Carpe
diem quam minimum credula postero.
Cueille le jour en étant le moins
crédule possible par rapport au lendemain.
Horace, Les odes, I, 11, 8 .
Marsel van Oosten - Baobabs à Madagascar |
Carpe Diem est une formule
célébrissime qu'on traduit habituellement par : « Profite du
moment présent, vis au jour le jour sans se préoccuper du
lendemain ». Une philosophie de vie où il faut préférer la
fête exubérante d'aujourd'hui à l'étude austère en vue de
réussir son examen de demain. Il y a néanmoins une confusion sur
cette formule épicurienne. S'il y a effectivement un appel à
savourer les fruits qu'offre le moment présent, à accepter les
plaisirs quand ils viennent, ce n'est certainement pas un appel à
courir après tous les plaisirs sans réfléchir aux conséquences
pour le lendemain. Si ce soir, je bois plus que de raison, je vais
peut-être m'amuser (ou, complètement saoul, me battre avec le
premier venu ou vomir toutes mes tripes...), mais le lendemain,
j'aurai un mal de tête carabiné. Et il est difficile de « cueillir
le jour » quand on est tout vaseux et enlisé dans sa gueule de
bois. Les plaisirs consommés à l'excès ou au mauvais moment
peuvent se retourner en souffrances. C'est pourquoi il est important
de faire preuve de sagesse quand on cueille les fruits du moment
présent. Certains de ces fruits peuvent s'avérer pourris ou gâteux.
Il faut preuve de discernement, de modération et de sens de la
mesure.
Si on prend la formule d'Horace en son
entier, « Cueille le jour en étant le moins crédule possible
par rapport au jour suivant », on a plutôt l'idée de trouver
son plaisir dans l'instant présent tel que celui-ci se présente à
nous. Et aussi l'idée de se focaliser sur le moment présent car le
futur est toujours incertain. Il y a de la sagesse à ne pas
alimenter toutes sortes de croyances et d'espérances sur ce qui va
advenir dans les jours ou les mois prochains. Le futur n'est pas
encore là. Aujourd'hui, ce que sera le futur n'est que conjectures
élaborées par l'esprit, mais sans assurance sur ce qui sera
réellement. Qui vivra verra. Mais en attendant il vaut mieux
se focaliser sur le jour présent et travailler pour créer du
bonheur et du bien-être dans cet instant que seul nous sommes en
mesure de saisir. Et même si on ne fait pas toujours ce que l'on
veut, il faut chercher à rendre ce moment présent agréable. Par
exemple, quand on travaille, au lieu de râler sur ses collègues, on
peut faire en sorte que ce moment soit le plus agréable pou soi-même
et pour tout le monde, ou en tous cas, que ce moment soit le moins
désagréable possible...
De même, quand on étudie, on n'est pas
obligé de se lamenter parce qu'on ne fait pas la fête, on peut
aussi apprécier le fait d'étudier, prendre plaisir au fait
d'étendre nos connaissances, non pas pour l'examen dont l'issue est
de toute façon incertaine, mais pour la connaissance elle-même,
pour le plaisir intellectuel que l'on peut en retirer. Mon grand-père
disait : « On ne fait pas ce qu'on aime. On aime ce qu'on
fait ». Cette sentence sonne peut-être un peu trop de manière
sévère pour un épicurien comme Horace, mais je pense effectivement
qu'on embellirait sa vie si on cherchait des fruits dans chacune de
ses activités journalières, pas seulement dans les moments
plaisants. Si on attend passivement les bons moments de l'existence,
on ne gâche pas seulement un instant présent qui apparaîtrait
comme un peu plus terne, on ne se condamne à nourrir des peurs et
des angoisses par rapport à ses espérances pour le futur qui est
toujours incertain. Si on soupire d'ennui un jour de grisaille en
souhaitant être le lendemain pour qu'il fasse plus ensoleillé, on
ne gâche pas seulement ce jour présent plein de grisaille qui
pourrait être plaisant par les rencontres que l'on fait par exemple,
on perd son temps à espérer qu'il fasse beau demain, ce qui n'est
jamais absolument certain.
Jigmé Lingpa, un grand maître
spirituel tibétain du XVIIIème siècle, disait à ce
propos :
« Ceux
que torturent les chaleurs du mois de juin
Languissent
après le clair de lune automnal,
Et
si la peur ne les gagne pas, c'est qu'ils ne pensent point
Qu'alors
leur vie aura été réduite de cent autres journées ».
En
Europe du Nord, c'est plutôt en automne ou en hiver qu'on languit au
retour des bourgeons et aux chaleurs de l'été (quoique quand il
fait trop chaud, on râle et on se lamente quand même, preuve que
nous sommes prêts à accepter l'instant présent tel qu'il se
présente). Mais l'idée est la même, en plein hiver, on se met à
rêver à nos vacances d'été dans le sud de l'Espagne. Pourtant,
entre le moment présent et cet hypothétique départ pour l'Espagne
(il peut se passer beaucoup de choses d'ici là), cent jours ou plus
se seront écoulés, sans qu'on apprécie la vie au jour le jour. On
gagnerait à s'adoucir et à célébrer la joie et la bienveillance
dans le moment présent.
Dans
la méditation, on se retrouve cette notion de focaliser sur l'action
présente. Dans la méditation marchée, on conscient de chaque pas
que l'on fait : comment le pied se lève, décolle du sol, se
meut dans l'espace et puis touche à nouveau le sol. Ce qui compte,
c'est le pas présent, et pas l'endroit où nous avons projeté
d'aller. Ce but à atteindre se situe dans le futur, et donc il
n'existe pas encore. Seul existe le pas présent. Un geste en soi
insignifiant certes, mais que l'on peut accomplir de manière
détendue et en y prenant plaisir. Tel est, me semble-t-il, le
véritable sens de ce Carpe Diem.
Villa di Livia - musée Palazzo Massimo alle Terme, Rome |
Voir aussi : Un conseil de Jigme Lingpa
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
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