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mardi 20 mars 2018

Pourquoi les véganes sont dans le vrai




Pourquoi les véganes sont dans le vrai


(1ère partie)




     Ce 18 mars 2018 paraissait dans le journal « Libération » une tribune très agressive à l'encontre des véganes, intitulée « Pourquoi les véganes ont tout faux », rédigée par Paul Ariés, Jocelyne Porcher et Frédéric Denhez. Je voudrais ici apporter une réponse argumentée à ce texte. Les auteurs se disent « convaincus de la nécessité d’en finir au plus vite avec les conditions imposées par les systèmes industriels et d’aller vers une alimentation relocalisée, préservant la biodiversité et le paysan, moins carnée, aussi ». Les véganes qui veulent en finir avec l'élevage et l'exploitation animale les insupportent car ceux-ci s'opposent à la viande, alors qu'eux ne s'opposent qu'à la « mauvaise viande » et aux « mauvais fruits ».


      Passons en revue ces arguments à l'encontre des véganes :



- 1°) Les véganes ne sauveront pas les animaux

    Pour Ariès, Porcher et Denhez, les animaux domestiques ne sont plus des animaux naturels depuis longtemps. Ils ne pourront pas retourner à la Nature. Je suis d'accord, mais ce n'est pas le propos des véganes. Ce qui doit cesser, c'est le massacre des animaux et c'est l'exploitation honteuse des animaux. Imaginons un monde végane : il n'y a rien de contradictoire que, dans ce monde, les animaux de la ferme continue à côtoyer les humains. Ce qui serait interdit, c'est de les tuer et de les faire souffrir sans raison.


      Les auteurs osent écrire : « Les animaux demandent à vivre avec nous, et nous avec eux, ils demandent à vivre une existence intéressante, intelligente et digne ». Mais l'élevage justement rend impossible cette vie intéressante, intelligente et digne, puisqu'il réduit intrinsèquement le cochon au saucisson qu'il produira une fois abattu, la vache à une productrice de lait et le veau à une entrecôte. Le véganisme est l'attitude qui est le mieux à même de respecter les animaux et de favoriser le développement maximal de leur potentiel de vie. Les éthologues se sont rendus compte que le cochon est ainsi un animal très intelligent et doué d'une vie affective forte. Ils adorent jouer au ballon avec les humains. Mais l'élevage a lourdement contribué à donner une image fausse du cochon en en faisant un symbole de saleté et de veulerie, pour mieux le rabaisser et le « démentaliser » : lui ôter sa conscience et sa sensibilité, tout cela afin de réduire à néant tout scrupule pour exploiter et pour tuer sans pitié ces bêtes. Donc oui, le véganisme permet de sauver des vies animales et de rehausser de manière importante la dignité de ces animaux.





- 2°) Le véganisme ne sauvera personne de la famine

      Rappelons d'abord l'argument des véganes concernant la famine. Les animaux d'élevage consomment des végétaux toute leur vie pour se développer jusqu'à l'âge adulte. On estime que 70% des terres cultivables sur la Terre sont dévolues à la production de nourriture à l'intention des animaux, soit sous la forme de pâturage, soit sous la forme de champs qui vont produire la nourriture pour les animaux. Plus de 85% de la production mondiale de soja est destinée au bétail, alors que cette plante riche en protéine permettrait de nourrir efficacement l'humanité. Cette consommation de végétaux rentre en concurrence avec la production des végétaux pour l'alimentation humaine. On estime qu'il faut 7 kg de végétaux pour produire 1 kg de bœuf et 6kg de végétaux pour produire 1 kg de porc ou de poulet. Je ne rentre pas dans les détails. On trouvera plus d'informations utiles sur le sujet dans les articles que j'ai référencé en bas de ce texte. On peut dire néanmoins que passer à une alimentation complètement végétale comme le préconisent les véganes soulagerait d'une pression importante sur l'alimentation mondiale de l'humanité.


     Aries, Denhez et Porcher contestent implicitement cet argument en niant qu'il y ait un problème de famine dans le monde. « Or, depuis la fin du XVIIIe siècle, dans nos pays européens, et depuis les années 60 dans l’ensemble du monde, il n’existe plus de famines liées à un manque de ressources. Quel progrès ! Les famines qui adviennent sont des armes politiques. Quand des gens meurent de faim quelque part, c’est parce que d’autres l’ont décidé. On ne voit pas en quoi le véganisme changerait quoi que ce soit à cette réalité ».


        1ère remarque : on passe sous silence le problème aigu de la malnutrition. Il y a d'un côté la famine où on meurt de faim, et de l'autre, la malnutrition où on ne meure pas, mais on ne mange pas suffisamment pour préserver une bonne santé. Sans compter le problème du coût des aliments qui fluctuent énormément du fait de la spéculation en bourse et qui affecte la qualité d'énormément de monde sur notre planète.


      2ème remarque : le problème de la famine est évacué en affirmant que là où il y a famine, c'est qu'il y a intention délibérée d'affamer les gens. Il y a dans cette façon de penser une forme évidente de conspirationnisme : il y aurait un plan sournoisement mené et maléfique pour pousser certaines populations à la famine. En réalité, il peut y avoir des famines dans des zones de guerre ou du fait de certaines idéologies délirantes : je pense à la famine en Ukraine sous Staline ou au « grand bond en avant » de Mao en Chine qui a conduit à la pire famine de l'Histoire avec 45 millions de morts. Mais la famine et la malnutrition viennent aussi de la gestion maladroite ou chaotique du peu de ressources alimentaires qui restent pour les humains. Passer à une alimentation végétale soulagerait une bonne partie de cette pression sur la production alimentaire.


       Je pense que la production alimentaire à l'échelle du globe est une problème complexe qu'on ne peut pas réduire à un quelconque conspirationnisme qui rejetterait la faute sur un ou plusieurs intervenants sur la scène mondiale. Et c'est aussi un problème complexe qui ne peut pas être résolu par une seule méthode. Donc je serai prudent avant de dire que le passage de toute l'humanité au véganisme résoudrait totalement la problématique de la famine et de la malnutrition dans le monde. Il y a d'autres dimensions au problème comme, par exemple, la production inquiétante des bio-carburants ou agrocarburants qui concurrence dangereusement la production alimentaire destinée aux êtres humains. Par contre, je suis convaincu que ce passage vers une alimentation végane aurait indéniablement un impact positif sur le problème de la famine et de la malnutrition. Ce passage vers une alimentation végane sauverait certainement des vies et cela en améliorait considérablement d'autres.






3°) Le véganisme ne sauvera pas l'agriculture.


      Mais qui a dit que le véganisme allait sauver l'agriculture ? Voilà un argument étrange qui est d'autant plus facile à combattre qu'aucun végane ne l'a vraiment défendu. Mais cela permet à Ariès, Denhez et Porcher de défendre le fumier comme un facteur important dans l'agronomie. En oubliant complaisamment de dire que les déjections animales, le lisier de porc notamment, sont devenues dans nos sociétés un problème écologique considérable. Cela contamine les nappes phréatiques, les cours d'eau et les mers avec le problème de l'eutrophisation et des marées vertes qui détruisent la biodiversité. Le problème est particulièrement criant en Bretagne qui compte un grand nombre d'élevages industriels de porc.


         Ariès, Denhez et Porcher affirment dogmatiquement que l'agriculture sans élevage épuisent forcément les sols. « Ce sont des rendements ridicules pour un travail de forçat car le compost de légumes est bien moins efficace pour faire pousser des légumes que le fumier animal ». Encore une fois : aucune mention des problèmes environnementaux colossaux dus à l'excès d'épandage de lisier. Mais aussi : aucune envie de trouver des solutions alternatives qui sont pourtant bien présentes. Je pense notamment au fumier que l'on produirait à partir des excréments humains. Aujourd'hui, tout est envoyé à l'égout, mais pourquoi ne pas changer de modèle et utiliser ces déjections humaines comme engrais naturels pour l'agriculture ? Par ailleurs, il ne m'apparaît pas contradictoire de garder un petit nombre d'animaux de ferme comme « producteur de fumier » du moment qu'on ne tue pas ces bêtes, qu'on ne les maltraite pas et qu'on ne les exploite pas honteusement.


      Maintenant, je ne suis pas agronome, et il ne m'appartient pas de dire comment se passer de fumier. Certains y pensent déjà concrètement en défendant une agriculture végane sans recours aux produits de l'élevage. Il est évident aussi que les agronomes d'aujourd'hui n'ont pas beaucoup réfléchi à cette question tant la présence de l'élevage leur semble évidente dans le paysage actuel du monde agricole. Mais qui sait si les agronomes de demain ne se pencheront pas sérieusement sur la question dans un avenir que j'espère proche et trouveront des solutions adéquates à ces nouveaux défis pour une agriculture désolidarisée de l'élevage ?





- 4°) Le véganisme ne sauvera pas notre santé.


     Paul Ariès, Frédéric Denhez et Jocelyne Porcher commencent par essayer de minimiser les études embarrassantes qui montrent une corrélation forte entre consommation importante de viande et cancers. C'est parce que ces études ont été menées en Chine et aux États-Unis, disent-ils, sans réfuter les études pour autant. Et si les végétariens et les véganes ont une espérance de vie plus élevée, c'est parce qu'ils font du sport, ont un mode de vie zen et surveillent mieux leur alimentation, disent-ils. On navigue en plein milieux des clichés les plus éculés sur les végétariens et les véganes : des ascètes et des fanatiques d'un mode de vie sain. Mais cela revient à nier complètement la diversité des végétariens et des véganes : s'abstenir de viande ne veut pas qu'on s'abstient nécessairement de boire de l'alcool, de fumer du tabac, de faire la fête jusqu'à pas d'heure et de rester dans son canapé en s'enfilant les épisodes de sa série préférée. Certains véganes et végétariens surveillent leur santé, d'autres pas du tout.


     Ensuite, Ariès, Denhez et Porcher sombrent dans la malveillance dogmatique quand ils calomnient les véganes et leur régime alimentaire : « En comparaison, manger végan, l’absolu des régimes «sans», c’est se condamner à ingurgiter beaucoup de produits transformés, c’est-à-dire des assemblages de molécules pour mimer ce qu’on a supprimé. Sans omettre d’ajouter la précieuse vitamine B12 à son alimentation. Car sans elle, comme le montrent de nombreux témoignages d’ex-végans, ce régime ultra-sans détruit irrémédiablement la santé, à commencer par celle de l’esprit ».


       1ère remarque : d'abord, la formule « l'absolu des régimes "sans" » ne signifie rien du tout. Il y a toutes sortes de régimes « sans », comme le régime sans gluten, le régime sans aliments cuits (crudivorisme), des régimes sans telle ou telle graisse, des régimes sans ceci ou cela. Le véganisme est un régime sans produits animaux, voilà tout. Ce n'est certainement pas le plus extrême des régimes, ni le plus difficile à tenir, ni le plus restrictif.


      2ème remarque : non, les véganes ne sont pas condamnés à « ingurgiter beaucoup de produits transformés, c’est-à-dire des assemblages de molécules pour mimer ce qu’on a supprimé ». On peut trouver ces protéines dans des lentilles, des pois-chiches et d'autres légumineuses pour en donner qu'un exemple. Rien n'interdit à un végane de manger de manière très naturelle et très saine. Maintenant, nous vivons dans une société où surabonde dans les supermarchés les produits alimentaires transformés, pas seulement pour les véganes, mais pour tout le monde. La tentation peut donc être grande pour un végane de manger un burger végane tout comme un omnivore aura peut-être la tentation de manger chez McDonald ou Burger King un burger carné. Il ne m'appartient de juger ici ces comportements alimentaires. Je veux juste dire que ce n'est pas une nécessité et que les adeptes de la simplicité et de la frugalité peuvent très bien s'en passer, même s'ils sont véganes.


      3ème remarque : la fameuse vitamine B12 qui cristallise tant et tant d'enjeux idéologiques... Rappelons simplement que nous vivons dans une société où il est courant de se complémenter en toutes sortes de choses (vitamines diverses et variées, iode, oligo-éléments, calcium, etc, etc...). Donc je ne vois où est le problème à se complémenter en vitamine B12. D'autant que les mangeurs de viande doivent savoir que le bétail des élevages industriels est lui-même complémenté en vitamine B12. Donc à ce jeu-là, la nourriture carnée est aussi « artificielle » que la nourriture végane. Je me contenterai de rappeler ici l'intérêt pour les véganes de se complémenter en vitamine B12 et de dire que ce n'est pas la peine d'en faire toute une histoire...


     4ème remarque : le véganisme détruirait irrémédiablement la santé, selon Ariès, Denhez et Porcher, mais pas la consommation de viande qui engendre pourtant des cancers... Face à ce genre de calomnie pure, rappelons simplement la position de l'Académie américaine de Nutrition et de Diététique sur le sujet : « La position de l'Académie de Nutrition et de Diététique est que les régimes végétariens appropriés, y compris le véganisme, sont d'un point de vue nutritionnel adéquats et peut procurer des bénéfices pour la santé dans le traitement de certaines maladies. Ces régimes sont appropriés à tous les stades de la vie, ce qui inclut la grossesse, l'allaitement, la prime enfance, l'enfance, l'adolescence, l'âge adulte, ainsi que pour les athlètes » (décembre 2016) ». Il me semble que c'est très clair : pas besoin de long discours pour démontrer l'absurdité de l'anti-véganisme des auteurs de la tribune.



Frédéric Leblanc, le 20 mars 2018.



Voir la suite de cet article.







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Élevage et sous-alimentation :



Élevage et gaspillage des aliments :


Sur le véganisme et la nutrition :


La position de l'ADA (Académie américaine de Nutrition et Diététique) traduite en français :




















Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.


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