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samedi 1 novembre 2014

La notion de sagesse - 1ère partie : Introduction

La notion de sagesse 

chez les philosophes grecs.







Introduction.


Avant l’apparition de Socrate et de ses grands disciples, le terme « sophia » a surtout une connotation de « savoir-faire », le  sage, le « sophos », est celui qui est habile dans tel ou tel art. Ainsi sophia s’applique dans le métier du charpentier au savoir-faire dans la construction, mais elle touche également dans l’art de la lyre le savoir-faire musical. Néanmoins, dans un monde imprégné du religieux, ces savoir-faire ne sont jamais étrangers au concours et à l’inspiration des dieux. Ainsi Homère dans l’Iliade attribue le talent du charpentier à Athéna « qui s’y connaît en toute sophia » et la virtuosité du joueur de lyre à Hermès[1]. La révélation des secrets de fabrication ainsi que la compétence dans des domaines que l’on tiendrait aujourd’hui pour complètement profanes relève de la bienveillance et de la grâce divine. L’inspiration poétique ou lyrique tient aussi de cette sophia qui accorde à l’aède inspiré une puissance visionnaire qui transforme les cœurs et les conduit à une réalité cosmique supérieure en leur faisant voir « ce qui est, ce qui fut et ce qui sera ». On voit là en filigrane un thème important de la philosophie grecque : élever son âme vers les cieux divins non plus par des élans lyriques, mais par des exercices de contemplation.




La sophia est aussi l’habileté dans les relations avec autrui. C’est également l’art de donner de bonnes lois et une bonne constitution à une Cité, ainsi les sept Sages d’Athènes qui ont bâti la démocratie athénienne. Cette acceptation de la sagesse se retrouve encore de nos jours dans ce qu’on appelle un « conseil des sages » pour statuer sur des questions de bioéthique par exemple. On pense par là à une assemblée de spécialistes en biologie, en manipulation génétique, en recherche pharmaceutique auxquels vient éventuellement s’ajouter l’un ou l’autre philosophe ou juriste, dont on apprécie les compétences mais aussi une certaine qualité de sérieux et de respectabilité, qui s’est dessinée au cours de la carrière dudit « sage ». Cette conception de la sophia doit se comprendre dans le projet d’autonomie grecque et le passage du mythos au logos que les physiciens comme Thalès où le sage est expert dans les domaines de la connaissance de la nature. A sa suite, Parménide, Héraclite ou Empédocle enseignent une sophia en tant que connaissance qui s’oppose aux opinions de la foule ignorante de ce qui est réellement.

Cette attitude de ramener la sophia dans la sphère profane culmine chez les sophistes pour qui la sophia est un savoir-faire dans la vie politique avec tout ce que cela comporte de rhétorique et de culture générale. Ce n’est même plus une connaissance qui s’oppose à la doxa, c’est l’habilité même à naviguer dans la doxa. Comme disait l’épitaphe de Thrasymaque : « Mon métier, c’est la sophia[2]. » Dans un monde où le profane prend ses distances du sacré, Socrate va réagir à l’encontre de cette laïcisation de la sagesse en lui donnant un sens plus restreint et en lui refusant ce statut de savoir-faire (les dieux se retirent du savoir-faire du charpentier et de la réussite sociale ou politique) et en la redressant dans un sens plus éthique et plus sacré, et aussi plus mystérieux, plus étranger au destin des simples mortels. Cette conception n’est nulle part mieux exprimée que dans Le Banquet de Platon.




Voir la suite ici : "Le Banquet" de Platon



[1] Pierre Hadot, « Qu’est-ce que la philosophie antique ? », (La notion de sophia), pp. 39-45, Gallimard, Paris, 1995.
[2] Pierre Hadot, ibid., p. 45.



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Textes et essais sur la philosophie gréco-romaine ici.

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