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lundi 25 septembre 2017

Choix et liberté




Choix et liberté




          Suite à un de mes articles récents (« Antispécisme et humanisme »), il y a eu une longue et intéressante discussion sur un cas moral sous forme d'expérience de pensée, que j'avais énoncé dans l'article en question : si, marchant le long d'un fleuve, vous voyez un homme et un chien, tous les deux en train de se noyer, et que vous plongez pour en sauver un des deux et le ramener à la berge, tandis que l'autre se noiera emporté par le courant, lequel allez-vous secourir ? Il y a toutes sortes d'arguments avancés de part et d'autre et de variantes de ce cas moral. Je ne reviendrai pas sur le cas moral en lui-même ; les personnes intéressées n'ont qu'à aller consulter la page de l'article. Je rappellerai juste que c'est une expérience de pensée, c'est-à-dire une situation qu'on ne risque pas de rencontrer dans la vie réelle. Il s'agit d'extraire de ce cas des principes philosophiques qui vont diriger des priorités dans l'action et les choix de société. Mais il ne faut pas non plus surinterpréter ce cas moral : si j'ai dit que je choisirai de sauver l'homme plutôt que le chien, il ne faut pas en tirer la conclusion que les chiens et les animaux ne méritent pas d'être aidés, et qu'on peut les exploiter sans vergogne. Au contraire, mon raisonnement cherchait à montrer que, même si on choisit l'homme plutôt que les animaux, on éprouver de la compassion envers les animaux et vouloir que ceux-ci ne soient pas chassés, maltraités, torturés ou abattus par la main de l'homme. L'humanisme n'est pas fondamentalement en contradiction avec l'antispécisme.


      Dans les commentaires de l'article, j'ai cité ce passage du « Plaidoyer pour les Animaux » de Matthieu Ricard que j'ai envie de citer à nouveau : « Ce livre a pour but de mettre en évidence les raisons et l'impératif moral d'étendre l'altruisme à tous les êtres sensibles, sans limitation d'ordre quantitatif ni qualitatif. Nul doute qu'il y a tant de souffrances parmi les êtres humains de par le monde que l'on pourrait passer une vie entière à n'en soulager qu'une partie infime. Toutefois, se préoccuper du sort de quelque 1,6 million d'autres espèces qui peuplent la planète n'est ni irréaliste, ni déplacé, car, la plupart du temps, il n'est pas nécessaire de choisir entre le bien-être des humains et celui des animaux. Nous vivons dans un monde essentiellement interdépendant, où le sort de chaque être, quel qu'il soit, est intimement lié à celui des autres. Il ne s'agit donc pas de ne s'occuper QUE des animaux, mais de s'occuper AUSSI des animaux ».






*****






         Enfin, une internaute, Tara, a aussi questionné le bien-fondé du choix dans la mesure où l'ego est une illusion qui se croit libre, mais en fait complètement déterminé par des causes extérieures. À quoi bon faire un choix, puisque nous sommes conditionnés à aller dans tel ou tel sens ?



        « Jamais je ne m'autoriserai à choisir. Quelle drôle d'idée ! Déjà dans une situation d'urgence, il ne faut même pas choisir entre penser et agir. C'est la situation et le terrain qui commande. Je ferai ce que je peux dans l'instant, pas ce que je dois faire dans le futur. Ce sont les circonstances qui dicterons mon attitude. Il n'y a pas de Moi au commande. C'est un acte réflexe guidé par l'environnement immédiat.


         (...) Lors de la décision de choisir entre qui doit vivre ou mourir : le chien, l'homme (et pourquoi pas soi-même). Pensez-vous que vous avez vraiment le choix ? Pensez-vous avoir l'entière liberté d'agir indépendant de votre nature ou de votre caractère ? J'en doute très fort... Chacun agira selon ses qualités propres, ses penchants et son tempérament. Le lâche agira en lâche, l'homme courageux en héros, le timide en timide, l'indécis sera indécis etc. Quoi d'autre ? Où est la liberté là-dedans ? Une fois de plus "la petite personne" s'attribue la paternité de "ses" actes. »


      (...) « Croire que la petite personne (le Moi) puisse influencer ou contrôler quoique ce soit par des actions faussement libres est une illusion. (Il est bon à ce propos de rappeler qu’une illusion n’est pas quelque chose qui n’existe pas mais plutôt quelque chose qui n’est pas ce qu’il semble être). Il n'y a pas de libre arbitre, et une volonté conditionnée ainsi qu'une action conditionnée ne peuvent être qualifiée de "libre" ».


     Et Tara termine en citant le sage indien Nisargadatta : « Quel contrôle avez-vous sur quoi que ce soit quand votre être même est en dehors de votre contrôle ? »


     Dans les commentaires, ne voulant être embarqué dans une discussion sur la liberté et le déterminisme qui s'éloignait trop de la discussion initiale, j'ai écrit : « Ce n'est pas une expérience concrète. C'est vraiment une expérience de pensée: s'interroger sur une situation imaginaire pour savoir à qui on donnerait la priorité. Éventuellement, trouver des variantes de la situation de base pour complexifier le problème de base. Intellectuellement, je peux répondre A, et confronté à la situation réelle, faire B. Ou alors ne pas s'autoriser à choisir, mais alors laisser mourir et le chien et l'homme ».


     Tara a alors répondu : « Tu dis : « Intellectuellement, je peux répondre A, et confronté à la situation réelle, faire B (…)» Je suis entièrement d'accord. Il y a effectivement un profond hiatus entre penser et agir. Intellectuellement tu peux répondre A, B, C, D ... ou Z. Car grâce à l'imagination les hypothèses sont nombreuses. En reliant des abstractions l'esprit humain peut créer n'importe quelle relation, même fantaisiste ou absurde. L'esprit est libre d'associer n'importe quel concept avec n'importe quoi. De créer des combinaisons infinies de relations de tout ordre, même d'un genre vers un autre et par là même violer le principe d'homogénéité [ Une formule logique ne doit contenir que des éléments appartenant à un même ordre ] et tout cela sans la moindre gêne. L'imagination étant libre.


    Mais dans la situation réelle et je le répète encore une fois : à l'instant t, nous ne pouvons pas êtres différents de ce que ce que nous sommes. C'est le petit "je" et le mental qui nous fait croire qu'il a la liberté d'agir, qu'il est l'auteur de ses actes et que le personnage qu'il a créé de toutes pièces contrôle le monde et détient une liberté de choix. Alors qu'il ne fait que RÉAGIR à des stimulus extérieurs et intérieurs selon le produit de l'inné et de l'acquis sur lesquelles il n'a pas eu et n'aura pas non plus aucun contrôle (...) ».


    Pour ma part, je ne suis pas certain qu'il ne reste aucune part de liberté aux êtres humains. En science, il est vrai pourtant que les déterministes ont marqué des points en matière de neurobiologie, notamment les expériences de Benjamin Libet ou plus récente de John-Dylan Haynes. Les scientifiques se sont rendus ainsi compte que nos décisions conscientes succédaient de quelques centièmes de seconde, voire de dixièmes de seconde l'activation des zones cérébrales correspondantes aux zones de la volonté.


      L'ordre de la séquence n'est pas :
  • je décide de faire quelque chose
  • le cerveau se met en branle et active les aires du cerveau nécessaires à l'action
  • des impulsions nerveuses sont envoyées dans le corps pour mouvoir les muscles afin d'accomplir l'action.


      Ce n'est pas non plus l'ordre de séquence :
  • je décide de faire quelque chose
  • le cerveau s'active en même temps que les aires du cerveau nécessaires à l'action
  • des impulsions nerveuses sont envoyées dans le corps pour mouvoir les muscles afin d'accomplir l'action.


      Non, au moment où on décide de faire quelque chose, le cerveau a déjà en fait décidé pour nous. La conscience n'est donc que le pantin du fonctionnement cérébral. Vous êtes assis sur une falaise devant la mer à regarder le coucher de soleil. Vous pensez que c'est vous qui déciderez quand vous vous lèverez pour rentrer chez vous. Mais, en fait, la décision a déjà eu lieu au niveau des neurones. « Le moi conscient n'est plus le maître dans la maison », disait Freud. C'est le cas de le dire.


     C'est un état de fait que la pensée indienne a exploré depuis longtemps. La philosophie indienne parle des vasanas, des imprégnations dans les profondeurs de la conscience, qui poussent la conscience à réagir dans une direction ou une autre, qui colorent l'humeur de l'individu de joie ou de tristesse, de peur ou d'espoir, d'énergie ou de somnolence. Combinés avec tous les événements du monde extérieurs, les imprégnations dans la conscience ne laissent pas beaucoup de places pour le libre-arbitre.


     Faut-il pour autant abandonner toute notion de la liberté ? Faut-il s'abandonner au destin, aux soubresauts du karma, se déprendre de toute envie de contrôler un tant soit peu son existence ? Faut-il suivre le conseil de Nisargadatta : abandonner le contrôle et le choix, puisque ce contrôle et ce choix dérivent du petit moi ? «Quel contrôle avez-vous sur quoi que ce soit quand votre être même est en dehors de votre contrôle ? ».


        En fait, je n'en suis pas si sûr. Je comparerais la situation existentielle de l'homme à un numéro de contorsionniste enchaîné par toutes sortes de chaînes, enfermé dans un cercueil en bois, lui-même suspendu au-dessus d'un feu. Nous devons sortit du cercueil avant que celui-ci ait complètement brûler. Nous devons nous éveiller et nous libérer des conditionnements de l'existence avant que la mort nous rattrape. Les contraintes sont très fortes, très oppressantes ; pour autant, nous avons une petite marge de manœuvre qui nous permet de nous contorsionner et nous libérer de ces chaînes. L'exercice de contorsionnisme suppose de nombreuses torsions, enroulements et déformations du corps pour parvenir à sortir de ses chaînes. Pareillement, l'exercice de la liberté suppose un effort constant de vigilance pour reconnaître les conditionnements ainsi qu'un grand nombre d'actes de vertu et de sagesse pour s'affranchir de ce qui prend contrôle de notre existence.


       Imaginons qu'un sombre individu vous insulte, vous provoque et vous menace en vue de déclencher une bagarre. Qu'allez-vous faire ? Quel sera votre choix ? Si, toute votre vie, vous avez cultivé la colère et le ressentiment, si vous avez toujours répondu à l'agressivité par l'agressivité, si, de plus, vous avez été éduqué à rendre coup pour coup et que vous avez appris ce matin que votre petite-amie vous trompe, il y a beaucoup à parier que vous allez répondre de manière violente quand bien même votre choix conscient était de ne pas être violent. Seul l'un ou l'autre de ces conditionnements va faire pencher la balance vers la réaction violente.


       Si, par contre, ces dernières années, vous avez cultivé la bienveillance et le calme mental, que vous êtes entourés de gens qui partagent des valeurs de non-violence et d'amour du prochain et que vous cherchez la compagnie de ces gens, la balance a beaucoup plus de chance de pencher vers une réaction apaisée à cette agression, ou en tous cas une réaction contrôlée. La liberté ne se situe donc pas à un instant t. Si on fait un arrêt sur une image sur cet instant t qui correspond au moment de prendre une décision face à une situation donnée, probablement qu'on ne voit pas vraiment la liberté à l’œuvre dans ce moment-là. La liberté est comme une légère déviation dans le sévère enchaînement des causes et des conditions. Mais justement faire un arrêt sur image sur telle ou telle situation donnée est une vue de l'esprit. Dans le réel, il n'y a que la fluidité de la conscience et des événements : on ne peut rien rien arrêter du temps. Exercer sa liberté dans ce monde fluide où, comme le disait Héraclite, « tout coule », cela revient à changer les choses en déviant légèrement nos réactions, nos pensées et nos visions des choses, mais de manière répétée tout au long de notre vie.


      La liberté est là : elle se crée de manière dynamique dans chaque petite interaction avec le monde. Elle s'immisce subrepticement dans l'instant présent et se tisse d'instant en instant. Bien sûr, plus on prend conscience de l'enchaînement du « moi », plus on aura le potentiel de s'affranchir du monde. Nous sommes comme un contorsionniste qui aurait oublié que des chaînes l'enserrent. Ce contorsionniste amnésique ne risque pas de se libérer ! La reconnaissance de ces liens sont vraiment un point de départ essentiel dans la voie de la libération.


     Comme lorsqu'on demanda au Bouddha 1 :


« Enchevêtrement à l'intérieur, enchevêtrement à l'extérieur,
Tout ce qui naît est pris dans cet enchevêtrement.
Voici, Gotama, la question que je pose :
Qui peut démêler cet enchevêtrement ? »


Et que le Bouddha répondit alors :


« L'homme intelligent et ferme dans sa discipline
Qui développe son esprit et sa sagesse
Comme un moine énergique et sage

Peut démêler cet enchevêtrement ».



     Donc pour revenir à la citation de Nisargadatta : «Quel contrôle avez-vous sur quoi que ce soit quand votre être même est en dehors de votre contrôle ? », je dirai qu'il y a là une part importante de vérité : vivre dans l'acceptation que tout n'est pas dans notre contrôle, laisser les choses êtres. Cela me rappelle les paroles de la chanson des Beatles : « There will be an answer. Let it be, let it be ! Whisper words of wisdom. Let it be ! » (Il y aura une réponse. Laisse cela être ! Laisse cela être ! Murmure des paroles de sagesse : laisse cela être !). Le moine Ajahn Brahm recommande de ne pas être un maniaque du contrôle (control freak). Pour lui, nous sommes comme le passager sur la banquette arrière d'une voiture qui harcèle en permanence le conducteur pour aller plus ou moins vite, pour aller à gauche ou à droite, pour faire aller les essuie-glaces ou pour mettre la radio à fond. Mais en fait, tout ce qu'on a à faire, c'est de se laisser être bien installé sur sa banquette et de regarder le paysage.


      Mais ce laisser-être, cet abandon au parcours sinueux du destin n'est pas pour autant tout la vérité. Il y aussi cette liberté à explorer, cette aspiration à dénouer tous les enchevêtrements de l'existence, intérieurs comme extérieurs. Pour cela, il faut une bonne dose de discipline, de pratique de la méditation et la quête de sagesse. Être persévérant dans la liberté.












1 Samyutta Nikâya, I, 13










Jacques Rouchon







À propos des expériences de Libet sur le libre-arbitre et le déterminisme, voir cette intéressante vidéo de la chaîne YouTube de vulgarisation scientifique « Sciences étonnantes » :






Voir aussi :


(Kerri Smith, Courrier International, 26 octobre 2010)


Voir également :




Let it be, des Beatles (1970)




Voir également :































- Le son du tonnerre




















Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.


Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici


Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.






14 commentaires:

  1. « Pénétrer la Voie n'est pas difficile, mais il ne faut ni amour, ni haine, ni choix, ni rejet.
    Il suffit qu'il n'y ait ni amour ni haine pour que la compréhension apparaisse, spontanément claire, comme la lumière du jour dans une caverne »
    (Sosan.)

    Salut Bai Wenshu,... toujours un plaisir de te lire.
    Je partage ta réflexion et je pense qui tu vas encore plus loin car tu mets une fois de plus le doigt sur une question vraiment essentielle .

    Car nous sommes ici face à un véritable paradoxe dans le bouddhisme.
    Le bouddhisme affirme à la fois le déterminisme de l’esprit avec la loi du karma et en même temps le pouvoir de transformer ce karma dans le présent.
    Si nous sommes déterminés à chaque moment par les empreintes de nos actions (karma antérieur) comment est-il possible de s’en affranchir pour transformer nos actes présents ?
    Car si la totalité de l'existence est conditionnée, relative et interdépendante, comment seule, la volonté, elle même conditionnée pourrait-elle être libre?
    Cette prétendue « liberté » est conditionnée et relative.
    Le libre arbitre lui aussi est donc conditionné et relatif.
    l’homme naïf s’attribue un libre arbitre parce qu’il croit que le résultat de SON action COÏNCIDE avec l’accomplissement de SA volonté. Mais c'est une illusion.
    Alors sommes nous vraiment libre ou pas ?

    Tu nous fais ici justement remarquer que le bouddhisme semble l'affirmer :
    qu’on l’est et qu’on ne l’est pas en même temps.
    - Qu’on l’est parce que la liberté existe
    - et qu’on ne l’est pas parce que l’on est déterminé par notre karma.
    Alors que faire ?

    Dans le bouddhisme il y a un proverbe je crois qui est :
    « si tu veux connaitre tes actes passés regardes dans le miroir de ta situation présente, si tu veux connaître ta situation future observes tes actes d’aujourd’hui »
    Ce qui voudrait dire que si notre présent est conditionné, déterminé par nos actions antérieures, nous "aurions" une certaine liberté pour agir dans le présent de manière à influencer notre futur.
    Influencer dans le sens de : agir sur quelque chose en suscitant des modifications d'ordre matériel ou physique.
    Comme si le soma du parent pouvait agir sur son germen.

    Ton éclairage m'amène à penser que l’humain serait à la fois déterminé par le karma tout en étant dans une certaine mesure libre.
    C'est là un point capital que tu soulèves ici.

    [ A ce propos en passant, ] on se heurte ici à un nouveau mystère passionnant qui est celui du pouvoir de l'esprit sur la matiere.
    Comme le disait B. Spinoza : « le corps ne peut déterminer l'esprit à penser, ni l'esprit déterminer le corps en mouvement ni au repos, ni a quelque chose d'autre (si ça existe). »
    Ou encore cet extrait de Sherrington (médecin-physiologiste britannique)
    « La science physique...nous confronte avec l'impasse suivante : L'esprit en soi ne peut pas jouer du piano. L'esprit en soi ne peut pas bouger un doigt d'une main. Alors nous sommes dans l'impasse. La lacune du «comment» de la prise de l'esprit sur la matiere. Une telle inconséquence nous ébranle. S'agit-il d'un malentendu ? »

    Oui, un véritable miracle qui nous accompagne à chacun instant de notre vie.
    Qui me fait penser à cette notion de "Clinamen" dans la physique épicurienne dont la définition est : écart, déviation déclinaison, variation que l'on fait subir à une contrainte. Encore un sujet vraiment passionnant !
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  2. ---- > le suite

    Donc l'interface naturelle serait l'esprit.
    En prenant conscience de ses habitudes, de ses automatismes, ainsi que de ses innombrables connections et interdépendances qu’on tisse avec notre environnement, nous pourrions essayer d’agir par ces leviers, sur ces interdépendances de façon à avoir une action bénéfique.

    Cela rejoint Nisargadatta, qui ne mâche pas ses mots, quand il dit :

    « Quant à cet éternel problème qui consiste à dire : « si les choses arrivent et que je n'y peux rien changer, alors, je ne fais plus rien !» La réponse est simple : essayer !
    Tant qu'il existe un individu, l'action est inévitable parce que c'est un tout.»

    « Nous sommes responsables de ce que nous pouvons changer.
    Mais que pouvons-nous changer dans notre vie, dans les événements qui se succèdent à chaque instant ? En réalité : Rien !

    Nous n'avons aucune emprise sur ce qui arrive, la seule chose que nous pouvons changer, c'est notre ATTITUDE.

    Mais l'essentiel est de «comprendre» QUI est concerné par ce que l'on appelle le "libre-arbitre".

    II ne peut pas y avoir deux soi, l'un cherchant l'autre.

    Comme le Soi est toujours et en permanence "réalisé", c'est plutôt lorsque les actions cessent que nous sommes dans un "état" propice à la perception intuitive de ce que nous sommes en réalité.

    Mais, là encore les mots sont insuffisants pour comprendre, parce que dans ce que l'on appelle la "non-dualité", les actions n'existent pas puisqu'il n'y a pas d'acteur. »

    Merci à toi Bai Wenshu !

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  3. Cela me rappelle un ami philosophe (le même qui m'avait confronté au choix de sophie pour justifier son carnisme, cf. commentaires sous le post dont il est question au début de cet article) qui, alors que je réfutais presque totalement la notion de libre-arbitre (je lui disais que les êtres étaient menés par le bout du nez par leurs émotions, leurs habitudes...), m'avait dit que la question du libre-arbitre était déjà tranchée, relativement peut-être, en philosophie, me parlant d'une expérience d'un individu qui, confront́é à la torture, n'avait jamais abdiqué son libre-arbitre, et avait jusqu'au bout refusé de parler (je ne connais pas exactement les détails de cette expérience en situation réelle), prouvant ainsi une certaine absence de déterminisme. Je serai aujourd'hui assez en accord avec l'idée de nous sommes sans doute conditionnés, ou plutôt "incités à", mais non déterminés, il nous reste une part de liberté de choix d'action en fonction de ce que nous avons cultivé dans notre vie, il reste en somme une part maigre mais non négligeable de liberté de choix. Certes, il y a ce que disent les neurosciences mais les neurosciences expliquent-elles vraiment plutôt qu'elles ne décrivent ? Que prouve le fait que le cerveau effectue des choix malgré soi avant que la conscience n'ait même commencé à s'interroger ? Seulement qu'il existe des habitudes que chacun a cultivé, a intégré, des automatismes, et non que ces automatismes ne soient pas malléables, on le sait bien justement en neurosciences que le cerveau est largement plastique, tout cela peut se changer et heureusement car, sinon, nous serions condamné reproduire sempiternellement les mêmes procès, je reprendrais donc ainsi pour conclure : "conditionné mais non déterminé".

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  4. Sans éveil point de liberté.

    Il suffit de s'observer pour voir à quel point nous sommes conditionné mais dès l'instant où nous lâchons prise sur ce que nous croyons être, alors la liberté pointe le bout de son nez. Nous sommes alors comme le musicien qui improvise.

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  5. « Conditionnement et déterminisme »

    Nous avons tous l’impression que beaucoup de nos choix et actes sont libres, ou réalisés « au hasard ».

    Ce qui paraît contradictoire, car nos pensées et nos actions sont rigidement déterminées (ou conditionnées).
    Le conditionnement est au déterminisme ce que le développement musculaire est à la gravité ; sans fondement déterministe pas de conditionnement possible.
    Et la "plasticité du cerveau" n'y pourrait même pas voir le jour.

    Ce qui nous dépasse ici complètement, c'est l'immense complexité des interactions en présence dans le plus petit quantum d'action.
    D'où encore une fois cette tenace et persistante illusion de liberté et de pouvoir contrôler beaucoup de choses.

    Pourquoi pas ? Mais ce qui est important de comprendre :
    c’est que les contraintes imposées par les lois naturelles et la physique à un « organisme déterministe » sont assez lâches et très ductiles
    et lui apportent en fait une énorme fantaisie.

    Comme le souligne ici David Ruelle
    - mathématicien physicien, spécialiste des systèmes dynamiques et de la mécanique statistique :

    « Ces lois naturelles nous offrent un comportement en pratique imprévisible et il n’y a donc pas ici de contradiction manifeste entre déterminisme et libre arbitre.

    En fait, le comportement stéréotypé de beaucoup d’êtres humains suggère qu’ils devraient faire un plus grand usage du droit à la fantaisie que leur laisse la Nature. »

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    1. S'ils devraient faire... c'est bien qu'ils sont supposés être libre.

      Bien sûr que c'est l'extrême complexité des relations d'interdépendances des causes à effets qui rend la liberté possible.

      Dans un monde clos, point de liberté mais dans un monde d'une infini complexité, tout est possible, même le hasard et la contingence.

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    2. Sb met le doigt dessus à mon sens, "tout est possible, hasard et contingence". Tara, tu sembles ne pas douter de l'absence totale de libre-arbitre, mais, sauf ton respect, je crois que tu confonds liberté de choix et contrôle. Je maintiens, chacun est sous influence, soumis à des réseaux de tensions, ne contrôle certes pas, mais demeure non absolument déterminé, sinon rien ne serait possible or l'individu comme l'univers d'ailleurs (sans qu'il y ait pour autant qqn aux commandes de ce dernier) peut être créatif et foisonnant. A mon sens, c'est grâce à la vacuité que l'esprit est créatif, qu'il n'y a justement pas de déterminisme absolu, seulement des conditions.

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  6. @ Degun -
    Oui et Non. ( je pensais avoir apporté ci-dessus un peu plus de nuances.)

    Alors oui - le libre arbitre est un mirage et une illusion
    pour l'ego, ou la « petite personne »
    - Car quelque chose est libre et indépendant seulement s'il ne dépend de rien d'autre.
    - Or rien dans notre expérience ne peut être identifié qui satisfasse ce critère d'indépendance absolue.
    - Rien ne peut être saisi en dehors de ses conditions d'émergence, de formation et de déclin.
    - Tout est « dénué » d'existence ultime ou indépendante parce que tout se produit d'une manière codépendante.

    Et Non - comme l'avait aussi je pense suggéré Bai Wenshu :
    - Car le fait de reconnaître les contraintes qui pèsent sur soi implique également la possibilité d’intégrer ces contraintes.
    - De les faire siennes, de les assimiler, afin de ne plus simplement les subir passivement.
    - La liberté se situe ici dans la reconnaissance et dans l’assimilation de ce qui nous détermine.

    Ou si tu préfères, comme le disent les tibétains :

    « En se rendant à l'évidence que tous les phénomènes sont des émergences dépendantes, on évite l'écueil du nihilisme et on prend conscience de l'émergence codépendante des causes et des effets.

    En s'inclinant devant le fait que tous les phénomènes sont dépourvus d'existence intrinsèques, on évite l'écueil de l'absolutisme et on prend conscience de l'inanité de tous les phénomènes. »

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    1. En effet, ton propos était plus nuancé, j'ai lu trop vite, mea culpa, j'ai relu plusieurs fois depuis. J'y reviendrai si j'ai le temps. Je dois dire que j'ai tendance à être un peu décontenancé par la manière dont tu t'exprimes, par énoncés plutôt brefs, parfois paradoxaux ou elliptiques, c'est pas un reproche, c'est juste que je ne suis pas habitué.

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  7. @ Sb
    « ... dès l'instant où nous lâchons prise sur ce que nous croyons être, alors la liberté pointe le bout de son nez. Nous sommes alors comme le musicien qui improvise. »

    J'aime beaucoup l'image du musicien qui improvise.

    Cela me fait penser à l' « organisation circulaire » ou « autopoïèse » du grec autos (soi) et poiein (produire).
    d' Umberto Maturana et Francisco Varela .

    La définition canonique est la suivante (Varela 1989) :

    « Un système autopoiétique est organisé comme un réseau de processus de production de composants qui
    - (a) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits, et qui
    - (b) constituent le système en tant qu’unité concrète dans l’espace où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau.

    Il s’ensuit qu’une machine autopoiétique engendre et spécifie continuellement sa propre organisation.

    Elle accomplit ce processus incessant de remplacement de ses composants, parce qu’elle est continuellement soumise à des perturbations externes, et constamment forcée de compenser ces perturbations.
    Ainsi, une machine autopoiétique est un système … à relations stables dont l’invariant fondamental est sa propre organisation (le réseau de relations qui la définit). »

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  8. Héhé je pensais également à Francisco Varela.

    Tu as bien raison de penser que l'égo, a bien tort de se croire seul à bord car il est lui même une émergence d'une pluralité de force comme l'avait pressenti Nietzsche.

    Si nous sommes absolument déterminés alors il n'y a pas de responsabilité et par conséquent la justice serait une aberration. j'en profite pour glisser que je préfère une justice restaurative à une justice qui serait seulement punitive.

    On peut donc penser que si l'ego (manas) peut à chaque instant nous faire basculer du mauvais côté, un autre jeu de force, que l'on aura pris soin de cultiver peut également nous faire basculer du bon et juste (au sens de justesse) côté... comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, en équilibre, nous sommes.

    En tous cas c'est comme ça que je pense le concept d'énaction à partir de F. Varela.

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  9. Merci infiniment pour vos commentaires, Tara, Degun et Sb, que je lis avec plaisir et intérêt. Je vais essayer d'y répondre le plus vite possible. Mais pour l'instant, certaines déterminations sociales me conditionnent à ne pas avoir le temps de répondre. Mais dès que je trouverai quelques mirages de libertés, je prendrai le temps d'écrire quelques choses.... :-)

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  10. Salut Degun !
    Oui désolé et je te comprends, mais il n'est pas toujours très aisé de partager sur certains sujets sans user d'allégories et paraboles.

    Ici, la principale incommodité ou confusion peut venir des :
    - fréquentes translations de l'absolu au relatif.
    - des permanents glissements de sens, d’une compréhension spatiale à une compréhension intellectuelle.
    - des nombreuses relations circulaires et récursives.
    Notions pas toujours évidentes à appréhender.

    Nous sommes aussi face à ce que l'on nomme ici
    un « concept de partie expressive »
    où la partie contient le tout qui la contient.
    (La goutte d’eau est dans l’océan, et l’océan est dans la goutte d’eau).

    Donc pour résumer et si tu préfères, la principale difficulté réside dans la question :
    comment Comprendre (ou faire comprendre) ce dans quoi l’on est compris...

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  11. Bonjour, j'apporte une première partie de ma réponse ici :
    "La question du libre-arbitre"
    http://lerefletdelalune.blogspot.be/2017/10/la-question-du-libre-arbitre-1ere-partie.html

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