On
me demande souvent ce que j'entends par méditation. Et répondre à
cette question est un exercice difficile, parce que c'est à la fois
trop simple à décrire comme activité, pour autant qu'on puisse
dire que c'est une activité, et en même temps la méditation
charrie avec elle toutes sortes d'éléments philosophiques et
existentiels subtils qui demandent une vie à être expérimentés et
compris pleinement. Je ne suis pas sûr que ça soit une activité,
même si l'on dit « je pratique la méditation » et que
l'on adopte généralement une posture déterminée, la posture en
tailleur ou du lotus. Mais la méditation ne se résume pas au temps
passé officiellement à méditer, ni à une posture : on peut
très bien méditer debout, assis sur une chaise ou étendu par
terre. En fait, je dis souvent que la méditation est une façon
extrêmement active de ne rien faire.
On
ne fait rien du tout, c'est vrai, mais on ne se laisse pas aller et
on ne subit pas notre inaction. On ne fait rien, pour autant, on
observe finement tout ce qui nous arrive dans le corps, dans les
sensations, dans l'esprit et tout ce que l'esprit perçoit.
D'ordinaire, on est obnubilé par les activités du monde. « Que
se passe-t-il ? » est la question qui revient
fiévreusement à l'esprit ; et il faut que quelque chose se
passe, sous peine d'être condamné à l'ennui, le désespoir de
l'instant présent. Et d'ordinaire, nous faisons tout éviter
l'ennui. Nous fuyons frénétiquement l'ennui. Or, dans la
méditation, on assume cette ennui pleinement, mais ce n'est pas si
ennuyeux que ça ! C'est une question que m'avait demandé un
ami : « Oui, mais quand tu fais de la méditation, est-ce
que ce n'est pas trop ennuyeux ? » C'est une question qui
m'avait étonné sur le moment, parce que je ne m'ennuie jamais quand
je médite, même si je peux comprendre que, d'un point de vue
extérieur, l'idée de ne rien faire n'est en soi pas très
réjouissante. Certes, en méditation, on accepte pleinement le fait
qu'il ne va rien se passer. Mais quand il ne se passe rien, il se
passe plein de choses en fait.
Vous
sentez par exemple l'air entrer et sortir de vous poumons. Quelle
banalité ! me répondra-t-on certainement. Oui, ce très petit
événement qui semble tellement insignifiant qu'on ne le remarque
même plus d'ordinaire est quand même un mécanisme essentiel de la
vie. Si vous ne respirez plus, vous allez mourir dans quelques
minutes ! Le souffle accompagne la Vie dans chacun de ses
instants. En méditation, on ne sent pas seulement tout sa
respiration, mais aussi tout son corps. D'ordinaire, on est obsédé
par l'apparence du corps, mais pas par le corps lui-même. En
méditation, il vous arrive ce corps avec ce cœur qui bat, le sang
qui circule dans les veines et les artères, les neurones qui
s'activent dans le cerveau, chaque cellule qui produit de l'énergie
dans sa mitochondrie. De cela, vous n'êtes pas nécessairement
conscient, car trop petit pour être observé. Néanmoins, vous
pouvez se corps qui manifeste son existence matérielle à chaque
instant.
En
méditation, il se passe aussi des sensations. Ces sensations qui
peuvent être de toutes sortes et qui peuvent être bonnes, mauvaises
ou neutres vous traversent de manière incessante. D'ordinaire, on se
contente de rechercher les sensations agréables et de fuir les
sensations désagréables, ou de les endurer parce qu'il faut bien.
Ici, en méditation, il s'agit de les laisser passer comme des
éclairs qui traversent le ciel. On ne les juge pas : on se
contente d'observer et d'être conscient de chaque sensation
particulière quand elle se produit et s'éteint pour laisser la
place à d'autres sensations. Le moine anglais qui vit en Australie,
Ajahn Brahm, explique que le méditant devrait être comme le
passager sur la banquette arrière d'une voiture. Ce n'est pas lui
qui conduit et il devrait arrêter d'enquiquiner constamment le
conducteur pour aller ici ou là, pour prendre telle ou telle
direction : non, il devrait s'installer confortablement sur la
banquette arrière et observer paisiblement le paysage. Se laisser
conduire. Ce faisant, on peut prendre du recul par rapport aux
sensations et aux émotions. On peut trouver la joie et le bonheur,
même quand on est confronté à des épreuves et des sensations
désagréables.
En
méditation, il se passe aussi l'esprit, cet esprit qui émet
constamment toutes sortes de pensées, de jugements, d'appréciations
sur le monde et les gens, cet esprit qui s'agite constamment pour un
rien, cet esprit qui vit dans le souvenir et les remords du passé et
qui projette toutes sortes d'espoirs et de crainte par rapport au
futur. Il s'agit donc en méditation de calmer cet esprit, de le
laisser reposer en lui-même pour qu'il cesse d'être trouble et
obscur. L'image que l'on donne souvent est celle d'une eau boueuse
qu'on agit constamment : l'eau restera boueuse et trouble, on ne
pourra pas y voir à travers. Mais on laisse l'eau boueuse au repos,
la boue va finir lentement, lentement par se déposer au fond du
récipient et vous pourrez voir à travers. Il en va de même de
l'esprit. Quand on laisse l'esprit se calmer et s'apaiser de
lui-même, il finit par devenir beaucoup plus clair et lumineux.
Enfin,
il se passe en méditation tout ce que l'esprit perçoit. Il ne
s'agit pas ici de focaliser son attention sur tel ou tel objet, mais
observer comment ces objets de l'esprit se manifestent dans l'esprit.
S'observer soi-même en train d'observer. S'apercevoir aussi que tout
ce que nous percevons est fluctuant et transitoire. Voir
l'impermanence de tous les phénomènes et se détacher par rapport à
eux. Cultiver le lâcher-prise.
*****
Voilà
pour le principe de la méditation. Mais en pratique, comment est-ce
qu'on fait ? La méditation se pratique tant avec le corps
qu'avec l'esprit. L'un et l'autre ne sont pas duels. Pour le corps,
on recommande généralement d'être assis en posture de lotus (qui
est l'idéal, mais qui requiert une grande souplesse pour être
prolongée longtemps) ou bien la posture du demi-lotus (juste un pied
sur la cuisse opposée) ou la posture du tailleur. J'ai dit plus haut
que la posture du corps n'était pas absolument garante de la
méditation : en effet, on peut très bien méditer coucher sur
son lit, debout dans une rame de métro ou assis dans la salle
d'attente du médecin. Mais la posture du lotus ou du tailleur a ceci
d'intéressant est qu'il y a là un juste milieu entre la position
couchée où on n'a pas envie de bouger, mais où on risque de
s'endormir et la position debout où on ne risque pas de s'endormir,
mais la moindre stimulation ne donnera envie de bouger et de faire
autre chose que la méditation.
Il
faut au moins au début trouver un endroit calme, relativement retiré
pour ne pas être dérangé toutes les cinq minutes. C'est l'occasion
de déconnecter son téléphone ou son smartphone pour le temps de la
méditation. Une fois que l'on a plus d'expérience, on peut plus
facilement faire abstraction de l'agitation autour de soi ; mais
malgré tout, rien ne vaut d'être un peu retiré.
Les
mains sont posées l'une sur l'autre. Les pouces se touchent. On dit
souvent que les pouces ne doivent faire « ni vallée, ni
montagne ». Cette posture des mains est intéressante, car si
les pouces ont tendance à s'affaisser, à former une « vallée »,
c'est un signe de somnolence et d'engourdissement. Si, au contraire,
les pouces ont tendance à se soulever, à faire une « montagne »,
voire à s'écarter l'un de l'autre, c'est plutôt le signe d'une
grande agitation.
Le
dos doit idéalement le plus droit possible et ne pas se courber au
niveau des épaules, ni s'incliner de trop au niveau du bassin. Mais
le dos est une zone sensible où vont se loger beaucoup de tensions
émotionnelles. Donc il n'est pas toujours facile de corriger la
position du premier coup. Il faut un certain temps, parfois des mois
ou des années, pour que le dos se redresse de lui-même. Gardez
seulement à l'esprit qu'il vaut mieux avoir le dos bien droit et
soyez compréhensifs envers vous-mêmes. Ne créez pas de tension
excessive en voulant adopter une posture parfaite. Mais dès que vous
sentez que vous pouvez redresser votre dos sans créer de tensions,
faites-le.
Rentrez un peu le menton, de telle sorte que le sommet de la tête pousse
vers le ciel et que les genoux au sol pousse vers la terre. Voilà
les points essentiels de la posture du corps en méditation. Reste
les paupières. Les avis divergent pour savoir s'il faut garder les
yeux ouverts ou fermés ou mi-clos. Je n'ai pas de position arrêtée
sur la question : la plupart du temps, mes yeux sont mi-clos, le
regard portant un peu moins d'un mètre devant moi. Fermer les yeux
peut être utile pour chercher à se concentrer, mais la somnolence
sera d'autant plus facilitée. Garder les yeux grand ouverts présente
a contrario un risque de dispersion devant les stimuli
visuels, mais permet de rester plus éveillé.
Au
niveau de l'esprit, la méditation est d'abord un acte d'attention et
de présence. On prend simplement conscience de ce qu'il se passe
sans faire de commentaires ou de jugements sur ce qui arrive. C'est
souvent difficile parce que d'une part, on a tendance à très vite
tomber dans la distraction, d'autre part on a aussi tendance à poser
des jugements et des commentaires sur à peu près tout, à peu près
tout le temps ! Donc cette tendance du mental à tomber dans la
distraction et à produire un discours mental incessant nous éloigne
inexorablement de l'attention et de la présence. Tout le travail de
la méditation consiste justement à ramener le mental dans la
conscience de l'instant présent.
Pour
cela, on choisit un objet d'attention sur lequel l'attention va se
fixer. L'objet qui revient le plus souvent, c'est l'attention au
souffle. On observe le va-et-vient de la respiration qui rentre et
qui sort de nos poumons. Tant quand on est attentif et concentré sur
l'air qui rentre et qui sort, c'est très bien. Mais tôt au tard, la
distraction sous formes de pensées diverses et variées va détourner
notre attention. Ce n'est pas grave. Dès que l'on s'en rend compte,
on revient à l'attention au souffle. La distraction va à nouveau
l'emporter, mais dès qu'on s'en rend compte, on revient à
l'attention au souffle. Et ainsi de suite, encore et encore....
À
force de répéter cet exercice, l'attention acquiert de la vigueur,
et l'esprit se disperse moins, s'agite moins en tous sens. C'est un
processus lent et graduel, mais progressivement l'attention
s'aiguise. Au début, l'attention est comme une simple allumette
allumée dans les ténèbres, qu'un simple coup de vent suffit à
éteindre. Puis elle devient une torche, puis une lampe. Quand
l'attention atteint son apogée chez un Bouddha, cette attention est
comme la lumière du plein jour, un jour de ciel bleu où le soleil
brille au zénith.
Parallèlement,
l'esprit se calme, les pensées accaparent moins notre attention et
l'esprit les laisse plus facilement passer. Traditionnellement, on
compare l'esprit à un torrent impétueux. Quand on a apaisé notre
flux de conscience, notre esprit est comme un fleuve qui s'écoule
paisiblement dans son lit. Et quand on atteint les sommets de la
méditation, l'esprit est comme un lac où les pensées ne sont plus
que des rides minuscules sur l'eau. Il faut bien comprendre que le
but ultime de la méditation n'est pas de cultiver cette quiétude et
ce calme souverain. Ce calme et cette concentration sont des
avantages précieux tant au niveau existentiel qu'au niveau du
progrès dans la méditation. Mais ils sont surtout utiles pour
éveiller l'esprit à la sagesse et à la vision pénétrante qui
dissipe les illusions de l'existence.
Enfin,
le dernier point au niveau de l'esprit est le fait que nous sommes
susceptibles de faire des expériences de félicité ou de béatitude.
On peut se sentir bien, planer sur son petit nuage en méditation.
Parfois même on est pris par une joie et un bien-être beaucoup plus
intense et profond. C'est évidemment quelque chose de très positif.
Autant savourer ! Mais il n'est pas bon de s'y attacher parce
que cela reste des expériences impermanentes et qui ne sont pas le
but ultime de la méditation. En fait, un stade important dans les
hautes sphères de la méditation est le point où l'équanimité a
tellement imprégné notre être, notre corps et notre esprit et où
on s'est détaché des douleurs et des plaisirs, du bonheur et du
malheur. Ce point où on ne recherche même plus la béatitude a été
décrit par les Sages comme une béatitude beaucoup plus intense.
*****
Voilà
pour la pratique de la méditation au niveau de l'esprit. Il me reste
à souligner que l'attention au souffle n'est pas le seul objet de la
méditation. On peut très bien fixer son attention sur une autre
partie du corps. On peut même visualiser une sphère de lumière au
niveau du corps ou au niveau du front, ou bien des cercles de
couleur. La méditation peut avoir pour objet les Quatre Demeures de
Brahmā,
encore appelées quatre qualités infinies : amour infini, compassion
infinie, joie infinie et équanimité infinie. On peut méditer sur
l'impermanence des phénomènes et la mort, sur la vacuité des
phénomènes et leur manque de substance. Je ne mentionne pas non
plus les visualisations tantriques. Mais il me semblait important
d'exposer ici les bases de la méditation bouddhique pour que cela
puisse utile et bénéfique au plus grand nombres de personnes à
travers le monde.
Sarva
Mangalam ! Toutes les bénédictions.
Bouddha méditant, de l’école de Lopburi, Supanburi, XIIIe siècle |
Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir :
- En compagnie du souffle :
Commentaire au Soûtra de l'Attention au Va-et-vient de la Respiration
- Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée
- Méditation des Quatre Incommensurables
- Méditation des Quatre Incommensurables
Voir également :
- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard : voir le texte
Pourquoi les enseignements du Bouddha sont-ils si rarement cités par les lamas du bouddhisme tibétains ? Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soutra des Quatre Etablissements de l'Attention) ? Les soutras du Petit Véhicule ont-ils un intérêt dans la méditation sur la vacuité telle que l'expriment les soutras de la Perfection de Sagesse ? Comment intégrer les différents Véhicules du bouddhisme ?
- Slowly, slowly, slowly.... : voir le texte
Le progrès lent et graduel de la méditation. Comment arriver à la pleine conscience ?
- Méditer à la piscine
- Méditer à la piscine
Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention.
- Faut-il une bonne respiration pour méditer ?
On m'a récemment posé la question : je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ? Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.
- Qu'est-ce que la compassion?
On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.
- Joie
Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?
L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?
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