En
Belgique, le ministère de l'enseignement vient de lancer une
nouvelle réforme intitulée un peu pompeusement : « Pacte
d'excellence ». Une mesure-phare de cette réforme est
l'extension du tronc commun jusqu'à la troisième secondaire.
Quelques mots d'explication : le système scolaire est divisé
en trois types d'enseignement, général, technique et professionnel. L'enseignement général dispense une formation intellectuelle en vue
de préparer aux études supérieures. Le technique tente de
conjuguer les cours généraux (math, français, langues modernes,
sciences....) avec des cours portant sur une branche
socio-professionnelle plus précise : par exemple,
électro-mécanique, bureautique, tourisme, agents d'éducation,
etc... Le professionnel correspond à des élèves qui désirent
rentrer dans le monde professionnel dès la sortie de l'enseignement
secondaire : par exemple, menuiserie, soudure, mécanique, aide
familiale, vente, horticulture, etc...
Il
faut savoir que ce principe est un peu perverti par le fait que la
filière professionnelle est malheureusement trop souvent une
filière-poubelle. Pas toujours, mais trop souvent. Quand un élève
échoue dans l'enseignement général, la tendance est très souvent
de l'aiguiller vers les filières techniques. Et si ça ne va
vraiment pas, on l'aiguille vers le professionnel. La conséquence
est qu'un certain nombre d'étudiants se retrouvent dans ces filières
alors qu'ils n'ont pas vraiment la vocation pour la mécanique ou la
soudure, et donc deviennent des poids morts et des élèves
excessivement difficiles à gérer en classe et en plein décrochage
scolaire.
Le
problème n'est pas neuf, mais la décision pour combattre cette
tendance à reléguer dans le professionnel les élèves qui échouent
dans l'enseignement général a été de prolonger le tronc commun
jusqu'à la 3ème année. (Dans le système belge, on
compte les années du secondaire de manière croissante de la 1ère
à la 6ème, appelée « rhétorique »). Ce
tronc commun oblige tous les élèves à suivre l'enseignement durant
les 3 premières années. Jusqu'à présent, le tronc commun ne
touchait que les deux premières années. Les élèves pouvaient
entrer dans le professionnel dès la 3ème année. Il y a
cinq ou six ans, les étudiants avaient accès au professionnel dès
la 2ème année. Et jusque dans les années nonante, il
n'y avait pas du tout de tronc commun. Cette idée de tronc commun a
trouvé son chemin et s'est imposée en accord et avec l'aide d'une
ribambelle de psycho-pédagogues qui n'ont aucune expérience de ce
qu'est concrètement une classe, ce qui leur permet de théoriser à
leur aise dans le vide.
Je
ne suis pas du tout d'accord avec cette évolution. L'allongement du
tronc commun ne m'apparaît vraiment pas être une bonne idée. Les
défenseurs de ce projet invoquent une idée d'égalité. Tout le
monde devrait avoir accès au meilleur enseignement possible, et
personne ne devrait être mis sur le bas-côté de la route. Voilà
une idée noble : qui peut sérieusement s'opposer à des idées
d'égalité ? Mais malheureusement, il y a une grosse faiblesse
dans ce raisonnement. Les psycho-pédagogues et les sociologues de
l'éducation en charge de la réforme perdent de vue un point
important : dans leur conception des choses, la filière la plus
enviable, celle que tout le monde devrait envier, c'est la filière
générale. Tout simplement parce qu'eux-mêmes sont des
universitaires, et que la voie royale vers l'université et les
grandes écoles, c'est l'enseignement général. Mais ils ne voient
pas que tout le monde n'a pas nécessairement envie de devenir
médecin, avocat, ingénieur ou chercheur à l'université....
Beaucoup
de gamins sont beaucoup plus à l'aise dans les métiers manuels. Par
ailleurs, quelle société pourrait-elle sérieusement se passe de
menuisiers, de plombiers, de maçons, de jardiniers, de soudeurs,
d'aides familiales ? Le problème réel est que la bourgeoisie
universitaire méprise ces petits métiers et donc dévalorise
l'enseignement professionnel qui y mène. Ce qu'il faudrait, c'est
revaloriser ces métiers manuels et les formations professionnelles,
pas empêcher les élèves d'y accéder. Cela n'a rien de déshonorant
d'exercer ces professions, que du contraire !
Pour
beaucoup d'élèves du professionnel, les cours généraux comme le
français, le latin, l'anglais ou le néerlandais, les sciences et
les mathématiques sont un véritable calvaire. Pourquoi les forcer à
étudier des matières qui en font pas sens pour eux et dans lesquels
ils sont faibles ? Devoir les étudier leur donne l'impression
qu'ils sont bêtes, incapables et inutiles à la société. Pourquoi
prolonger ce calvaire en étendant le tronc commun à trois ans ?
On
est plein de bonnes intentions à l'égard ; mais rappelons-nous
le proverbe qui dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions... On
voudrait mettre de l'égalité dans l'école ; mais cela
conduira toute une série d'élèves à récolter des mauvaises notes
et des échecs scolaires dans une formation commune dans laquelle ils
ne sentent pas à l'aise. Par ailleurs, cette volonté d'égalité
renforcera les inégalités entre les écoles. Il y a d'un côté les
écoles où il n'y a que de l'enseignement général : celles-là
ne seront pas impactées par cette nouvelle mesure. De l'autre côté,
il y a les écoles où on retrouve les trois filières, général,
technique et professionnel. Dans ces écoles, les écoles
comprendront les trois types d'élèves : les élèves qui
relèvent du général seront dans la même classe que des élèves
qui relèvent de l'enseignement professionnel. C'est peut-être super
pour la mixité sociale, mais par expérience de prof, je peux dire
que ce n'est pas super pour maintenir un bon niveau dans la classe.
Les élèves « professionnels » risquent de tirer vers le
bas les autres bas. Notez bien qu'il n'est pas impossible que se
produise le contraire : que les bons élèves du général tire
vers le haut les élèves plus faibles. Mais franchement, ce n'est
vraiment pas ce qui arrive la plupart du temps ! Donc
concrètement, cette réforme va encore creuser l'écart déjà grand
entre les écoles élitistes et les écoles qui comptent plusieurs
filières en leur mur. Voilà comment à partir d'une idéologie de
l'égalité, on crée de l'inégalité !
Je
propose donc qu'on abandonne cette mesure purement et simplement.
Tous les changements ne sont pas bons à prendre. L'idéal serait
même de réduire le tronc commun à un an, voire même le supprimer.
Comment dès lors résoudre le problème des élèves qui éjectés
du système dans la filière professionnel ? Personnellement, je
ne prétends pas avoir de solutions toutes faites. Mais une piste
serait de provoquer un changement de mentalité dans la population :
qu'on redore le blason des métiers tels que maçon, plombier,
mécaniciens, aides familiales, tous ces métiers dont on a besoin
dans notre société et dont on ne voit pas la vraie valeur. Par
ailleurs, il serait utile de penser à des structures qui permettent
à un élève de revenir dans l'enseignement général, moyennant
certaines conditions afin de d'éviter cette dimension de la
« relégation » de la filière professionnelle.
Frédéric
Leblanc (enseignant), le 6 décembre 2016.
Entièrement d'accord avec toi. Le débat dure depuis des années en France et on veut aussi allonger le tronc commun avec toujours plus de valorisation de l'intellectuel et une dépréciation du manuel, comme si on avait pas besoin de tout le monde, chacun selon ses préférences (du moins, les filières techno et pro ne devraient assurément pas être des filières "poubelle", du moins par défaut), je n'ai pas la solution non plus mais elle n'est sûrement pas dans l'allongement du tronc commun dans la mesure où nombre d'élèves se font chier à mort dans ce qu'on appelle le "général". Enfin plus ça va, plus je suis sceptique sur cette institution qu'est l'école, telle qu'elle est organisée en tous cas, même si j'ai le plus grand respect et la plus grande estime pour le boulot des collègues, c'est l'institution qui m'emmerde. Au juste, je viens de revoir un film que j'affectionne, Diabolo Menthe, tu connais ? J'adore ce film, il résonne grandement en moi.
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