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jeudi 30 mai 2019

Entre philosophie et religion






Hier après-midi, j'ai été frappé par un tweet d'une jeune femme francophone d'origine thaïlandaise qui affirme assez agressivement le caractère religieux du bouddhisme. 














Deux choses me dérangent dans ce tweet, sur lesquels je voudrais m'étendre :

  • 1°) Oui, il y a bien débat sur la question de savoir si le bouddhisme est d'abord une philosophie ou une religion.

  • 2°)Il y a des relents racistes dans ce tweet, tant dans l'idée que la compréhension du bouddhisme serait réservée aux Asiatiques que dans celle que la philosophie serait une discipline purement occidentale.



Je vais commencer par le racisme inhérent à ce message. Il y a l'idée que seuls les Asiatiques qui sont nés dans des pays bouddhistes peuvent savoir ce qu'est réellement le bouddhisme. Les Occidentaux, alias « les Blancs », ne pourraient pas connaître véritablement cette spiritualité. Au nom de quel principe ? Le Bouddha a-t-il formellement exclu les « Blancs » ou les personnes originaires d'Europe de la compréhension intime de son message de sagesse ? Non, évidemment. Le bouddhisme qui est né en Inde s'est propagé dans des cultures très différentes de la culture indienne, notamment en Chine et au Japon. Rappelons que l'ardha-magadhi, la langue du Bouddha, était une langue indo-européenne, donc beaucoup plus proche du français ou de l'anglais que du chinois, du japonais ou du thaïlandais. Il n'y a donc aucune raison de présupposer que les Occidentaux ne puissent pas accéder à la compréhension du Dharma. Les bouddhistes en Asie ne sont d'ailleurs pas toujours un modèle de ce que devraient être des pratiquants du Dharma, je pense notamment aux imprécations haineuses et nationalistes du moine Wirathu en Birmanie ainsi qu'à des scandales d'abus sexuels, d'abus financiers et d'abus de pouvoirs accomplis par des moines en Thaïlande et dans d'autres pays asiatiques. Ils sont dès lors mal placés pour nous faire des leçons sur ce qu'est le Dharma à nous, les Occidentaux.


Cela va d'ailleurs dans les deux sens : un chrétien chinois qui étudie sérieusement la spiritualité chrétienne pourra obtenir une bien meilleure compréhension du christianisme qu'un Occidental baignant depuis toujours dans une culture judéo-chrétienne, mais étant largement ignorant des Évangiles et de l'histoire de la pensée chrétienne. Il y a deux jours, des élèves me demandaient ce qu'était l'Ascension et la Pentecôte, deux jours fériés dans notre calendrier ; mais les gens ne savent pas à quoi cela fait référence, si ce n'est que cela a à voir avec la religion. En Asie, le bouddhisme est une tradition et une arrière-fond culturel, mais les Asiatiques ne connaissent pas forcément très bien cette spiritualité, tout comme nous, Occidentaux, pouvons être ignorants de la vie de Jésus, des apôtres, des saints, de Thomas d'Aquin, de Guillaume d'Ockham et de maître Eckhart, quand bien même nous vivons dans des villes où la moitié des écoles, des rues et des quartiers s'appellent Saint-Machin ou Notre-Dame de tel endroit... Je me souviens d'une professeure de chinois, elle-même Chinoise venant de Chine, qui était stupéfaite que je lui parle du philosophe confucéen Mencius et du Chan chinois. Elle n'avait pas la moindre connaissance tant de la pensée confucéenne que du bouddhisme Chan, qui sont pourtant à la base de la culture chinoise et qui ont influencé la langue chinoise elle-même.


Par ailleurs, il y a aussi du racisme à penser que la philosophie n'existe qu'en Occident et que, donc, seuls les Occidentaux pourraient s'adonner à la philosophie. Cette thèse raciste était toujours très prégnante dans les facultés de philosophie quand j'y étais étudiant. Souvent, on avançait les prises de position de Hegel ou du nazi Heidegger pour proclamer pompeusement que seuls la pensée occidentale pouvait être qualifiée de « philosophie », ignorant au passage la diversité des conceptions de ce qu'est la philosophie au sein même de la philosophie occidentale. On pouvait lire des professeurs de philosophie pour qui le bouddhisme, le confucianisme ou le taoïsme était tout au plus des « sagesses », entendez : des superstitions. Quand j'étais étudiant en philosophie, je me disais avec dépit que la faculté de philosophie était le dernier bastion inexpugnable du fascisme et du colonialisme. Les choses ont un peu changé, notamment avec les écrits de Roger Pol-Droit, « Le culte du néant » et « L'oubli de l'Inde » où il critique à juste titre la négation du bouddhisme en tant que philosophie.


Certes, le mot « philosophie » est un mot hérité de la langue grecque ; mais les Asiatiques philosophaient en Inde, en Chine, au Tibet, au Japon et en Thaïlande bien avant que ce mot n'arrive dans leur pays ! Et je pense que le Bouddha, Buddhaghosa, Nāgārjuna, Shāntideva, Asanga, Vasubandhu, Dharmakirti ou Dōgen étaient de grands philosophes. Il n'y a donc pas de raison de penser que la philosophie serait juste une histoire entre Occidentaux et avec laquelle les Asiatiques bouddhistes n'auraient rien à voir. Le Logos est encore une fois un mot grec ; mais tous les hommes sur Terre sont doués de Raison, quelque soit la couleur de leur peau ou le continent sur lequel ils sont nés.






*****





Maintenant venons-en à la question centrale : le bouddhisme est-il une religion ou une philosophie ? La réponse est simple : les deux. Quand la demoiselle d'origine thaïlandaise dit que le bouddhisme est pour elle une religion parce qu'en Thaïlande, les gens vivent le bouddhisme comme une religion, elle a tout à fait raison. Pour de nombreux Asiatiques, mais aussi pour nombre d'Occidentaux, le bouddhisme est un culte du Bouddha. Les gens vénèrent des statues du Bouddha, brûlent de l'encens, font des prières dans les temples, tournent autour des stoupas, font des prosternations, etc... On trouve différentes versions de ce culte du Bouddha selon qu'on se reconnaisse dans le Theravāda, dans l'amidisme où on récite le mantra pour renaître dans la Terre Pure d'Amithaba (Amida en japonais), dans les écoles issues de Nichiren où on récite un mantra en l'honneur du Soûtra du Lotus, ou encore du bouddhisme tantrique tibétain ou japonais avec son cortège baroque de déités éveillées et de protecteurs du Dharmas courroucés.


Le problème, c'est que le bouddhisme n'est pas qu'une religion. Il y a une philosophie dans le bouddhisme : un enseignement du Bouddha pour comprendre le phénomène de la souffrance, pour comprendre les origines de la souffrance, pour envisager la cessation définitive et complète de cette souffrance et surtout se mettre en route sur ce chemin qui va mener à la cessation de la souffrance. Je dirais même plus : à l'origine, le bouddhisme n'était pas du tout une religion, mais bien purement une philosophie, c'est-à-dire une façon de rechercher la sagesse et un moyen de se libérer des conditionnements qui nous contraignent à souffrir encore et encore en ce monde. Toute la vie, le Bouddha a enseigné ce chemin, cette philosophie pour que ce disciple mettant en pratique son enseignement se libèrent à leur tour. Le Bouddha n'a pas du tout enseigné comment on devait le vénérer ou comment on devait construire des statues à son effigie. D'ailleurs, dans les premiers siècles du bouddhisme, on ne représentait pas le Bouddha, ni sous forme de dessin ou de peinture, ni sous forme de peinture. Non pas que cela aurait été sacrilège, mais cela n'avait aucun sens. La pratique du Dharma était le meilleur moyen de se souvenir du Bouddha.


Le culte du Bouddha n'est venu qu'après : l'idée que le Bouddha avait atteint une forme d'absolu a du faire germer l'autre idée que cette personne était sacrée et dotée de pouvoirs mystiques et divins. Et que si on le priait avec foi et dévotion, on obtiendrait une petite part de sa grâce et qu'on obtiendrait des bénédictions. Il faut croire que l'esprit humain éprouve ce besoin de réconfort religieux. Il y a un moment crucial dans ce choc entre philosophie et religion peu avant la mort du Bouddha. Cela est raconté dans le Soûtra de la Grande Extinction Finale (Mahā Parinibbāna Sutta, traduction de Môhan Wijayaratna : Le dernier voyage du Bouddha, édition LIS, 1998, p. 96).


C'est une discussion entre le fidèle Ānanda et le Bouddha. Le premier demande comment il faudra vénérer la dépouille du Bouddha : « De quelle façon, ô Vénéré, devons-nous nous conduire avec le corps de l'Ainsi-Allé (Tathāgata) ? » Et le Bouddha répond : « Ne vous occupez pas de rendre un culte au corps de l'Ainsi-Allé, ô Ānanda. Occupez-vous de votre propre tâche. Demeurez attentifs, ardents, résolus dans votre propre tâche. Il y a, ô Ānanda, des savants de la caste des Kshatriyas (aristocrates), des savants de la caste des brahmanes, des savants chefs de famille qui sont spécialement contents de l'Ainsi-Allé : ceux-là rendront un culte au corps du Bouddha ». La division des tâches est claire : aux laïcs, le soin de manifester le culte des reliques et de construire des stoupas en l'honneur du Bouddha, aux moines le souci d'accomplir la tâche qui leur incombe.


Mais quelle est cette tâche ? Le Bouddha l'avait expliqué quelques minutes auparavant (ibid., p.92) : « Si un moine, une nonne, un disciple laïc homme ou femme, étant dans le voie du Dharma, étant dans la voie de l'harmonie, vit en suivant ce Dharma, c'est lui qui respecte l'Ainsi-Allé, c'est lui qui vénère l'Ainsi-Allé, c'est lui qui révère l'Ainsi-Allé, c'est lui qui rend hommage à l'Ainsi-Allé, par l'hommage le plus haut ». Faire des offrandes de lumières ou de fleurs, faire des statues ou des stoupas, c'est bien, mais ces moyens de rendre hommage au Bouddha ne valent pas le fait de pratiquer le Dharma, c'est-à-dire adopter une conduite éthique, pratiquer et persévérer dans la méditation et développer sa sagesse.


Dans ce même passage du Soûtra de l'Extinction Finale (ibid., p.96), le Bouddha ne rejette pas non plus le culte religieux qu'on lui voue. Il donne ses conseils pour son incinération et le stoupa que les laïcs vont construire en son honneur. Il reconnaît même que cela peut être d'une certaine utilité pour les personnes ayant foi et dévotion envers le Bouddha : « Beaucoup de gens purifient leur pensée en se disant : "Voici un stoupa élevé au nom d'un Bienheureux qui est un Arahant, un Éveillé parfait". Ainsi, ayant purifié leur pensée, après la destruction de leur corps, après leur mort, ils renaîtront dans les destinations heureuses, dans les états célestes ».

Le Bouddha ne rejette donc pas cette dévotion religieuse. Néanmoins, il y a une hiérarchie de valeurs très nette entre la pratique du Dharma qui est vraiment le meilleur moyen d'honorer la mémoire du Bouddha et les manifestations de dévotions religieuses qui peuvent être utiles si ça nous permet de cultiver la confiance envers les enseignements du Bouddha ainsi que des pensées bienveillantes envers autrui. Néanmoins, cette dévotion peut être entachée d'égarement et d'aveuglement. J'en veux pour exemple, toujours dans ce Soûtra de la Grande Extinction Finale (ibid., pp 120-125), le moment qui suit directement la crémation du Bouddha : les grandes familles d'aristocrate et de brahmanes se disputent le privilège de posséder des reliques du Bouddha, et les seigneurs de Kushināgar, l'endroit où le Bouddha est mort, refusent catégoriquement de céder quoique ce soit puisque le Bienheureux est mort en leurs terres. Les moines ne s'intéressent pas à cette querelle et n'interviennent pas. Finalement, il faut l'intervention d'un brahmane un peu plus sage que les autres. Ce brahmane calme les esprits en disant :

« Écoutez, ô honorables amis,
Une seule phrase de moi :
Notre Éveillé était partisan de la patience.
En partageant les reliques de cet homme sublime,
Il n'est pas convenable
De laisser se produire une querelle ».


Les reliques sont divisées en huit parties et distribuées à chaque clan, le brahmane garde pour lui l'urne et une dernière famille reçoit les cendres du bûcher funéraire. Toutes ces familles nobles construisent des stoupas dans leur cité respective. Il est à noter que, si garde le souvenir, des quatre grands lieux de la vie de Bouddha, plus personne ne sait où se trouvent ces dix stoupas contenant les restes du Bouddha, les moines de l'époque n'ayant vraisemblablement pas attaché beaucoup d'importance à ceux-ci.


Cela illustre à quel point la dévotion religieuse peut être obscurcie par des motivations de pouvoir ou de prestige. En Asie, on ne compte plus les stoupas, les temples, les statues ou les monuments en l'honneur du Bouddha. Mais souvent, on considère que la pratique du Dharma est devenue trop difficile en ces temps difficiles. C'est bien dommage parce qu'on devrait consacrer des ressources pour que des moines et des laïcs puissent s'adonner à l'entraînement de l'esprit et du corps dans la perspective du Dharma plutôt que de gâcher ces ressources dans des monuments somptueux. Cette dévotion religieuse peut aussi conduire à la superstition et à la pensée magique. En outre, cette dévotion religieuse peut être la source d'un sentiment d'appartenance qui crée de l'exclusion et des conflits envers les autres religions comme on le voit en Birmanie ou au Sri-Lanka.







*****




En conclusion, je dirai que le bouddhisme en tant que philosophie et le bouddhisme en tant que religion peuvent coexister. Chacun devrait être libre d'aborder le bouddhisme à sa manière. Certains comme moi seront plus sensibles à l'aspect philosophiques tandis que d'autres seront plus sensibles à l'aspect religieux. Néanmoins, il m'apparaît important de se souvenir que le bouddhisme originel était d'abord une philosophie et que la dévotion religieuse est née dans le sillage de ce bouddhisme philosophique pour connaître ensuite toutes sortes de développements, notamment le culte aux Bouddhas cosmiques dans le bouddhisme du Grand Véhicule et les statues de plus en plus gigantesques qu'on trouve en Asie.



Frédéric Leblanc, le 30 mai 2019.















Photographie de Julee Resuggan

















Lire également sur la question du rapport entre religion et philosophie au sein du bouddhisme : 





















- Soûtra des Bénédictions (Mangala Sutta) et son commentaire.


























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5 commentaires:

  1. A mon humble avis, la vrai question est de savoir ce que l'on entend par religion...!

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  2. Je pense que vous savez ce qu'est la religion. Par ailleurs, si on doit définir ce qu'est précisément la religion, on doit du même coup définir précisément ce qu'est la philosophie. Et là, on n'est pas sorti de l'auberge... Les philosophes n'étant pas d'accord entre eux pour donner une définition commune de ce qu'est la philosophie... Disons simplement que je définis la philosophie au sens antique du terme comme une recherche de la sagesse qui passe par une transformation de soi-même à l'aide d'exercices spirituels.

    Dans le contexte de ce texte, il ne me paraît pas utile d'avoir une discussion très longue sur la définition précise de la religion et de la philosophie. Cela pourrait par contre être pertinent si l'on veut savoir si telle ou telle pratique spécifique relève de la religion ou de la philosophie. Prenons juste un exemple. Est-ce que le triple refuge dans le bouddhisme relève de la philosophie ou de la religion ? Pour rappel, le triple refuge, c'est prendre refuge dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha des Êtres Nobles. J'avais déjà expliqué que c'était un acte philosophique à mes yeux dans le texte : « Quand dire, c'est prendre refuge » (https://lerefletdelalune.blogspot.com/2017/04/quand-dire-cest-prendre-refuge.html). Mais je comprends parfaitement qu'avec une certaine définition de la religion, on dise que c'est une pratique religieuse. Si on comprend la religion avec une de ses origines étymologiques possibles, « religare » qui veut dire « relier » en latin, on peut dire que le triple refuge nous relie à la personne sacrée du Bouddha, à la dimension mystique du Dharma et à la communauté sainte qui pratique la Voie. Le triple refuge serait donc dans cette perspective un acte religieux.

    Personnellement, cela ne me dérange qu'il y ait plusieurs perspectives sur un même geste, le triple refuge en l'occurrence. Je n'écarte pas complètement cette question de la définition, mais cela provoque beaucoup de débats et de discussions sans fin. Par ailleurs, la frontière est par moment floue entre philosophie et religion ; il est possible que certains domaines se recouvrent. Ceci étant dit, la philosophie envisage le monde plutôt sous l'angle de la raison tandis que la religion envisage plutôt les choses sous l'angle de la foi et de la dévotion. Définition certes sommaire, mais qui me convient en première approximation.

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  3. Sur ce sujet on pourrait aussi évoquer "Le Bouddhisme libéré des croyances" de Stephen Bachelor.

    L'agacement de cette thaïlandaise pourrait être légitime quand on voit la manière dont certains s'approprient le bouddhisme en tentant de le débarrasser de ce qui pour un "blanc" semble inessentiel.

    Il me semble que la philosophie a, en Grèce, tué la religion grecque. Les dieux ont d'ailleurs cessé de se promener dans la nature.

    Ce qui est troublant c'est la manière dont les jeunes débarquent dans un lieu comme un temple zen et posent dix-milles questions du genre pourquoi on rentre du pied gauche...
    Parfois les gens recherchent du religieux ou du symbolique là où il n'y en a pas forcément.

    En occident la religion est, depuis la mort de Dieu, un peu moribonde et la philosophie n'y est peut-être pas pour rien.

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  4. C'est vrai, çà ! Pourquoi rentre-t-on du pied gauche dans un dojo zen ? :-)

    Je ne crois pas que la philosophie grecque ait tué la religion. N'oublions pas qu’Épicure, pourtant considéré comme un matérialiste, affirmait dans la « Lettre à Ménécée » : « Les dieux existent : la connaissance que nous en avons est évidente ». Pyrrhon, le philosophe sceptique, est devenu à son retour d'Inde grand prêtre du temple d'Hadès dans sa ville natale d'Elis. Oui, un sceptique peut devenir prêtre ! Plotin et Porphyre avaient une philosophie profondément religieuse et mystique.


    La coupure entre philosophie et religion vient beaucoup plus du christianisme, me semble-t-il. Que ce soient les violentes critique et les imprécations de Paul de Tarse à l'encontre des philosophes grecs : « « Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie, s’appuyant sur la tradition des hommes, sur les rudiments du monde, et non sur le Christ » ou encore : « Les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse, mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens ». Mais aussi cette rupture entre religion et philosophie vient aussi du fait qu'au Moyen-Age, la philosophie a été considérée comme « la servante » de la théologie. La foi a essayé de soumettre la raison ; et la raison en a gardé une défiance tenace à l'égard de cette foi religieuse, toujours suspecte d'aveuglement et d'obscurantisme, de vouloir étouffer la voix de l'esprit critique.

    Je pense que quand on étudie la philosophie gréco-romaine, on le fait avec le prisme de notre culture chrétienne, et on voit aujourd'hui la philosophie grecque comme anti-religion. Il y avait certes des esprits anti-religieux dans la Grèce antique : Anaxagore de Clazomène et Évhémère. Mais ils étaient rares. Quand Socrate a été jugé pour impiété et de ne pas croire dans les dieux de la Cité, il a tout fait pour se distancer d'Anaxagore et affirmer sa croyance en son « démon » qui lui dit « non » » à tout ce qu'il pourrait faire de mal. Dans le « Banquet », Socrate ne fait qu'exprimer le point de vue de Diotime, l'oracle de Delphes, sanctuaire du dieu Apollon... Par ailleurs, certains philosophes étaient presque déifiés, comme le sont encore certains gourous de l'Inde. Je pense notamment à Platon et Épicure. Les gens leur faisaient des prières, on a retrouvé des ex-votos en l'honneur de Platon. Des légendes circulaient sur ce même Platon, comme quoi il était né d'une mère vierge... Suivez mon regard vers la Palestine...


    Donc certes, les philosophes ont effectivement à voir avec la sécularisation et la laïcisation qui a cours en Occident ; mais c'est plus un héritage des philosophes des Lumières que des philosophes grecs, me semble-t-il.

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  5. Oui oui tu as raison dans la Grèce antique, la philosophie et le religion faisaient plutôt bon ménage.
    Je voulais plutôt dire qu' aujourd'hui la religion de la grèce antique est une religion morte comme on parle de langue morte alors que la philosophie traditionnellement associée à la Grèce est toujours bien vivante. La philosophie a survécu à la religion ce qui ne veut pas dire que l'une à tué l'autre.

    Après je ne sais pas ce qu'il faut penser des thèses de Marcel Gauchet sur la sortie de la religion.

    Je voudrais plutôt insister sur l'agacement que je suis susceptible de partager avec cette thaïlandaise quand je vois des petits nouveaux (souvent plus âgés que moi) débarquer au dojo et se plaindre ensuite de la dimension religieuse de la pratique du bouddhisme zen à travers les rituels et les chants de Soutras. D'autant plus que nous autres français sommes très anti-religieux de par notre éducation.

    Pour moi, une religion c'est un système de croyances. Notre éducation qui doit beaucoup aux lumières a tendance à nous faire voir les croyances comme des superstitions obscurantistes.

    Je ne suis pas contre un droit d'inventaire ou de critique de la religion et d'autoriser la liberté de parole maximale à l'encontre de la dimension religieuse du bouddhisme.

    Et en même temps on est en droit de répondre à ces critiques. Quitte à orienter ceux qui ne supportent pas le côté religieux du zen à se diriger plutôt vers la pleine conscience qui propose une approche laïc du bouddhisme.

    Pour ma part je trouve qu'on aurait plus à perdre qu'à gagner en gommant les aspects religieux de la pratique du zen.


    Il n'y a pas de mauvaises questions mais il ne viendrait à l'esprit de personne de demander pourquoi au jeu d'échec le fou se déplace en diagonale. Dans le zen, la plupart des règles sont là pour normaliser, harmoniser la pratique. Il y a des cérémonies qui ressemblent à des ballets. Il me semble que si on rentre du pied gauche dans un dojo c'est pour ne pas tourner le dos en entrant à l'une des personnes qui se trouve à droite et qui organise le dojo un peu comme un chef d'orchestre. Souvent les règles sont d'ordre pragmatique et doivent éviter le recours à la parole. Plus on fait tous la même chose plus c'est simple. On s’assoit sur son zafu en passant à gauche de celui-ci ça évite que si le voisin fait le contraire on se rentre dedans.

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