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mercredi 31 juillet 2019

Sur les murs du Bois de l'Ouest




Sur les murs du Bois de l'Ouest


Un regard d'horizon pour les cols,
un regard de ciel pour les cimes.
Haut et bas, proche et lointain
ne se ressemblent pas.
J'ignore le vrai visage du mont Lou.
Je sais seulement que j'y suis.

Su Dongpo (蘇東坡, 1037 - 1101)












Pics du Mont Lou (Lushan) dans la province du Jiangxi en Chine.










Une montagne peut prendre toutes sortes d'apparence selon le point de vue avec lequel on la regarde. Qu'on soit au pied de la montagne, dans un col ou au sommet de cette montagne, on ne voit pas du tout la même chose, et on s'étonne souvent de ce que la montagne est autre que ce qu'on avait imaginé dans notre première impression. Alors que est le vrai visage d'une montagne ? Comment pourrait-on dire qu'on connaît la montagne ?


C'est là une question difficile. Notre simple façon d'aborder la montagne change notre point de vue sur celle-ci et nous la fait voir autrement. Le randonneur en quête de beaux sentiers et de panoramas majestueux ne regarde pas la montagne de la même manière que le cycliste en quête d'épreuves et de cols mythiques à gravir. Et le géologue jettera un autre regard à la montagne sous forme de roches ou d'activité sismique. L'agriculteur qui cultive son champ de lavande verra encore la montagne sous un autre angle, et ainsi de suite.


Cela évoque un passage célèbre du philosophe Gottfried Wilhem Leibniz : « Toute substance est comme un monde entier et commun miroir de Dieu ou bien de tout l’univers, qu’elle exprime chacune à sa façon, à peu près comme une même ville est diversement représentée selon les différentes situations de celui qui la regarde. Ainsi l’univers est en quelque façon multiplié autant de fois qu’il y a de substances, et la gloire de Dieu est redoublée de même par autant de représentations différentes de son ouvrage » (Discours de Métaphysique, §9).


Une ville comme la montagne est diversement représentée selon le point de vue d'où on la regarde. La connaissance vient dès lors peut-être de la multiplication des regards : un guide de montagne peut sérieusement affirmer connaître la montagne parce qu'il a multiplié ses impressions sur la montagne : il a vu chaque pente, chaque sentier, chaque repli, chaque pic sous une multitude d'angles. Et donc il peut affirmer connaître la montagne. Pour autant, cette connaissance n'est pas absolue : il y aura toujours des points de vue que le guide de montagne n'a pu percevoir – les profondeurs du sol par exemple -, et donc la connaissance reste partielle et relative, quand bien même elle est sérieuse et le fruit d'une expérience de plusieurs années.


Mais peut-être que même si la connaissance absolue nous échappe, peut-être comme nous le dit Su Dongpo n'est-ce pas là l'essentiel. L'essentiel est simplement d'être sur la montagne. Expérimenter le col quand on le traverse, expérimenter le sommet quand on s'y tient et qu'on admire le paysage à ses pieds, expérimenter les lacets du sentier un à un, goûter l'eau de la source ou se reposer sur la pente verdoyante. Être et vivre pleinement chacune des impressions de la montagne.










Mont Lushan, province du Jiangxi 






Concernant Su Dongpo :

- Les sons de la vallée, la forme des montagnes



Concernant Leibniz, voir : 

- Les replis de l'âme









Pic des Cinq Anciens (Lushan, Jiangxi)










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2 commentaires:

  1. Cela me fait penser au Ryoan-ji (Temple du repos du dragon)
    à Kyōto, et son fameux jardin de pierres.

    Il paraît que les pierres y sont disposées de telle sorte qu’il est impossible de voir les 15 pierres à la fois,
    d’où que se trouve l’observateur et quelque soit le point de vue.

    Quoi que l’on fasse, il y aura toujours une limite à la connaissance horizontale du mental, une "incomplétude".
    Pour « voir » la 15ème pierre, la totalité, l'unité, la complétude, il faudra ... un élan vertical.

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  2. Merci ! Moi qui cherchait des infos pour un voyage, j'ai découvert Gottfried Wilhem Leibniz grâce à vous.

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