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vendredi 28 février 2020

Rien de trop






La formule grecque ΜΗΔΕΝ ΑΓΑΝ (Méden Agan) figurait sur le fronton de l'oracle de Delphes. Elle signifie littéralement « rien de trop ». C'était une formule très célèbre durant l'Antiquité, et c'était pour les Grecs de l'époque une parole de sagesse, comme l'autre formule figurant sur le fronton de l'oracle de Delphes : « Connais-toi toi-même ». « Rien de trop » est pour moi aussi un adage important qui compte dans ma vie et que j'essaye de mettre en pratique dans la vie de tous les jours. J'avais d'ailleurs consacré un article à cette antique sentence, mais pas plus tard que hier, on m'a reproché d'être trop compliqué dans mes explications : « Quelqu'un peut expliquer plus simplement, SVP ?... »



C'est que je vais tenter d'éclairer maintenant. Tout d'abord, « rien de trop » est une invitation à éviter les excès en tout genre : boire du vin peut être un plaisir, mais boire trop de vin va vous causer de nombreux problèmes. Vous risquez de commettre des actes indésirables sous l'effet de l'ivresse, vous risquez d'être malade et de vomir toutes vos tripes, et le lendemain, vous aurez la gueule de bois. La sagesse invite donc à consommer la vin avec modération. En toutes choses, l'excès peut être un problème, et la sagesse grecque veut que vous évitiez tous les excès : excès d'agressivité, excès de paresse, excès de gourmandise, excès de zèle, excès de dépense, excès d'avarice, excès de vitesse, excès de prises de risque, excès de chauvinisme, excès de crédulité, excès de confiance, excès d'orgueil, excès de jalousie... La liste est trop longue pour mentionner tous les excès dont les humains peuvent faire preuve... Le tout est de garder le sens de la mesure, ne pas tomber dans ce que les Grecs appellent l'hybris, la démesure, la folie qui emportent loin de ce qui est raisonnable.


C'est le premier sens de la formule Méden Agan « Rien de trop » : l'invitation à changer son comportement afin d'être moins dans l'exagération et l'excès , l'invitation à rester dans le juste milieu, dans le sens de la mesure. Mais les philosophes grecs de l'école sceptique comprenait aussi cette formule dans un sens plus épistémologique. L'épistémologie est la discipline philosophique qui porte sur la connaissance : que puis-je savoir ? Comment est-ce que je peux savoir certaines choses ? Comment est-ce que je peux établir une science ainsi que des connaissances scientifiques ? Comment est-ce que je peux certain des choses dont je suis convaincu ?


Les sceptiques s'opposent aux dogmatiques. Les dogmatiques ont des certitudes sur le monde et les grandes questions de l'existence. Les sceptiques sont dans le doute quant à ces certitudes. Il y a bien des choses sur lesquelles on peut s'entendre : par exemple, la pièce dans laquelle on se trouve, nous la voyons, nous la touchons, nous la sentons. Les sceptiques ne nient pas que nous sommes dans cette pièce. Mais au-delà de cette apparence, on ne peut pas fonder de certitudes absolues : peut-être sommes-nous en train de rêver que nous sommes dans cette pièce et que la pièce n'est pas réelle, mais seulement le produit de mon imagination onirique... Les sceptiques s'en tiennent aux apparences de ce monde, mais demeurent dans le « rien de trop » concernant sur l’Être de ce monde, la nature véritable de ce monde.


Pareillement, les sceptiques admettent les arbres, les vallées et les collines, les rivières et les fleuves, mais ils sont dans le « rien de trop » par rapport aux connaissances scientifiques que l'on peut avoir sur le monde. Ils « suspendent leur jugement ». En tous cas, il leur faut des confirmations beaucoup plus fortes que de simples opinions ou des croyances sans fondement rationnel. Dans le domaine de la métaphysique aussi, les sceptiques s'en tiennent dans le « rien de trop » : toutes les convictions sur Dieu, l'âme ou l'univers à laquelle on adhère sans preuves solides sont de trop. Il faudrait être libre de ces dogmes, ne pas être enfermé dans des croyances aveugles. La croyance est, pour les sceptiques, comme un excès dans l'ordre de la raison. Une exagération de notre esprit à toujours vouloir avoir raison au mépris des incertitudes et des doutes qui sont toujours présents et qui résistent à nos convictions les plus fortes.












Colonnes doriques du Temple d’Apollon à Delphes













Voir l'article d'août 2014 : Meden Agan.


Voir également concernant le scepticisme et le sens de la mesure :


Rien de certain (Pline l'Ancien & Montaigne)


- Les deux extrémités de la connaissance (Blaise Pascal)



















Trois colonnes restantes du temple nommé "Tholos" à Delphes








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