Dans
les débats politiques ou sociétaux, on qualifie souvent les uns ou
les autres de « libéral », que ce soit en bien ou en
mal. Le terme a l'air évident, mais il recouvre des idées et des
concepts qui, non seulement, ne sont pas identiques, mais qui peuvent
s'opposer sur des questions de politique et de société importantes.
Je trouve qu'il n'est pas inutile de s'arrêter un instant aux
différentes acceptions du terme « libéral » selon le
domaine abordé.
1°)
En économie, « libéral » désigne celui qui croit aux
vertus du libre-marché et de la libre-entreprise. Ici, le terme est
quasiment synonyme de capitaliste. Chacun doit pouvoir entreprendre
librement, investir librement, acheter et vendre librement sans que
l’État ne vienne mettre son nez là-dedans, soit que l’État
cherche à contrôler les marchés, soit qu'il tente de réguler
l'offre et la demande par des taxes, des lois et des règlements qui
limite la liberté des entrepreneurs et des spéculateurs. Les
libéraux veulent donc le moins de taxes et d'impôt possibles ;
les patrons devraient avoir le moins de « charges sociales »
à payer pour chacun de ses employés et salariés. Chacun devrait
pouvoir entreprendre. Ceux qui réussissent s'enrichissent, ceux qui
échouent s'appauvrissent : c'est leur problème individuel,
l’État ne devrait pas intervenir, car la célèbre « main
invisible » d'Adam Smith fait que ce système en apparence
injuste contribue à fournir la richesse optimale pour les nations du
« monde libre ».
En
Europe, quand on qualifie quelqu'un de « libéral »,
c'est généralement dans ce sens que l'on l'entend. Être libéral,
c'est être de droite. Bien sûr, les sociaux-démocrates sont de
plus en plus attirés par le libre-marché et mènent des politiques
de plus en plus libérales quand ils sont au pouvoir. Tony Blair au
Royaume-Uni ou Gerhard Schroeder en Allemagne sont le symbole de ces
hommes de gauche complètement convertis au libéralisme économique.
Cela ne va pas sans brouiller les cartes et sans créer de la confusion en
matière politique : beaucoup disent que les concepts de
« gauche » et de « droite » sont dépassés,
même si ce sont souvent les gens de droite qui soutiennent que la
droite et la gauche n'existent plus ou sont de vieilles lubies du
passé. En France, le président François Hollande avait juré
pendant sa campagne présidentielle qu'il allait combattre son pire
ennemi, la finance. Mais c'était de toute évidence pour séduire un
électorat de gauche. Dans les faits, il est difficile de trouver un
président plus soumis aux exigence de la finance. Lui, son premier
ministre Manuel Valls et son ministre de l'économie Emmanuel Macron
défendent une ligne tout à fait libérale, proche du patronnat
français. Les discussions autour de la loi sur la réforme du code
du travail, dite loi El-Khomri, du nom de la ministre du travail,
Myriam El-Khomri, est un exemple manifeste de ce qui semble à
beaucoup de gens de gauche une trahison des idéaux socialistes et
une soumission aux diktats de l'économie globalisée.
Leonardo Caprio dans Le loup de Wall Street, de Martin Scorcese (2013) |
2°)
En matière morale, est libéral celui qui adopte une position plus
souple, privilégiant la liberté de choix individuel. Un libéral au
sens moral du terme sera pour la légalisation des drogues douces
comme le cannabis, pour le mariage homosexuel, pour le droit à
l'avortement et à l'usage des moyens de contraception, pour la libre
circulation des personnes et ainsi de suite... Aux États-Unis, c'est
ce sens du mot « libéral » qui prévaut. Quand on dit de
quelqu'un qu'il est libéral aux USA, cela équivaut à dire de lui
que c'est un « gauchiste ». Barack Obama est typiquement
perçu comme un libéral. Ses positions morales en matière de
religion et de sexualité le place comme étant un « libéral »
par opposition aux conservateurs du parti républicain et du Tea
Party. Aux USA, tout le monde est capitaliste, mais selon que l'on
veuille accorder plus ou moins de libertés individuelles aux
citoyens ou non, on sera taxé de « libéral » ou non.
Pareillement, au Canada, Justin Trudeau qui est plutôt de gauche est
qualifié de « libéral », notamment pour son action en
faveur des minorités ethniques.
Victor Habchy, festival "Burning Man" aux USA |
3°)
Dans le domaine des idées politiques, est libéral celui qui croit
aux valeurs de la démocratie libérale. L'idée est que les
représentants du peuple doivent être élus au cours d'élections
libres, au suffrage universel, ce qui suppose des valeurs comme la
liberté d'opinion, la liberté d'expression et la liberté d'action.
Le libéralisme politique s'oppose frontalement à tout absolutisme
qu'il soit politique ou religieux. Le philosophe Karl Popper voyait
dans les sociétés modernes gouvernées selon les principes du
libéralisme politique des sociétés « ouvertes » par
opposition aux sociétés fermées comme l'Ancien Régime ou les
sociétés totalitaires du XXème siècle comme les
régimes communistes et nazis.
Là
encore, il y a un malentendu car on a souvent identifié le
libéralisme économique avec la démocratie libérale. Francis
Fukuyama, penseur libéral, a vu ainsi le chute des régimes
communistes fin des années '80 et début des années '90 comme la
« fin de l'Histoire » au sens hégélien du terme, avec
le triomphe des démocraties libérales adhérant au libre-marché.
En fait, cette idée a aussi été entretenue par les intellectuels
marxistes qui voyaient dans la démocratie libérale une expression
de la main-mise bourgeoise sur la société. Néanmoins, cette
identité prétendue entre libéralisme économique et démocratie
libérale ne tient pas : en 1973, Augusto Pinochet est arrivé
au pouvoir par un coup d’État et a instauré une dictature
sanglante régie par les principes de l'ultra-libéralisme hérité
des Chicago Boys, des économistes libéraux proches de Milton
Friedmann. Pinochet a renversé une démocratie libérale gouvernée
par un marxiste Salvator Allende. Aujourd'hui en Chine, le pays est
gouverné par le parti communiste, parti unique, mais en réalité,
le pays est livré à une économie ultra-libérale, un capitalisme
sans foi, ni loi où les ouvriers migrants sont traités comme des
esclaves à la merci des patrons. Il est donc complètement faux
d'assimiler l'idéologie libérale sur un plan économique avec la
démocratie libérale.
Jaurès à la tribune, Séance à la chambre des députés en 1907, René-Achille Rousseau-Decelle. Palais-Bourbon, Paris |
*****
Je
trouve qu'il n'est pas inutile de faire la distinction dans ce
domaine. Il y a trop de confusion quand on lit les journaux ou quand
on écoute parler les gens. Personnellement, je suis libéral sur un
plan politique (je crois en la démocratie libérale) et libéral sur
un plan moral (je suis favorable à la légalisation du cannabis et
au mariage homosexuel par exemple), mais je ne suis pas libéral sur
un plan économique. Sans être marxiste, je pense néanmoins qu'il
faut mettre des régulations au monde de l'entreprise et de la
finance ainsi que des freins à la main-mise des patrons sur les
travailleurs.
Chambres du parlement au coucher du soleil, Claude Monet |
Merci pour cet article, c'est aussi pour ça qu'on a "inventé" les termes "libertaire" pour désigner les positions favorables à la libération des mœurs et plus récemment "libertarien" (libertarian en anglais) qui est encore de sens différent (et différent de plus selon la langue). J'étais tombé sur un article d'un universitaire libéral (économiquement) du côté de Toulouse qui avait le mérite d'expliquer clairement les choses, je ne le trouve plus. Je n'ai que ça sous la main concernant libertarien/libertarian : http://www.toupie.org/Dictionnaire/Libertarien.htm
RépondreSupprimerqui est en quelque sorte ce qu'on entend par libéral voir ultra-libéral en français.
En fait, c'est l'anglais qui a d'abord emprunté au français le mot "libertaire" sou la forme libertarian avant d'opérer des glissements de sens et puis, cela nous est revenu plus récemment sous diverses formes créant la plus grande confusion par rapport à l'usage du mot libéral (même si les divers mouvements liber- ont à la base une même racine fondé sur la liberté individuelle, il n'empêche qu'ils se sont très sensiblement éloignés les uns des autres). Les glissements de sens des mots lorsqu'ils sont empruntés et transposés d'une langue à l'autre sont fréquent. Désolé de ne pas être plus clair, j'essaierai de retrouver l'article que j'ai évoqué.
J'ai retrouvé, c'était ça : http://www.historionomie.com/archives/2015/04/09/31865630.html
RépondreSupprimerC'est assez clair mais je ne sais pas si c'est identifié ainsi dans tous les usages, l'usage ́restant en fin de compte toujours souverain ce qui n'empêche nullement qu'il faille s'efforcer de définir les mots et notions autant que possible.
Merci pour vos commentaires. J'ai répondu à vos remarques dans l'article "Libéral, libertaire, libertarien" : http://lerefletdelalune.blogspot.be/2016/06/liberal-libertaire-libertarien.html
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