Mais
une âme ne peut lire en elle-même que ce qui y est représenté
distinctement, elle ne saurait développer tout d'un coup ses replis,
car ils vont à l'infini.
Leibniz,
Monadologie, 61.
Maurits Cornelis Escher |
Dans
sa Monadologie de 1714, Gottfried Wilhem Leibniz fournit une
intéressante image de l'âme. La vaste portée de l'âme court
jusque l'infini, nous dit Leibniz ; mais si notre esprit ne
conçoit qu'une pensée à la fois, c'est parce que l'âme est aussi
repliée sur elle-même à l'infini. Comme une grande carte que l'on
fait tenir sur la plus petite surface d'un livre en la repliant
plusieurs fois, l'âme infinie tient dans notre conscience finie du
quotidien en la repliant sur elle-même un nombre infini de soi.
C'est pourquoi nous pouvons faire des étonnantes associations d'idée
entre des choses qui n'ont apparemment aucun rapport entre elles :
c'est qu'on passe dans une autre pliure de l'esprit, cachée jusque
là et qui s'offre à nous dans cet instant présent avant de
découvrir l'instant prochain une autre pliure inattendue.
Je
ne sais pas si cette description de l'âme ou de la conscience est
juste ou vraie ; mais je trouve cette image stimulante et
parlante. Toutes ces pliures, tous ces plis et replis avec leurs
recoins obscurs, avec leurs forces cachées derrière un voile
oblique, tout cela annonce les travaux sur l'inconscient de la fin du
XIXème siècle et du XXème siècle, et la
psychanalyse freudienne. L'analyse bouddhique de la conscience
postule l'existence d'une conscience cachée derrière les instants
de consciences sensorielles de la vie de tous les jours : une
conscience base-de-tout pour traduire l'expression tibétaine (kunshi
namshé) ou conscience-entrepôt pour traduire littéralement le
sanskrit (ālayavijñāna). Cet entrepôt de conscience reste dans
l'obscurité ; et des formations mentales y résident à l'état
de graine et de semence et qui germeront quand les conditions du
karma seront réunies. A ce moment-là, ces formations mentales
émergeront dans le champ de six consciences sensorielles (ce qu'on
appelle habituellement la « conscience »!). Mais
peut-être qu'il ne faut pas considérer cette conscience-entrepôt
comme un espace euclidien, mais pour reprendre l'hypothèse de
Leibniz comme un espace de courbures, de plis et de replis qui
courent à l'infini dans le champ apparemment fini de la conscience
ordinaire. Mais alors, ces pliures dans la nature de l'esprit
seraient la marque de la réalité ontologique de la conscience ?
En fait, pas nécessairement. Le Soûtra de la Pointe du Grand
Véhicule décrit l'esprit qui se libère dans le Nirvâna à
« un nœud dans l'espace et dénoué par l'espace ». Étrange situation existentielle qui est la nôtre !
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