La nature nous a créés avec la faculté de tout désirer et l’impuissance de tout obtenir.
Machiavel
Discours sur la première décade de Tite-Live, livre I, chap. XXXVII.
Cette sentence de Nicolas Machiavel exprime ici une idée fondamentale de la philosophie antique, qu'elle soit gréco-romaine ou indienne : Épicure, les stoïciens ou le Bouddha ne renieraient pas une telle formule (même s'ils n'approuveraient probablement pas le reste de l’œuvre du philosophe florentin). L'insatisfaction fondamentale qui se niche au cœur de notre vie : on veut tellement de choses, mais ces choses ne nous sont pas accessibles, et cela engendre la frustration, la colère, le désespoir, le ressentiment, la jalousie et une cohorte de passions tristes. La sagesse est donc de se détacher de cette faculté de tout désirer donnée par la nature.
Cette sentence résonne aussi particulièrement à l'époque contemporaine : la société de consommation dans laquelle nous vivons a pour moteur ce principe de toujours avoir envie de nouvelles choses, de nouveaux produits. Et les publicitaires ont bien compris tant notre faculté de tout désirer que notre frustration de ne pas obtenir ce qui est derrière les vitrines des magasins, et ils jouent de nos propensions pour nous pousser à toujours acheter encore et encore. Je me souviens du personnage Ling Woo (incarnée par Lucy Liu) dans la série de la fin des années '90 « Ally McBeal » qui, quand elle était contrariée dans sa vie intime ou professionnelle, déclarait d'un ton sec et tranchant : « I need to shop » (j'ai besoin de faire les magasins).
Ce qui est aussi intéressant, et même fascinant, dans cette citation, c'est la relation intime qu'elle tisse entre notre désir insatiable et l'infini. Nous ne désirons pas seulement telle ou telle chose : nous sommes habités par cette faculté à tout désirer, nous désirons encore et encore. Machiavel explique d'ailleurs après cette sentence : « de sorte que nos désirs se trouvant toujours supérieurs à nos moyens, il en résulte du dégoût pour ce qu'on possède et de l'ennui de soi-même ». On se lasse très vite de ce qu'on vient d'acheter et on veut d'autres choses encore et encore. Mais cette faculté de tout désirer n'est peut-être pas entièrement mauvaise : cette faculté de tout désirer, de vouloir toujours plus est aussi un exprime en creux la dimension infinie de l'esprit.
Cette dimension infinie de l'esprit ne se trouvera jamais dans tel ou tel objet, dans la gloire ou la victoire, mais bien en faisant retour sur soi-même, en laissant se découvrir le ciel de l'esprit là simplement dans la lumière de l'attention. En étant attentif dans la méditation à cette faculté de tout désirer sans pour autant y céder, on peut cesser de désirer ceci et cela encore et encore pour s'ouvrir à l'immensité, pour s'ouvrir au Tout. En partant de cette propension à tout désirer, on peut suivre du fil de l'attention jusqu'au centre de nous-mêmes et commencer à découvrir le lien entre nous-mêmes et le Tout, à savoir comment y prendre place simplement ici et maintenant… Cela requiert de pratiquer encore et encore la méditation, de s'ouvrir encore et encore à ce ciel immense de l'esprit en nous et de laisser les nuages des pensées nous traverser en lâchant prise. Les pensées apparaissent, les pensées disparaissent, et tout comme le ciel reste ciel quel que soit la masse des nuages qui l'occupe, l'esprit reste attentif et équanime, sans attachement particulier. Comprenant alors la joie de l'instant présent, on peut commencer à se libérer de nos frustrations pour tout ce qu'on n'a pas obtenu dans notre existence, se libérer du « dégoût pour ce qu'on possède et de l'ennui de soi-même ».
Michael Sidofsky - Florence. |
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