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mercredi 21 août 2019

Avec ou sans les formes





Je viens de lire un article sur le site bouddhiste américain Lion's roar intitulé : « Why forms are fundamental for buddhist practice ? » (Pourquoi les formes sont fondamentales pour la pratique bouddhiste?). L'auteur, Koun Franz, un maître zen américain y affirme le caractère essentiel des formes et des rituels dans la pratique de la Voie. Il explique que les moines bouddhistes ne se posent plus la question du pourquoi les formes et des rituels, mais ont signé pour une vie dans lesquels ils vont accomplir ces formes et ces rituels sans se poser de question. Après un certain temps, ces moines ne se posent même plus la question du comment accomplir ces formes et ces rituels tellement cela leur devient naturel.


Les laïcs selon Koun Franz sont beaucoup plus sceptiques quant à l'observance de ces règles issues d'une autre culture et d'un autre temps. J'avoue faire partie de ces sceptiques pour qui les formes et les rituels sont secondaires, juste une partie du decorum. Je comprends qu'une communauté aient besoin de certaines formes particulières pour se reconnaître en tant que communauté. Donc je ne suis pas choqué par les formes que peuvent prendre le bouddhisme zen ou le bouddhisme tibétain. Par contre, je constate que ces formes diffèrent sensiblement d'un pays à l'autre, d'une branche à l'autre du bouddhisme. Je pense en conséquence qu'il ne faut pas trop s'y attacher à ces formes, d'autant plus que nous ne sommes ni Japonais, ni Tibétains. Il y a quelque chose d'artificiel à copier des formes culturelles qui ne sont pas les nôtres : je me souviens d'un centre tibétain où toutes les femmes (belges) étaient habillées à la mode tibétaine pour le nouvel an tibétain. Pour moi, c'était carnaval. En quoi le fait de s'habiller à la mode tibétaine allait nous rapprocher du Dharma ?


Koun Franz, si je comprends bien sa pensée, pense qu'on ne peut pas rencontrer le bouddhisme sans faire face en même temps à sa forme traditionnelle. Et si on refuse ces formes, on entre alors en relation avec une absence de forme et nous pratiquons alors une forme de Dharma que nos maîtres ne pourraient pas reconnaître, encore moins les maîtres de nos maîtres. Cette absence de forme est elle-même une forme. Si nous choisissons de méditer sans autel, sans decorum d'aucune sorte, ce vide de forme est une forme. Si nous méditons au centre de la pièce ou face à un mur, ce choix est déjà le choix d'une forme.


Personnellement, je n'y vois pas un problème. Le Dharma est avant tout un ensemble d'idées et de concepts pour nous diriger nos vies d'une certaine manière pour faire plus de bien et moins de mal. La pratique de la méditation vise à transformer notre esprit, et cette transformation de l'esprit peut s'opérer au centre de la pièce, en-dessous d'un arbre ou face à un mur, avec ou sans coussin sous vos fesses à votre meilleure convenance. Que le Dharma prenne une forme qui soit méconnaissable aux maîtres de nos maîtres, que ce Dharma ne soit pas conforme à ce que veut la tradition « millénaire » de tel ou tel pays, je n'y vois pas de problème tant que le Dharma y est authentique dans ses idées et son esprit. Si les maîtres de nos maîtres voient un Dharma d'apparence très différent à celui qu'ils ont pratiqué dans leur monastère, mais qui est réellement motivé par l'esprit d’Éveil, alors ils reconnaîtront ce Dharma en tant que Dharma, et ne serons pas prisonniers de ces formes culturelles. Le monde moderne change à grande vitesse. Il est possible que les formes du bouddhisme changent elles aussi pour répondre à de nouveaux questionnements et de nouveaux défis.


Enfin Koun Franz argumente sur le fait que nous ne savons pas exactement ce qui est le meilleur pour nous sur le long terme et ce qui marchera le mieux dans cent ans. La question sous-jacente est alors : pourquoi ne pas faire confiance à la proposition d'une tradition plutôt que de tout réinventer au petit bonheur la chance ? Koun Franz affirme que la tension que nous éprouvons à propos de la forme va conditionner le bouddhisme pour des générations.


Pour ma part, je comprends parfaitement que telle ou telle communauté bouddhique s'attache à une esthétique qui lui donne un ordre reconnaissable du monde profane. Par exemple, l'esthétique épurée des monastères zen ne traduit pas seulement une volonté d'adopter un style japonais particulier, mais traduit aussi un art de vivre qui a son intérêt. Cela ne me pose pas de problème sauf si précisément on s'attache de trop à ces formes et que le Dharma ne peut pas se passer sans ces formes.


Ce qui est intéressant dans l'esthétique, c'est l'incarnation physique des principes du Dharma. A contrario, un bouddhisme qui ne reposeraient que sur des idées comme les Quatre Nobles Vérités, les quatre établissements de l'attention, les quatre sceaux du Dharma, les dix préceptes, les quatre demeures de Brahmā, etc., serait tellement désincarné qu'il ne serait accessible qu'à des intellectuels et des personnes férues d'abstraction. C'est peut-être la crainte de Koun Franz. En tant que phénomène social, le bouddhisme a peut-être besoin de la médiation des formes pour être compréhensible et intelligible pour le plus grand nombre.


Néanmoins, il me semble personnellement que des idées comme les quatre établissements de l'attention ou les quatre demeures de Brahmā sont plus importantes à la pratique de la méditation que le fait de revêtir l'habit noir des moines zen, que le fait de rentrer de telle ou telle manière dans le dojo ou de pratiquer face au mur ou face au centre de la pièce. Le Bouddha nous a donné des idées pour adopter une meilleure conduite éthique, pour pratiquer la méditation et développer sa sagesse. À nous de mettre en pratique ces idées pour qu'elles améliorent notre vie. À nous de donner à ces idées une forme particulière.




Frédéric Leblanc,
le 21 août 2019.




















Lire également : 


- Simplement s'asseoir (sur la question des rites et rituels qui entourent la méditation)














  

























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6 commentaires:

  1. A lire ton article c'est drôle de voir à quel point tu ne comprends pas l'importance que revêt la forme dans le zen.

    Personne ne dit qu'il faut s'attacher à une forme particulière... on dit seulement qu'on s'éveille à partir de ou à travers la forme. Il y a une efficacité lié à la forme. DU coup elle est essentielle même si elle est plus ou moins arbitraire.

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  2. Dogen dit que le Bouddha mangeait avec les doigts et que nous devrions faire de même mais qu'au Japon on utilise des baguettes par conséquent dans un temple zen au Japon on mange avec des baguettes et pas avec les doigts. En France dans les temples zen on mange avec une cuillère pas avec des baguettes.

    De plus le bouddhisme au Japon a souvent été persécuté comme étant une religion exogène. Par conséquent faire du zen japonais une religion spécifiquement japonaise me semble aussi absurde que de faire du christianisme une religion moyen-orientale.

    "En quoi le fait de s'habiller à la mode tibétaine allait nous rapprocher du Dharma ?"
    Ce que tu ne vois pas c'est que le zen est radicalement différent du bouddhisme tibétain.

    Dans le zen il ne s'agit pas de se mettre à la mode japonaise mais de faire de l'habillage une pratique à travers la couture du rakusu et du kesa.

    Dans Périls et promesses de la vie Spirituelle, Jack Kornfield dit qu'il y a dans le bouddhisme deux voies, l'une qu'il appelle la voie de la transcendance (où on recherche des états de conscience modifiée - le zen rinzaï, est une exemple qu"il donne -) et la voie de l'immanence. Je cite:

    "l'école de l'immanence" enseigne que l'expérience de la réalité, de l'éveil ou du divin n'est authentique que dans la mesure où elle illumine chaque instant.

    Dans un livre que je te conseille qui s'appelle à la table zen de Seigaku (un moine zen japonais qui maintenant vit en Allemagne) explique bien comment l'éveil ou le divin naît de la pratique quotidienne et du soin ritualisé apporté aussi bien aux ustensiles, aux légumes qu'aux autres êtres humains et non-humains. une citation?
    "J'avais l'impression que les endroits que j'essuyais tous les jours devenaient une partie de moi comme si mon sang y circulait (...) Au premier abord on ne perçoit pas toujours le charme miraculeux de ces méthodes quotidiennes façonnées par des siècles de pratique zen.

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  3. "Le Dharma est avant tout un ensemble d'idées et de concepts pour nous diriger nos vies d'une certaine manière pour faire plus de bien et moins de mal."

    Non non non. Dans le zen c'est l'inverse. c'est diriger nos vies d'une certaines manière qui permet de faire naitre ca à quoi correspondent les idées et les concepts.

    Méditer sur la compassion ou la bienveillance n'est pas une pratique zen en revanche si vous parvenez à appliquer les règles et rituels zen par exemple à l'occasion des repas alors "vous deviendrez capable de donner et de recevoir avec bienveillance dans toutes les situations de la vie" (p118 de A la table zen).

    "Si les maîtres de nos maîtres voient un Dharma d'apparence très différent à celui qu'ils ont pratiqué dans leur monastère, mais qui est réellement motivé par l'esprit d’Éveil, alors ils reconnaîtront ce Dharma en tant que Dharma, et ne serons pas prisonniers de ces formes culturelles."

    Comment savoir si les changements sont motivés par l'esprit d'éveil?

    Cet été j'ai lu une biographie de Saint Francois d'Assise... A chaque fois qu'il avait le dos tourné ses frêres tentaient d'introduire des changements dans les règles, souvent avec de bonnes intentions... Du genre il s'en va et il revient ses frêres ont construit une maison. Saint François l'a aussitôt détruite. Son truc c'est la pauvreté si tu introduis le moindre changement, son truc est complétement dévoyé. De même que les Franciscains ne sont pas des Dominicain, le zen a ses spécificités... si tu introduis trop de changements c'est peut-être bien mais ce n'est plus le zen.

    Par exemple les américains ont supprimé le Kyosaku... et pratique dans des centres avec tout le confort moderne. Pour moi ce n'est plus du zen.
    De même au japon il y a eu des périodes où les temples se sont enrichis au détriment du peuple et où il était préférable d'être moine plutôt que paysan et ce sont des périodes considérés de dégénérescence et de dévoiement de ce que devrait être le bouddhisme.

    "Néanmoins, il me semble personnellement que des idées comme les quatre établissements de l'attention ou les quatre demeures de Brahmā sont plus importantes à la pratique de la méditation que le fait de revêtir l'habit noir des moines zen, que le fait de rentrer de telle ou telle manière dans le dojo ou de pratiquer face au mur ou face au centre de la pièce."

    Dans le zen on pense le contraire. Saint François d'Assise se contrefichait de la théologie et de l'étude des textes. Seul lui importait de vivre à l'imitation du Christ.

    Pour ma part j'ignore totalement ce que sont les quatre demeures de Brahmā et je m'en fiche assez royalement. En revanche quand on commence à percevoir la puissance et la beauté des rituels zen, c'est un autre monde qui apparait mais un monde étonnamment concret et sensoriel.

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  4. et pour conclure.

    Rien n'est pour moi plus artificiel que de méditer sur la compassion car c'est une technique au même titre que l'auto-hypnose ou la méthode coué. En même temps je ne doute pas de l'efficacité mais ce n'est vraiment pas une manière de faire qui me convient. C'est trop volontariste pour moi.

    L'important c'est de trouver la voie qui nous convienne et dans faire l'expérience sans chercher à tricher avec les règles.

    Trop souvent j'ai le sentiment d'entendre des enfants à qui tu expliques le jeu d'échec et qui te demande de changer les règles. Si tu le fais tu t'aperçois vite que le jeu est beaucoup moins drôle si tu changes les règles.

    En revanche il est difficile de savoir si c'est mieux avant le changement d'une règle parce que la règle telle qu'elle était a fait ses preuves d'efficacité ou bien parce que changer un habitude acquise est souvent douloureux.

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  5. Merci Sb pour tes réflexions. J'y ai répondu dans l'article suivant :

    https://lerefletdelalune.blogspot.com/2019/08/reponse-dans-les-formes-1ere-partie.html

    Bonne soirée à toi.

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  6. Merci pour le partage

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