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vendredi 24 décembre 2021

Croire au père Noël


En méditant, m'est revenue une scène du film « Je règle mon pas sur les pas de mon père ». Jean Yanne y incarne un petit escroc qui fait croire à ses victimes qu'ils viennent de toucher un prodigieux héritage, mais qu'il faut régler quelques frais de quelques milliers de francs avant de toucher le dit héritage. Il a un fils incarné par Guillaume Canet qui tente de l'imiter. Les deux ont une conversation dans un restaurant dans le nord de la France. Guillaume Canet se montre méprisant envers les pigeons qu'ils viennent de plumer : « Il faut être naïf quand même. Moi, on ne me ferait pas avaler un truc pareil ». Jean Yanne lui rétorque : « Tout le monde croit au père Noël, même toi, même moi ».


Derrière le scepticisme et l'incrédulité, il y a toujours la tendance à croire que quelque chose de merveilleux peut ou devrait se produire. C'est évidemment un levier mental que les manipulateurs ou les arnaqueurs peuvent activer pour mieux nous berner. Il faut être vigilant à cela, mais on ne peut pas se contenter d'être juste prudent ou rationaliste, ne croire que ce qu'on voit. Il faut savoir qu'il y a en nous cette espérance d'une vie meilleure en nous, cette naïveté d'enfant qui nous habite. D'une part pour protéger cette naïveté des gens malintentionnés, mais aussi parce que cette naïveté, cette espérance à deux sous peut nous faire avancer dans la vie.


Je me souviens d'un maître indien qui disait : « Ne soyez pas infantile, soyez enfantin ». Être infantile, c'est régresser dans la naïveté pour se camoufler du réel ou ne pas le voir. Être enfantin, c'est garder ce sens du merveilleux et de la fantaisie, mais sans se déconnecter de l'adulte en nous qui essaye de voir le réel tel qu'il est. C'est savoir ce qui est raisonnable, sans pour autant se borner à ce réalisme morne et désespéré qu'on veut parfois nous imposer comme une évidence qui ne tolérerait aucune alternative... Être enfantin, c'est avoir cette ressource de joie et de lumière pour repartir de plus belle dans l'existence.


Je disais que cette scène du film m'est revenue en méditation, parce que justement en méditation, je trouve qu'on a une forte tendance à attendre le père Noël. Même vous, même moi ! On attend une grande illumination colorée, un Big Bang existentiel, une grande félicité qui viendrait résoudre tous nos problèmes. On espère pouvoir léviter dans les airs comme dans Tintin au Tibet, avoir des visions paranormales, quitter son corps et balader dans l'espace intersidéral, pressentir l'avenir ou pouvoir manipuler les objets à distance comme un maître Jedi. Il n'en est rien la plupart du temps : la méditation nous confronte au réel tel qu'il est, dans son immense banalité, le souffle qui entre et sort de nos poumons, les genoux ou les chevilles qui nous font mal, le dos qui peine à se tenir droit, des pensées médiocres qui parasitent notre concentration...


Cela est décevant, mais c'est l'essence de la méditation de voir ce réel décevant. De voir aussi cette naïveté qui nous habite, notre attente de quelque chose de mieux. Comme dans la vie quotidienne, cette espérance naïve a deux aspects. Le premier est de nous rendre vulnérable à ces charlatans, des gourous de bas étages qui nous promettent monts et merveilles si on suit leur méthode transcendantale si onéreuse. Mais l'autre aspect, c'est que cette espérance naïve peut nous conduire à développer la joie et à répandre cette joie autour de nous. Il y a toujours un Éveil qui va par-delà ce qui est au-delà. Tadyatha gate gate paragate parasamgate bodhi svaha....


Je souhaite à tous que vous cultiviez cette sagesse qui voit les choses telles qu'elles sont, mais va aussi par-delà. Sarva mangalam. Toutes les bénédictions !








 Rémy Waterhouse, Je règle mon pas sur les pas de mon père, 1998




Lire également : 

Une cure d'extraordinaire

Résignation et acceptation


Joie (Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?)



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Par ailleurs, je souhaite un joyeux Noël et de belles fêtes à tous et à toutes !





dimanche 12 décembre 2021

Désir et frustration


La nature nous a créés avec la faculté de tout désirer et l’impuissance de tout obtenir.

Machiavel

Discours sur la première décade de Tite-Live, livre I, chap. XXXVII.





Cette sentence de Nicolas Machiavel exprime ici une idée fondamentale de la philosophie antique, qu'elle soit gréco-romaine ou indienne : Épicure, les stoïciens ou le Bouddha ne renieraient pas une telle formule (même s'ils n'approuveraient probablement pas le reste de l’œuvre du philosophe florentin). L'insatisfaction fondamentale qui se niche au cœur de notre vie : on veut tellement de choses, mais ces choses ne nous sont pas accessibles, et cela engendre la frustration, la colère, le désespoir, le ressentiment, la jalousie et une cohorte de passions tristes. La sagesse est donc de se détacher de cette faculté de tout désirer donnée par la nature.



Cette sentence résonne aussi particulièrement à l'époque contemporaine : la société de consommation dans laquelle nous vivons a pour moteur ce principe de toujours avoir envie de nouvelles choses, de nouveaux produits. Et les publicitaires ont bien compris tant notre faculté de tout désirer que notre frustration de ne pas obtenir ce qui est derrière les vitrines des magasins, et ils jouent de nos propensions pour nous pousser à toujours acheter encore et encore. Je me souviens du personnage Ling Woo (incarnée par Lucy Liu) dans la série de la fin des années '90 « Ally McBeal » qui, quand elle était contrariée dans sa vie intime ou professionnelle, déclarait d'un ton sec et tranchant : « I need to shop » (j'ai besoin de faire les magasins).



Ce qui est aussi intéressant, et même fascinant, dans cette citation, c'est la relation intime qu'elle tisse entre notre désir insatiable et l'infini. Nous ne désirons pas seulement telle ou telle chose : nous sommes habités par cette faculté à tout désirer, nous désirons encore et encore. Machiavel explique d'ailleurs après cette sentence : « de sorte que nos désirs se trouvant toujours supérieurs à nos moyens, il en résulte du dégoût pour ce qu'on possède et de l'ennui de soi-même ». On se lasse très vite de ce qu'on vient d'acheter et on veut d'autres choses encore et encore. Mais cette faculté de tout désirer n'est peut-être pas entièrement mauvaise : cette faculté de tout désirer, de vouloir toujours plus est aussi un exprime en creux la dimension infinie de l'esprit.



Cette dimension infinie de l'esprit ne se trouvera jamais dans tel ou tel objet, dans la gloire ou la victoire, mais bien en faisant retour sur soi-même, en laissant se découvrir le ciel de l'esprit là simplement dans la lumière de l'attention. En étant attentif dans la méditation à cette faculté de tout désirer sans pour autant y céder, on peut cesser de désirer ceci et cela encore et encore pour s'ouvrir à l'immensité, pour s'ouvrir au Tout. En partant de cette propension à tout désirer, on peut suivre du fil de l'attention jusqu'au centre de nous-mêmes et commencer à découvrir le lien entre nous-mêmes et le Tout, à savoir comment y prendre place simplement ici et maintenant… Cela requiert de pratiquer encore et encore la méditation, de s'ouvrir encore et encore à ce ciel immense de l'esprit en nous et de laisser les nuages des pensées nous traverser en lâchant prise. Les pensées apparaissent, les pensées disparaissent, et tout comme le ciel reste ciel quel que soit la masse des nuages qui l'occupe, l'esprit reste attentif et équanime, sans attachement particulier. Comprenant alors la joie de l'instant présent, on peut commencer à se libérer de nos frustrations pour tout ce qu'on n'a pas obtenu dans notre existence, se libérer du « dégoût pour ce qu'on possède et de l'ennui de soi-même ».













Michael Sidofsky - Florence.







Voir également : 

- Un vieux parchemin

- Encore et encore

- Hédonisme et eudémonisme





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