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dimanche 25 février 2018

Penser, vivre, respirer





Penser, vivre, respirer





        Je me souviens d'une réflexion de la philosophe Hannah Arendt à propos de son ancien maître Heidegger où elle répondait à la question de ce qu'il lui avait apporté : « Martin Heidegger m'a appris à penser ». Cela m'a paru toujours très bizarre de dire cela : on pense, on n'a pas besoin d'apprendre à penser. Même quand on ne veut pas penser comme dans la méditation, on pense quand même. La pensée est un flot qui nous traverse.


    Pareillement, j'ai constaté que certains maîtres spirituels, je pense notamment à Thich Nhat Hanh dans le bouddhisme ou Amma dans l'hindouisme, expliquent qu'ils apprennent à leur disciples à vivre. Là encore, c'est très étrange : on vit, personne ne peut nous apprendre à vivre. Dans la même logique, certains professeurs de yoga disent qu'ils apprennent leurs étudiants à respirer. Si c'était vrai, ce serait vraiment problématique pour les bébés qui viennent à naître. S'ils doivent attendre qu'un professeur les initie à la respiration....

mercredi 21 février 2018

La drague de rue - 2ème partie



La drague de rue


(2ème partie)


Voir la 1ère partie de ce texte.


Ce texte est une réflexion critique à partir d'une vidéo de Marion Seclin où celle-ci assimile la drague de rue à du harcèlement.






La drague de rue - 1ère partie



La drague de rue


(1ère partie)


     Depuis le début de l'année, il y a dans les cercles intellectuels tout un vif débat autour de la question de savoir ce qui est de la drague, ce qui est du harcèlement et ce qui est de l'agression dans les relations entre les hommes et les femmes. Plus particulièrement, depuis la tribune publiée le 9 janvier 2018 dans le Monde et signée notamment par l'actrice Catherine Deneuve et une centaine d'autres femmes. Cette tribune réagissait à la charge menée par les féministes radicales depuis la révélation de l'affaire Weinstein et les hashtags #metoo aux États-Unis et #balancetonporc en France. On peut y lire notamment : « De fait, #metoo a entraîné dans la presse et sur les réseaux sociaux une campagne de délations et de mises en accusation publiques d’individus qui, sans qu’on leur laisse la possibilité ni de répondre ni de se défendre, ont été mis exactement sur le même plan que des agresseurs sexuels. Cette justice expéditive a déjà ses victimes, des hommes sanctionnés dans l’exercice de leur métier, contraints à la démission, etc., alors qu’ils n’ont eu pour seul tort que d’avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses « intimes » lors d’un dîner professionnel ou d’avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance n’était pas réciproque ».


       Mais ce débat a été précédé il y a presque deux ans déjà par une confrontation par vidéo interposée sur YouTube entre Marion Seclin et le Raptor Dissident. Marion Seclin, en féministe convaincue, assimile dans la drague de rue à du harcèlement sexuel dans sa vidéo : « Tu as été harcelée, mais... » (vidéo du 17 mai 2016). Et le Raptor Dissident, dans une vidéo d'une rare virulence, tant par ses injures, ses propos haineux et dénigrants, ses blagues douteuses et ses invectives, conteste ce lien entre drague de rue et harcèlement. Il faut aussi dire qu'à la suite de cette vidéo, Marion Seclin a reçu des dizaines de milliers de messages haineux, insultants et menaçants. C'est peu dire que ce débat laisse peu indifférent. Il est aussi intéressant de voir à quel point un nouveau média estampillé « jeune » comme YouTube peut devancer d'un an des débats intellectuels publié dans le Monde ou d'autres journaux prestigieux. Je voudrais revenir sur les arguments de Marion Seclin dans cet article avec les arguments de la raison et l'envie de critiquer en bien ou en mal les idées plutôt que les personnes qui émettent ces idées.



dimanche 18 février 2018

Analyse du désir et de son sujet

Le Traité du Milieu

Nāgārjuna

Chapitre VI : Analyse du désir et de son sujet


1. Si, avant le désir,
Celui qui désire existait sans désir,
Le désir dépendrait de lui ;
Celui qui désire existant, le désir existerait.

2. Et si celui qui désire n'existe pas,
Comme existera le désir ?
Que le désir existe ou n'existe pas,
La séquence est la même pour celui qui désire.

3. La production simultanée
Du désir et de celui qui désire est illogique,
Car ainsi le désir et celui qui désire
Seraient indépendants l'un de l'autre.

4. Il n'existe pas de simultanéité dans l'identité,
Car une chose n'est pas simultanée à elle-même ;
Et dans l'altérité,
Comment y aurait-il simultanéité ?

5. S'il y avait simultanéité dans l'identité,
Elle existerait même sans association ;
S'il y avait simultanéité dans l'altérité,
Elle existerait même sans association.

6. S'il y avait simultanéité dans l'altérité,
Comment l'altérité du désir
Et de celui qui désire serait-elle établie
À partir de leur simultanéité ?

7. Si le désir et celui qui désire
Sont établis dans l'altérité,
Pourquoi concevoir
Leur simultanéité ?

8. Parce que l'altérité n'est pas établie,
Vous admettez la simultanéité ;
Admettez-vous aussi l'altérité
Pour établir la simultanéité ?

9. Une chose diverse n'est pas établie,
Une chose simultanée ne le sera pas ;
S'il existe une chose diverse,
Quelle chose simultanée accepterez-vous ?

10. Ainsi le désir et celui qui désir
Ne sont pas simultanés, ni non-simultanés.
À l'instar du désir, tous les phénomènes
Ne sont ni simultanés, ni non-simultanés.





Nāgārjuna, Mūlamadhyamakakārikā (Stances-racines de l’École du Milieu), plus simplement appelé Madhyamaka shastra, le Traité du Milieu, chapitre VI (Analyse du désir et de son sujet). Nāgārjuna, Traité du Milieu, traduction de Georges Driessens, éd. du Seuil, 1995, pp. 69-79.


vendredi 16 février 2018

Les quatre incommensurables selon le bouddhisme tibétain




Les quatre incommensurables selon le bouddhisme tibétain




       Ce texte que vous êtes en train de lire est le premier d'une petite série sur la présentation des quatre qualités incommensurables – amour, compassion, joie et équanimité – dans l'école nyingmapa du bouddhisme tibétain. Il s'agira à chaque fois de commentaires d'un passage de « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » de Ngawang Palzang (1879 - 1941), qui est lui-même un commentaire du « Chemin de la Grande Perfection » de Dza Patrül Rimpotché (1808 – 1887) qui est lui-même un commentaire de « L'essence du cœur de l'immensité » de Jigmé Lingpa (1730 – 1798). Le « Chemin de la Grande Perfection » ainsi que les « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » ont été publiés aux éditions Padmakara, le premier en 1997 et le second en 2014 (pp. 157 – 174). Les parties en italique sont le texte de « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » (pp. 158 – 161).

dimanche 11 février 2018

Avenues


Des avenues.
Des avenues et des fleurs.
Des fleurs.
Des fleurs et des femmes.
Des avenues. Des avenues et des femmes.
Des avenues et des fleurs et des femmes.
Et un admirateur.

Eugen Gomringer (1951)





Alice Salomon Hochschule - Berlin - avec le poème "Avenidas" d'Eugen Gomringer.







       Ce poème rédigé à l'origine en espagnol orne le mur d'une école supérieure à Berlin depuis 2011. Un poème bref qui a fait l'économie des mots, mais qui ne fera pas l'économie du scandale en cette ère de #metoo et de répression de l'identité masculine. Ce poème doit prochainement être censuré et retiré de son mur au motif que ce serait une apologie du machisme, du voyeurisme et du harcèlement de rue. Il y a tout ce débat actuel pour savoir si la drague de rue est un harcèlement de rue. Mais ici, on a franchi allègrement un palier : admirer les femmes fait de vous un harceleur en puissance.


      C'est le message qu'un groupe d'étudiants a adressé à la direction de l'école : « Ce poème reproduit non seulement une tradition artistique patriarcale dans laquelle de belles femmes sont des muses utilisées exclusivement pour stimuler la création artistique des hommes, mais il nous rappelle aussi de façon fort désagréable le harcèlement sexuel auquel les femmes sont quotidiennement exposées ». Admirer la beauté est devenu un crime, que ce soit la beauté des femmes ou la beauté des fleurs. Et le poète se voit imposer l'injonction de ranger ses muses au placard. Bientôt, on l'obligera à confesser son horrible « tradition artistique patriarcale » et à expurger son œuvre de toute attirance coupable envers la gente féminine. Poète, vos papiers !


      Ami.es féministes, je ne suis pas sûr de vouloir vivre dans votre monde.

















Le billet de Pascale Seys à propos de ce poème sur Musique 3 (radio belge francophone) :



L'article de Malka Gouzer dans le Temps :






Concernant le féminisme, la drague de rue et le hashtag #metoo ou #balancetonporc : 












Eugen Gomringer








Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.






dimanche 4 février 2018

Analyse des éléments


Le Traité du Milieu


Nāgārjuna

Chapitre V : Analyse des éléments




(NB : les six éléments dans la philosophie bouddhique sont l'espace, la terre, l'eau, le feu, l'air et la conscience. L'espace est souvent décrit comme une absence d'éléments ou comme une place que peuvent occuper ou non les éléments matériels. Certaines écoles philosophiques du bouddhisme considèrent que l'espace n'est pas du tout un élément, un non-élément en somme. L'esprit ou conscience est un élément non-matériel qui n'est pas lié à un lieu particulier dans l'espace, ni à des éléments physiques, mais qui s'identifient à un corps physique, ce qu'on appelle le « nom et forme », et donc au lieu qu'occupe ce corps physique dans l'espace. La présente analyse de Nāgārjuna sur l'espace vaut pour les cinq autre éléments : terre, eau, feu, air, conscience).

samedi 3 février 2018

La trahison des images



La trahison des images




      Aujourd'hui, je suis allé voir la très intéressante exposition « Magritte & Broodthaers » à Bruxelles. Y est exposée entre autres œuvres de René Magritte le célébrissime « La trahison des images » de 1929, avec cette représentation d'une pipe accompagnée de la fameuse inscription surréaliste « Ceci n'est pas une pipe ». C'est la première fois que le tableau revenait en Belgique depuis qu'il a été racheté dans les années '50 par des collectionneurs américains enthousiastes de l’œuvre de Magritte.





Magritte, La trahison des images, 1929.






          Je voudrais profiter ici de cette occasion pour me lancer dans une petite réflexion sur le singulier message de cette peinture d'un objet anodin. La première réaction est de se dire que Magritte est fou ou qu'il s'amuse de nous : c'est bien une pipe qui figure sur le tableau, et pas un chat ou un chapeau melon. Dans un deuxième temps, vient la prise de conscience d'une distinction entre l'image et l'objet qu'on tend à oublier. Sur le tableau ne figure pas une pipe réelle avec laquelle on pourrait tirer quelques bouffées de fumée, mais bien la représentation d'une pipe. Nom d'une pipe, ceci n'est pas une pipe ! Ceci se désigne par le nom d'une pipe et se reconnaît sous l'apparence d'une pipe. Cette idée d'une rupture entre l'objet et l'image de l'objet qui s'assume comme étant l'objet dans un monde d'images, cette idée donc a commencé à être féconde dans les milieux intellectuels et artistiques avec des courants philosophiques comme la sémantique d'Alfred Korzybski et sa célèbre formule « La carte n'est pas le territoire qu'elle représente ».