Hier
après-midi, j'ai été frappé par un tweet d'une jeune femme francophone d'origine thaïlandaise qui affirme assez agressivement
le caractère religieux du bouddhisme.
Deux choses me dérangent dans
ce tweet, sur lesquels je voudrais m'étendre :
- 1°) Oui, il y a bien débat sur la question de savoir si le bouddhisme est d'abord une philosophie ou une religion.
- 2°)Il y a des relents racistes dans ce tweet, tant dans l'idée que la compréhension du bouddhisme serait réservée aux Asiatiques que dans celle que la philosophie serait une discipline purement occidentale.
Je
vais commencer par le racisme inhérent à ce message. Il y a l'idée
que seuls les Asiatiques qui sont nés dans des pays bouddhistes
peuvent savoir ce qu'est réellement le bouddhisme. Les Occidentaux,
alias « les Blancs », ne pourraient pas connaître
véritablement cette spiritualité. Au nom de quel principe ? Le
Bouddha a-t-il formellement exclu les « Blancs » ou les
personnes originaires d'Europe de la compréhension intime de son
message de sagesse ? Non, évidemment. Le bouddhisme qui est né
en Inde s'est propagé dans des cultures très différentes de la
culture indienne, notamment en Chine et au Japon. Rappelons que
l'ardha-magadhi, la langue du Bouddha, était une langue
indo-européenne, donc beaucoup plus proche du français ou de
l'anglais que du chinois, du japonais ou du thaïlandais. Il n'y a
donc aucune raison de présupposer que les Occidentaux ne puissent
pas accéder à la compréhension du Dharma. Les bouddhistes en Asie
ne sont d'ailleurs pas toujours un modèle de ce que devraient être
des pratiquants du Dharma, je pense notamment aux imprécations
haineuses et nationalistes du moine Wirathu en Birmanie ainsi qu'à
des scandales d'abus sexuels, d'abus financiers et d'abus de pouvoirs
accomplis par des moines en Thaïlande et dans d'autres pays
asiatiques. Ils sont dès lors mal placés pour nous faire des leçons
sur ce qu'est le Dharma à nous, les Occidentaux.
Cela
va d'ailleurs dans les deux sens : un chrétien chinois qui
étudie sérieusement la spiritualité chrétienne pourra obtenir une
bien meilleure compréhension du christianisme qu'un Occidental
baignant depuis toujours dans une culture judéo-chrétienne, mais
étant largement ignorant des Évangiles et de l'histoire de la
pensée chrétienne. Il y a deux jours, des élèves me demandaient
ce qu'était l'Ascension et la Pentecôte, deux jours fériés dans
notre calendrier ; mais les gens ne savent pas à quoi cela fait
référence, si ce n'est que cela a à voir avec la religion. En
Asie, le bouddhisme est une tradition et une arrière-fond culturel,
mais les Asiatiques ne connaissent pas forcément très bien cette
spiritualité, tout comme nous, Occidentaux, pouvons être ignorants
de la vie de Jésus, des apôtres, des saints, de Thomas d'Aquin, de
Guillaume d'Ockham et de maître Eckhart, quand bien même nous
vivons dans des villes où la moitié des écoles, des rues et des
quartiers s'appellent Saint-Machin ou Notre-Dame de tel endroit... Je
me souviens d'une professeure de chinois, elle-même Chinoise venant
de Chine, qui était stupéfaite que je lui parle du philosophe
confucéen Mencius et du Chan chinois. Elle n'avait pas la moindre
connaissance tant de la pensée confucéenne que du bouddhisme Chan,
qui sont pourtant à la base de la culture chinoise et qui ont
influencé la langue chinoise elle-même.
Par
ailleurs, il y a aussi du racisme à penser que la philosophie
n'existe qu'en Occident et que, donc, seuls les Occidentaux
pourraient s'adonner à la philosophie. Cette thèse raciste était
toujours très prégnante dans les facultés de philosophie quand j'y
étais étudiant. Souvent, on avançait les prises de position de
Hegel ou du nazi Heidegger pour proclamer pompeusement que seuls la
pensée occidentale pouvait être qualifiée de « philosophie »,
ignorant au passage la diversité des conceptions de ce qu'est la
philosophie au sein même de la philosophie occidentale. On pouvait
lire des professeurs de philosophie pour qui le bouddhisme, le
confucianisme ou le taoïsme était tout au plus des « sagesses »,
entendez : des superstitions. Quand j'étais étudiant en
philosophie, je me disais avec dépit que la faculté de philosophie
était le dernier bastion inexpugnable du fascisme et du
colonialisme. Les choses ont un peu changé, notamment avec les
écrits de Roger Pol-Droit, « Le culte du néant »
et « L'oubli de l'Inde » où il critique à juste
titre la négation du bouddhisme en tant que philosophie.
Certes,
le mot « philosophie » est un mot hérité de la langue
grecque ; mais les Asiatiques philosophaient en Inde, en Chine,
au Tibet, au Japon et en Thaïlande bien avant que ce mot n'arrive
dans leur pays ! Et je pense que le Bouddha, Buddhaghosa,
Nāgārjuna, Shāntideva, Asanga,
Vasubandhu, Dharmakirti ou Dōgen
étaient de grands philosophes. Il n'y a donc pas de raison de penser
que la philosophie serait juste une histoire entre Occidentaux et
avec laquelle les Asiatiques bouddhistes n'auraient rien à voir. Le
Logos
est encore une fois un mot grec ; mais tous les hommes sur Terre
sont doués de Raison, quelque soit la couleur de leur peau ou le
continent sur lequel ils sont nés.
*****
Maintenant
venons-en à la question centrale : le bouddhisme est-il une
religion ou une philosophie ? La réponse est simple : les
deux. Quand la demoiselle d'origine thaïlandaise dit que le
bouddhisme est pour elle une religion parce qu'en Thaïlande, les
gens vivent le bouddhisme comme une religion, elle a tout à fait
raison. Pour de nombreux Asiatiques, mais aussi pour nombre
d'Occidentaux, le bouddhisme est un culte du Bouddha. Les gens
vénèrent des statues du Bouddha, brûlent de l'encens, font des
prières dans les temples, tournent autour des stoupas, font des
prosternations, etc... On trouve différentes versions de ce culte du
Bouddha selon qu'on se reconnaisse dans le Theravāda,
dans l'amidisme où on récite le mantra pour renaître dans la Terre
Pure d'Amithaba (Amida en japonais), dans les écoles issues de
Nichiren où on récite un mantra en l'honneur du Soûtra du Lotus,
ou encore du bouddhisme tantrique tibétain ou japonais avec son
cortège baroque de déités éveillées et de protecteurs du Dharmas
courroucés.
Le
problème, c'est que le bouddhisme n'est pas qu'une religion. Il y a
une philosophie dans le bouddhisme : un enseignement du Bouddha
pour comprendre le phénomène de la souffrance, pour comprendre les
origines de la souffrance, pour envisager la cessation définitive et
complète de cette souffrance et surtout se mettre en route sur ce
chemin qui va mener à la cessation de la souffrance. Je dirais même
plus : à l'origine, le bouddhisme n'était pas du tout une
religion, mais bien purement une philosophie, c'est-à-dire une façon
de rechercher la sagesse et un moyen de se libérer des
conditionnements qui nous contraignent à souffrir encore et encore
en ce monde. Toute la vie, le Bouddha a enseigné ce chemin, cette
philosophie pour que ce disciple mettant en pratique son enseignement
se libèrent à leur tour. Le Bouddha n'a pas du tout enseigné
comment on devait le vénérer ou comment on devait construire des
statues à son effigie. D'ailleurs, dans les premiers siècles du
bouddhisme, on ne représentait pas le Bouddha, ni sous forme de
dessin ou de peinture, ni sous forme de peinture. Non pas que cela
aurait été sacrilège, mais cela n'avait aucun sens. La pratique du
Dharma était le meilleur moyen de se souvenir du Bouddha.
Le
culte du Bouddha n'est venu qu'après : l'idée que le Bouddha
avait atteint une forme d'absolu a du faire germer l'autre idée que
cette personne était sacrée et dotée de pouvoirs mystiques et
divins. Et que si on le priait avec foi et dévotion, on obtiendrait
une petite part de sa grâce et qu'on obtiendrait des bénédictions.
Il faut croire que l'esprit humain éprouve ce besoin de réconfort
religieux. Il y a un moment crucial dans ce choc entre philosophie et
religion peu avant la mort du Bouddha. Cela est raconté dans le
Soûtra de la
Grande Extinction Finale
(Mahā
Parinibbāna Sutta,
traduction de Môhan Wijayaratna : Le
dernier voyage du Bouddha,
édition LIS, 1998, p. 96).
C'est
une discussion entre le fidèle Ānanda et le Bouddha. Le premier
demande comment il faudra vénérer la dépouille du Bouddha :
« De
quelle façon, ô Vénéré, devons-nous nous conduire avec le corps
de l'Ainsi-Allé (Tathāgata) ? »
Et le Bouddha répond : « Ne
vous occupez pas de rendre un culte au corps de l'Ainsi-Allé, ô
Ānanda. Occupez-vous de votre propre tâche. Demeurez attentifs,
ardents, résolus dans votre propre tâche. Il y a, ô Ānanda, des
savants de la caste des Kshatriyas (aristocrates), des savants de la
caste des brahmanes, des savants chefs de famille qui sont
spécialement contents de l'Ainsi-Allé : ceux-là rendront un
culte au corps du Bouddha ».
La division des tâches est claire : aux laïcs, le soin de
manifester le culte des reliques et de construire des stoupas en
l'honneur du Bouddha, aux moines le souci d'accomplir la tâche qui
leur incombe.
Mais
quelle est cette tâche ? Le Bouddha l'avait expliqué quelques
minutes auparavant (ibid.,
p.92) : « Si
un moine, une nonne, un disciple laïc homme ou femme, étant dans le
voie du Dharma, étant dans la voie de l'harmonie, vit en suivant ce
Dharma, c'est lui qui respecte l'Ainsi-Allé, c'est lui qui vénère
l'Ainsi-Allé, c'est lui qui révère l'Ainsi-Allé, c'est lui qui
rend hommage à l'Ainsi-Allé, par l'hommage le plus haut ».
Faire des offrandes de lumières ou de fleurs, faire des statues ou
des stoupas, c'est bien, mais ces moyens de rendre hommage au Bouddha
ne valent pas le fait de pratiquer le Dharma, c'est-à-dire adopter
une conduite éthique, pratiquer et persévérer dans la méditation
et développer sa sagesse.
Dans
ce même passage du Soûtra
de l'Extinction Finale (ibid.,
p.96), le Bouddha ne rejette pas non plus le culte religieux qu'on
lui voue. Il donne ses conseils pour son incinération et le stoupa
que les laïcs vont construire en son honneur. Il reconnaît même
que cela peut être d'une certaine utilité pour les personnes ayant
foi et dévotion envers le Bouddha : « Beaucoup
de gens purifient leur pensée en se disant : "Voici un
stoupa élevé au nom d'un Bienheureux qui est un Arahant, un Éveillé
parfait". Ainsi, ayant purifié leur pensée, après la
destruction de leur corps, après leur mort, ils renaîtront dans les
destinations heureuses, dans les états célestes ».
Le
Bouddha ne rejette donc pas cette dévotion religieuse. Néanmoins,
il y a une hiérarchie de valeurs très nette entre la pratique du
Dharma qui est vraiment le meilleur moyen d'honorer la mémoire du
Bouddha et les manifestations de dévotions religieuses qui peuvent
être utiles si ça nous permet de cultiver la confiance envers les
enseignements du Bouddha ainsi que des pensées bienveillantes envers
autrui. Néanmoins, cette dévotion peut être entachée d'égarement
et d'aveuglement. J'en veux pour exemple, toujours dans ce Soûtra
de la Grande Extinction Finale (ibid.,
pp 120-125), le moment qui suit directement la crémation du
Bouddha : les grandes familles d'aristocrate et de brahmanes se
disputent le privilège de posséder des reliques du Bouddha, et les
seigneurs de Kushināgar, l'endroit où le Bouddha est mort, refusent
catégoriquement de céder quoique ce soit puisque le Bienheureux est
mort en leurs terres. Les moines ne s'intéressent pas à cette
querelle et n'interviennent pas. Finalement, il faut l'intervention
d'un brahmane un peu plus sage que les autres. Ce brahmane calme les
esprits en disant :
« Écoutez,
ô honorables amis,
Une
seule phrase de moi :
Notre
Éveillé était partisan de la patience.
En
partageant les reliques de cet homme sublime,
Il
n'est pas convenable
De
laisser se produire une querelle ».
Les
reliques sont divisées en huit parties et distribuées à chaque
clan, le brahmane garde pour lui l'urne et une dernière famille
reçoit les cendres du bûcher funéraire. Toutes ces familles nobles
construisent des stoupas dans leur cité respective. Il est à noter
que, si garde le souvenir, des quatre grands lieux de la vie de
Bouddha, plus personne ne sait où se trouvent ces dix stoupas
contenant les restes du Bouddha, les moines de l'époque n'ayant
vraisemblablement pas attaché beaucoup d'importance à ceux-ci.
Cela
illustre à quel point la dévotion religieuse peut être obscurcie
par des motivations de pouvoir ou de prestige. En Asie, on ne compte
plus les stoupas, les temples, les statues ou les monuments en
l'honneur du Bouddha. Mais souvent, on considère que la pratique du
Dharma est devenue trop difficile en ces temps difficiles. C'est bien
dommage parce qu'on devrait consacrer des ressources pour que des
moines et des laïcs puissent s'adonner à l'entraînement de
l'esprit et du corps dans la perspective du Dharma plutôt que de
gâcher ces ressources dans des monuments somptueux. Cette dévotion
religieuse peut aussi conduire à la superstition et à la pensée
magique. En outre, cette dévotion religieuse peut être la source
d'un sentiment d'appartenance qui crée de l'exclusion et des
conflits envers les autres religions comme on le voit en Birmanie ou
au Sri-Lanka.
*****
En
conclusion, je dirai que le bouddhisme en tant que philosophie et le
bouddhisme en tant que religion peuvent coexister. Chacun devrait
être libre d'aborder le bouddhisme à sa manière. Certains comme
moi seront plus sensibles à l'aspect philosophiques tandis que
d'autres seront plus sensibles à l'aspect religieux. Néanmoins, il
m'apparaît important de se souvenir que le bouddhisme originel était
d'abord une philosophie et que la dévotion religieuse est née dans
le sillage de ce bouddhisme philosophique pour connaître ensuite
toutes sortes de développements, notamment le culte aux Bouddhas
cosmiques dans le bouddhisme du Grand Véhicule et les statues de
plus en plus gigantesques qu'on trouve en Asie.
Frédéric Leblanc, le 30 mai 2019.
Photographie de Julee Resuggan |
Lire également sur la question du rapport entre religion et philosophie au sein du bouddhisme :
- Soûtra des Bénédictions (Mangala Sutta) et son commentaire.
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Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
A mon humble avis, la vrai question est de savoir ce que l'on entend par religion...!
RépondreSupprimer
RépondreSupprimerJe pense que vous savez ce qu'est la religion. Par ailleurs, si on doit définir ce qu'est précisément la religion, on doit du même coup définir précisément ce qu'est la philosophie. Et là, on n'est pas sorti de l'auberge... Les philosophes n'étant pas d'accord entre eux pour donner une définition commune de ce qu'est la philosophie... Disons simplement que je définis la philosophie au sens antique du terme comme une recherche de la sagesse qui passe par une transformation de soi-même à l'aide d'exercices spirituels.
Dans le contexte de ce texte, il ne me paraît pas utile d'avoir une discussion très longue sur la définition précise de la religion et de la philosophie. Cela pourrait par contre être pertinent si l'on veut savoir si telle ou telle pratique spécifique relève de la religion ou de la philosophie. Prenons juste un exemple. Est-ce que le triple refuge dans le bouddhisme relève de la philosophie ou de la religion ? Pour rappel, le triple refuge, c'est prendre refuge dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha des Êtres Nobles. J'avais déjà expliqué que c'était un acte philosophique à mes yeux dans le texte : « Quand dire, c'est prendre refuge » (https://lerefletdelalune.blogspot.com/2017/04/quand-dire-cest-prendre-refuge.html). Mais je comprends parfaitement qu'avec une certaine définition de la religion, on dise que c'est une pratique religieuse. Si on comprend la religion avec une de ses origines étymologiques possibles, « religare » qui veut dire « relier » en latin, on peut dire que le triple refuge nous relie à la personne sacrée du Bouddha, à la dimension mystique du Dharma et à la communauté sainte qui pratique la Voie. Le triple refuge serait donc dans cette perspective un acte religieux.
Personnellement, cela ne me dérange qu'il y ait plusieurs perspectives sur un même geste, le triple refuge en l'occurrence. Je n'écarte pas complètement cette question de la définition, mais cela provoque beaucoup de débats et de discussions sans fin. Par ailleurs, la frontière est par moment floue entre philosophie et religion ; il est possible que certains domaines se recouvrent. Ceci étant dit, la philosophie envisage le monde plutôt sous l'angle de la raison tandis que la religion envisage plutôt les choses sous l'angle de la foi et de la dévotion. Définition certes sommaire, mais qui me convient en première approximation.
Sur ce sujet on pourrait aussi évoquer "Le Bouddhisme libéré des croyances" de Stephen Bachelor.
RépondreSupprimerL'agacement de cette thaïlandaise pourrait être légitime quand on voit la manière dont certains s'approprient le bouddhisme en tentant de le débarrasser de ce qui pour un "blanc" semble inessentiel.
Il me semble que la philosophie a, en Grèce, tué la religion grecque. Les dieux ont d'ailleurs cessé de se promener dans la nature.
Ce qui est troublant c'est la manière dont les jeunes débarquent dans un lieu comme un temple zen et posent dix-milles questions du genre pourquoi on rentre du pied gauche...
Parfois les gens recherchent du religieux ou du symbolique là où il n'y en a pas forcément.
En occident la religion est, depuis la mort de Dieu, un peu moribonde et la philosophie n'y est peut-être pas pour rien.
RépondreSupprimerC'est vrai, çà ! Pourquoi rentre-t-on du pied gauche dans un dojo zen ? :-)
Je ne crois pas que la philosophie grecque ait tué la religion. N'oublions pas qu’Épicure, pourtant considéré comme un matérialiste, affirmait dans la « Lettre à Ménécée » : « Les dieux existent : la connaissance que nous en avons est évidente ». Pyrrhon, le philosophe sceptique, est devenu à son retour d'Inde grand prêtre du temple d'Hadès dans sa ville natale d'Elis. Oui, un sceptique peut devenir prêtre ! Plotin et Porphyre avaient une philosophie profondément religieuse et mystique.
La coupure entre philosophie et religion vient beaucoup plus du christianisme, me semble-t-il. Que ce soient les violentes critique et les imprécations de Paul de Tarse à l'encontre des philosophes grecs : « « Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie, s’appuyant sur la tradition des hommes, sur les rudiments du monde, et non sur le Christ » ou encore : « Les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse, mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens ». Mais aussi cette rupture entre religion et philosophie vient aussi du fait qu'au Moyen-Age, la philosophie a été considérée comme « la servante » de la théologie. La foi a essayé de soumettre la raison ; et la raison en a gardé une défiance tenace à l'égard de cette foi religieuse, toujours suspecte d'aveuglement et d'obscurantisme, de vouloir étouffer la voix de l'esprit critique.
Je pense que quand on étudie la philosophie gréco-romaine, on le fait avec le prisme de notre culture chrétienne, et on voit aujourd'hui la philosophie grecque comme anti-religion. Il y avait certes des esprits anti-religieux dans la Grèce antique : Anaxagore de Clazomène et Évhémère. Mais ils étaient rares. Quand Socrate a été jugé pour impiété et de ne pas croire dans les dieux de la Cité, il a tout fait pour se distancer d'Anaxagore et affirmer sa croyance en son « démon » qui lui dit « non » » à tout ce qu'il pourrait faire de mal. Dans le « Banquet », Socrate ne fait qu'exprimer le point de vue de Diotime, l'oracle de Delphes, sanctuaire du dieu Apollon... Par ailleurs, certains philosophes étaient presque déifiés, comme le sont encore certains gourous de l'Inde. Je pense notamment à Platon et Épicure. Les gens leur faisaient des prières, on a retrouvé des ex-votos en l'honneur de Platon. Des légendes circulaient sur ce même Platon, comme quoi il était né d'une mère vierge... Suivez mon regard vers la Palestine...
Donc certes, les philosophes ont effectivement à voir avec la sécularisation et la laïcisation qui a cours en Occident ; mais c'est plus un héritage des philosophes des Lumières que des philosophes grecs, me semble-t-il.
Oui oui tu as raison dans la Grèce antique, la philosophie et le religion faisaient plutôt bon ménage.
RépondreSupprimerJe voulais plutôt dire qu' aujourd'hui la religion de la grèce antique est une religion morte comme on parle de langue morte alors que la philosophie traditionnellement associée à la Grèce est toujours bien vivante. La philosophie a survécu à la religion ce qui ne veut pas dire que l'une à tué l'autre.
Après je ne sais pas ce qu'il faut penser des thèses de Marcel Gauchet sur la sortie de la religion.
Je voudrais plutôt insister sur l'agacement que je suis susceptible de partager avec cette thaïlandaise quand je vois des petits nouveaux (souvent plus âgés que moi) débarquer au dojo et se plaindre ensuite de la dimension religieuse de la pratique du bouddhisme zen à travers les rituels et les chants de Soutras. D'autant plus que nous autres français sommes très anti-religieux de par notre éducation.
Pour moi, une religion c'est un système de croyances. Notre éducation qui doit beaucoup aux lumières a tendance à nous faire voir les croyances comme des superstitions obscurantistes.
Je ne suis pas contre un droit d'inventaire ou de critique de la religion et d'autoriser la liberté de parole maximale à l'encontre de la dimension religieuse du bouddhisme.
Et en même temps on est en droit de répondre à ces critiques. Quitte à orienter ceux qui ne supportent pas le côté religieux du zen à se diriger plutôt vers la pleine conscience qui propose une approche laïc du bouddhisme.
Pour ma part je trouve qu'on aurait plus à perdre qu'à gagner en gommant les aspects religieux de la pratique du zen.
Il n'y a pas de mauvaises questions mais il ne viendrait à l'esprit de personne de demander pourquoi au jeu d'échec le fou se déplace en diagonale. Dans le zen, la plupart des règles sont là pour normaliser, harmoniser la pratique. Il y a des cérémonies qui ressemblent à des ballets. Il me semble que si on rentre du pied gauche dans un dojo c'est pour ne pas tourner le dos en entrant à l'une des personnes qui se trouve à droite et qui organise le dojo un peu comme un chef d'orchestre. Souvent les règles sont d'ordre pragmatique et doivent éviter le recours à la parole. Plus on fait tous la même chose plus c'est simple. On s’assoit sur son zafu en passant à gauche de celui-ci ça évite que si le voisin fait le contraire on se rentre dedans.