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samedi 21 mars 2020

Méditer par temps de confinement




Méditer par temps de confinement




Ce n'est pas un moment drôle à passer : tout est stressant, les nouvelles sont anxiogènes, et le confinement qu'on nous impose est pour le moins pénible ; et le fait qu'on nous rappelle que le confinement imposé durant la guerre était beaucoup plus dur quand les Allemands bombardaient nos villes ne nous est d'aucune consolation en fait! Je me dis donc que c'est le moment idéal de lâcher prise et de pratiquer la méditation. Et c'est aussi le moment d'en parler !



Tout d'abord, dans les textes anciens, le Buddha divise la méditation en quatre catégories : 1°) l'attention au corps, 2°) l'attention aux sensations, 3°) l'attention à l'esprit, 4°) l'attention aux objets de l'esprit. Je vais reprendre cette structure classique pour mon exposé en rappelant bien que cette division ne se suit pas nécessairement dans l'ordre chronologique : on n'est pas absolument obligé de toujours pratiquer l'attention au corps avant l'attention aux sensations ou l'attention à l'esprit. Il est vrai que dans la logique bouddhiste il est bon de revenir d'abord au corps pour pouvoir se distancier du flux du mental qui ne s'arrête jamais. Mais l'on pourrait très bien chercher à concentrer l'esprit en un point avant de passer en revue tout notre corps. Le modèle proposé ici ne doit être vécu comme un carcan ou une marche à suivre de manière très carrée et très militaire !



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Commençons donc par le corps. Il est bon de se rappeler qu'il y a là un corps. Il se passe un corps, et souvent on y prête pas trop attention tant que les organes fonctionnent bien. « La santé, c'est le silence des organes » dit le proverbe (que l'on attribue parfois à Paul Valéry). Et c'est là un silence qui ne nous invite pas à nous soucier de ce corps. On est beaucoup plus préoccupé par toutes sortes d'événements et d'agitations. Aujourd'hui, le mental a beaucoup plus de choses à traiter : la peur de la contagion qui vient, le virus, cet ennemi invisible, qui est peut-être tout proche et qu'on redoute d'attraper. Il y a aussi toute la colère et le ressentiment : colère d'être enfermé ou colère de voir des inconscients qui ne respectent pas les mesures de confinement et de distanciation. Il y a cette incompréhension que les stocks de papier toilettes sont dévalisés. Il y a les nouvelles qui empirent de jour en jour, et il y a les réseaux sociaux qui bourdonnent en continu et qui contaminent notre humeur. Il y a les politiciens qui racontent n'importe quoi. Il y a les disputes à la maison. Il y a l'angoisse de savoir de quoi demain sera fait. Tout cela, c'est le mental qui s'agite et fait proliférer les pensées de toutes sortes : peur, angoisse, espoirs, désespoirs, colères, ressentiments... Et on est à un moment dans cette crise où le mental dispose d'un carburant quasiment illimité pour tourner à plein régime et nous pourrir la vie.


Il est donc sûrement judicieux de revenir à l'attention au corps. Quand le mental s'égare dans les pensées et les émotions perturbatrices, revenez doucement à l'attention au corps. Sentez ce corps qui vit, qui respire, qui existe et qui se tient droit. Sentez votre cœur qui bat. Sentez l'air qui entre dans les poumons et qui en sort. Bien sûr, les pensées reviennent très vite. Revenez alors à l'attention au corps. Les pensées réapparaîtront encore, revenez à l'attention au corps. Le corps est là, juste là. Il ne pose pas de jugement et il reste là dans l'ici et maintenant. Par contraste, les pensées vont et viennent d'un sujet à l'autre, d'un tracas à un autre, d'un trouble à un autre. Mais le corps est là, immobile et dans le calme. En prenant conscience du corps, la conscience peut se recentrer sur sa propre zone de calme. Voilà un exercice à répéter encore et encore pour renforcer en nous cette capacité à nous libérer du mental.



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Ensuite, il y a les sensations, toutes les sensations. Les sensations issues du corps et les sensations issues du mental. Et l'attention qu'on peut porter aux sensations. Il s'agit de laisser passer ces sensations sans poser de jugements, sans rechercher à retenir les sensations agréables et sans rechercher non plus à repousser les sensations désagréables. On observe cette succession incessante de sensations comme on regarde les gouttes de pluie tomber vers le sol. Le Bouddha compare les sensations à ces petites bulles d'eau sans consistance qui se forment au sol lors d'une pluie abondante.


Elles passent, apparaissent et disparaissent et on ne s'y accroche pas. On ne considère plus les sensations comme des blocs, mais on les laisse se décomposer en ces petits instants qui affleure dans l'instant présent. Ce qui permet de développer une forme d'équanimité : une façon de considérer de manière égale tant les sensations plaisantes que les sensations déplaisantes, et surtout la manière souveraine d'être en paix avec ces sensations.


D'ordinaire, les sensations dictent notre état d'esprit : beaucoup plus de sensations agréables que de sensations désagréables dans la vie de tous les jours font de nous des êtres heureux et épanouis, tandis qu'un déséquilibre de la balance en faveur des sensations déplaisantes nous rend malheureux et tristes. Pratiquer l'attention aux sensations nous permet de rendre compte qu'on peut commencer à se délivrer de ses sensations comme un contorsionniste se libère de ses chaînes. Et qu'une grande joie et un grand bonheur résident dans cette libération. On peut être joyeux et heureux indépendamment des choses tristes ou heureuses qu'on expérimente.




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L'attention dans l'esprit, ensuite, c'est être honnête avec soi-même : dans quel état d'esprit est-ce que je suis ici et maintenant ? Est-ce que je m'ennuie comme un rat dans ce confinement ? Est-ce que je suis malheureux ? Est-ce que je me réjouis au contraire de ne pas devoir aller au boulot ? Est-ce que mon esprit est en mesure de se concentrer ou non ? Est-ce que mon esprit est vaste et prêt à s'éveiller ? Ou au contraire renfermé sur des petits problèmes ? Est-ce que je suis apaisé ou tracassé ? Est-ce que je suis capable de me libérer de ma colère et de mon ressentiment ? Ou au contraire est-ce que je suis capturé par ces émotions négatives ? Est-ce que je suis attentif ? Ou au contraire distrait et agité ? Est-ce que je vois clairement les choses ? Ou contraire, dans la confusion et le doute ?


Il faut observer l'esprit qui évolue d'instant en instant de manière impartiale. Bien sûr, on préférerait un esprit lumineux, éveillé, calme et paisible, serein, vaste, ouvert et intelligent plutôt qu'un esprit troublé, traversé de conflits, sombre et désespéré. Mais l'attention à l'esprit exige de nous que l'on regarde ses côtés obscurs sans complaisance, mais sans non plus détourner le regard. Et si l'agitation est trop forte, il faut alors revenir à l'attention au corps. Le corps est comme un piquet auquel on peut attacher l'attention beaucoup plus sûrement qu'avec l'esprit. Le Bouddha comparait l'esprit à un signe enfermé dans une maison vide qui saute en permanence d'une fenêtre à l'autre et est incapable de rester deux secondes en place. Le corps au moins ne change pas d'aspect d'une seconde à l'autre. C'est donc un repère essentiel dans la méditation.



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Enfin, il reste l'attention aux objets de l'esprit. Cela recouvre un domaine très vaste puisque tout ce dont la conscience peut prendre conscience fait partie de l'attention aux objets de l'esprit. Tout ce qu'on peut percevoir avec les facultés sensorielles du corps : les formes visibles, les sons, les odeurs, les saveurs, les choses physiques touchées par le corps ou ressenties dans une partie du corps, mais aussi tout ce que le mental peut appréhender comme activité de l'esprit : les pensées, les raisonnements, les émotions, les souvenirs, l'imagination, etc... Il y aurait beaucoup de choses à en dire, mais comme je veux un article relativement bref, je me contenterais d'un seul phénomène comme objet de notre esprit : le confinement.


Le confinement est un phénomène complexe fait d'un ensemble d'autres choses : l'injonction faite par le gouvernement de rester chez soi, le ressenti que l'on peut en avoir, l'ennui, la déprime, l'abattement, la peur, la morosité, les murs de votre salon ou de votre chambre, le lit, le divan, le téléviseur, l'ordinateur, la radio, le bruit des voisins et les sirènes d'une ambulance au loin... Il faut bien se rendre compte que tout cela est impermanent. Tout comme les autres phénomènes, tout passe, tout finit par disparaître. Le confinement se produit maintenant mais aura une fin. Sachant cela, on peut commencer à lâcher prise et à cesser d'agripper tous les affects négatifs autour du confinement. Relâchons la pression. Il y a un confinement, mais ce confinement ne confine pas notre esprit. Il n'atteint pas la liberté de notre esprit. Il passe le temps qu'il faudra mais il passera. Il est même une chance puisqu'il nous donne l'occasion de pratiquer la méditation ! Et de lâcher prise.



Frédéric Leblanc
Chez moi, le 21 mars 2020.


















































Sur la méditation de manière générale : 





Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir : 

En compagnie du souffle :  

     
































Julee Resuggan











Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.




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2 commentaires:

  1. Merci pour ce téléguidage bienvenu. Il me semble que ce "confinement" intensifie paradoxalement les relations entre nous tous, que ce soit par les réseaux ou dans la réalité des "reclus". Les notions d’interconnexion et d'impermanence sont en cette période intensément vécues par chacun…
    SP chignonperse.wixsite.com/monsite

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  2. Effectivement, les choses ne sont jamais figées dans un concept. Ce qui nous isole peut nous rapprocher. Ce qui nous confine peut nous ouvrir à l'infini, si l'on veut bien changer de point de vue sur la situation. On peut se sentir seul et pourtant très interconnecté, très interdépendant.

    Plein de bonnes choses !
    FL

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