ne s'est pas propagé au point que les jeunes se soient investis en masse dans des actions concrètes en faveur de la Nature. En fait, l'enthousiasme était, me semble-t-il, surtout du à la perspective joyeuse d'échapper à quelques ennuyeuses journées de cours... Je pense que la catastrophisme mine les forces naissantes en les plongeant dans l'aquoibonisme ambiant. Il y a quelques années, le philosophe Jean-Pierre Dupuy, pour parer à ces effets regrettables du catastrophisme, prônait un « catastrophisme éclairé ». Pour lui, il faut avoir la conscience aiguë que la catastrophe est inévitable, mais que la raison ne doit pas pour autant abdiquer devant la peur, l'angoisse ou la terreur que peut susciter l'imminence de cette catastrophe. Mais force est de constater que le catastrophisme éclairé n'a jusqu'à présent pas éclairé grand-monde...

jeudi 6 juin 2019

Accepter le temps d'un instant





En fait, quand vous lâchez prise, ce n’est pas la situation dans sa globalité que vous devez accepter, mais juste ce minuscule segment appelé instant présent.

Eckhart Tolle, « Le pouvoir du moment présent ».




mercredi 5 juin 2019

Les deux extrémités de la connaissance





Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle, qui est le vrai siège de l'homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis. Mais c'est une ignorance savante, qui se connaît. Ceux d'entre-eux, qui sont sortis de l'ignorance naturelle et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante et font les entendus. Ceux-là troublent le monde et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde, ceux-là le méprise et sont méprisés. Ils jugent mal de toutes choses, et le monde en juge bien.

Blaise Pascal, Pensées, fragment 118 de l'édition Sellier
(fr. 79 dans l'éd. Brunschvicg, fr. 84 dans l'éd. Lafuma)


lundi 3 juin 2019

Un nomade de la raison - Bibliographie

Un nomade de la raison sur les chemins d’Élis à Taxila


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Bibliographie

Un nomade de la raison - Conclusion




Un nomade de la raison sur les chemins d’Élis à Taxila

13ème partie


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dimanche 2 juin 2019

Un nomade de la raison - 12ème partie





Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

12ème partie


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Le silence et la paix de l'âme


Troisième et dernier point évoqué dans le texte d’Aristoclès de Messène : « ce qui résultera pour ceux qui sont dans cette disposition ». « Pour ceux qui se trouvent dans ces dispositions, ce qui en résultera, dit Timon, c’est d’abord l’aphasie, puis l’ataraxie ». 


L’abstention du jugement conduit à l’indifférence et l’imperturbabilité. Et l’indifférence conduit à l’aphasie qui, elle-même, ouvre à l’ataraxie, l’absence de trouble. Il faut noter cette corrélation étroite entre l’aphasie et l’ataraxie, car elle est typique du pyrrhonisme. Le langage est lourd de ce qu’il porte l’être du phénomène. Le langage tend implicitement à dire l’Être et donc à camoufler l’apparence fine des choses. 


Est-ce à dire que Pyrrhon ne sortait jamais de son silence ? Non, tel n’était pas le cas : Pyrrhon pouvait briller dans ses discours et fasciner son auditoire. L’aphasie est l’incapacité à dire les choses puisqu’on se retrouve à dire de « chaque chose qu’elle n’est pas plus qu’elle n’est pas, ou qu’elle est et n’est pas, ou qu’elle n’est ni n’est pas ». Si une chose n’est ni a, ni non-a, ni à la fois a et non-a, ni à la fois ni a, ni non a, on ne peut pas dire a de la chose, ni b, ni c, ni d, et ainsi de suite… Les mots ne s’appliquent jamais parfaitement à la chose. Dès lors, le rôle du langage est soit de préparer au silence, soit de se distancier de sa propension à véhiculer l’être, le réel grâce à l’évocation, la suggestion ou l’ironie. Il s’agit de souligner le décalage entre le langage et le réel tel qu’il s’égrène d’heure en heure, d’instant en instant. Pyrrhon appelle à vivre la vie sans que des commentaires viennent constamment troubler le silence de l’expérience.


Bien sûr, Pyrrhon n’a pas arrêté complètement de parler dès lors qu’il a découvert l’aphasie. En Inde, certains yogins respectent parfois des vœux de silence qui peuvent courir dans certains cas pas moins de douze ans durant lesquels ils ne prononcent pas un mot. Pourtant, ils communiquent encore : le silence n’abolit pas la communication. Certaines choses se communiquent par des sourires, des gestes, des attitudes, des regards, etc. Mais pour autant qu’on le sache, en-dehors de ses retraites solitaires, Pyrrhon parlait ; et il parlait même très bien si l’on en croit Nausiphane : Pyrrhon savait excellemment captiver son auditoire. Epicure d’ailleurs insistait beaucoup auprès de Nausiphane pour avoir des nouvelles de Pyrrhon1


Certes, Pyrrhon fascinait par son esthétique d’existence si particulière ainsi que son absence complète de moralisme alliée à une vie très morale et très rigoureuse : Victor Brochard considère même que Pyrrhon « fut une sorte de saint sous l’invocation duquel le scepticisme se plaça2 ». Mais Pyrrhon fascinait aussi pour ses discours et par son éloquence si particulière. Aphasie ne veut donc pas dire absence de langage, mais un rapport différent à ce langage, plus apaisé, qui ne s’impose pas constamment à la pensée intérieure, qui n’enferme pas l’individu dans toutes sortes de jugements à propos de tout et de rien. Ce bavardage mental se calme sous l’effet de l’indifférence et quand il cesse de vouloir donner à l’apparence un habit et une consistance faite d’être et non-être, de réalité et d’irréalité, d’estimable ou de méprisable, alors l’esprit fait l’expérience de l’aphasie pyrrhonienne. Dans l’aphasie, le langage existe encore, mais il ne s’oppose plus aux apparences. Il laisse les apparences se succéder les unes aux autres dans le flux de la vie comme le courant du fleuve qui s’écoule tranquillement sans faire d’histoire. Dans l’aphasie, le langage s’apparente au chant des oiseaux, aux babillements d’un bambin  ou au bruit du vent dans le feuillage; le langage redevient une apparence qui ne s’oppose pas au silence de la nature.


Et donc l’aphasie conduit à l’ataraxie, l’absence de trouble, la paix de l’esprit. Le pyrrhonisme est donc un eudémonisme : le philosophe cherche ce bonheur et cette quiétude née d’une vie simple et égale. Marcel Conche souligne le caractère anti-tragique de la philosophie de Pyrrhon : « On remarque que sa conception de la non-différence des choses entre elles, d’où résultent l’annulation des différences de valeur, la négation de la morale, ect…, abolit tout le tragique de l’existence. Le pyrrhonisme est si exactement une conception antitragique de l’existence que l’on peut se demander, compte tenu de l’espèce de contraste entre la jeunesse de Pyrrhon et sa maturité rassise et philosophique, si le fond de sa nature n’était pas le sentiment tragique de la vie – l’ironie étant une réaction à ce sentiment fondamental3 ». 


Pyrrhon s’est détourné du fracas de sa vie de jeunesse pour s’abandonner à une vie tranquille emplie de bienveillance et de douceur à l’égard de son prochain. Comme plus rien n’est vraiment sérieux, il ne reste qu’une douce chaleur humaine à diffuser dans toutes les circonstances de la vie quotidienne : voilà l’ataraxie... « La philosophie de l’apparence doit conduire à une absolue bienveillance » nous dit Marcel Conche. « Si j’aime véritablement, écrit-il encore, ce n’est pas « moi » qui aime. La charité est le feu universel où les différences disparaissent4 ». Accepter les autres dans la simplicité de la vie et leur apporter de la bienveillance et de la douceur, voilà ce qu’était peut-être l’essence de la vie de Pyrrhon, philosophe d’Elis.


Diogène Laërce conclut d’ailleurs sa notice fort fournie sur Pyrrhon et sa pensée ainsi : « Certains disent aussi que les sceptiques désignent l’insensibilité comme la fin, et d’autres la douceur5 ».













1 D.L, op. cit., IX, 64.
2 Victor Brochard, « Les sceptiques grecs », op. cit., livre I, chap. III, p. 82. Un saint certes fort étrange et extravagant qui ne se souciait pas de correspondre à un idéal moral et qui était même indifférent au bien comme au mal !
3 Marcel Conche, « Pyrrhon ou l’apparence », op. cit., chap. X.1, p. 134.
4 Marcel Conche cité par Patrick Carré, « Nostalgie de la vacuité », op. cit., p. 119.
5 Diogène Laërce, « Vie et doctrines des philosophes illustres », op. cit., IX, 108. Certains remettent en question cette apologie de la douceur au sein du pyrrhonisme, mettant même en doute le témoignage de Diogène Laërce sur ce point précis. Il me semble au contraire que cette sentence, Diogène ne l’a pas mise au hasard, sans trop savoir ce qu’il racontait. Cette phrase achève la notice sur Pyrrhon, laquelle est suivie par celle de Timon de Phlionte, un sceptique qui se comporte à bien des égards de manière hédoniste. Or à ces deux notices placées à la fin du livre IX, fait suite le livre X entièrement consacré à Épicure (qui, on l’a vu, admirait Pyrrhon). Tout cela n’est pas un hasard ! Cette dernière phrase indique que Pyrrhon est à la croisée des chemins entre le stoïcisme (l’insensibilité) et l’épicurisme (la douceur). Cicéron avait d’ailleurs rapproché Pyrrhon d’Ariston de Chios, un stoïcien particulièrement rigoureux et moraliste. Diogène semble le voir plus dans les parages Épicure de Samos.

















Silena Lambertini









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Miguel Guía
Le Calme et le Silence















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