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dimanche 4 décembre 2016

Une cure d'extraordinaire



Une cure d'extraordinaire




Je me suis fait à l'idée que la vie n'avait pas à être extraordinaire.

Robert Smith





Robert Smith







     D'ordinaire, je mets en exergue sur mon blog « Le Reflet de la Lune » des sentences qui font sens, qui me touchent ou qui exprime une parole de sagesse. Ici, c'est l'exact contraire. Cette phrase, prononcée par Robert Smith, le chanteur et leader du groupe de rock « The Cure », exprime tout ce contre quoi j'essaye de résister au jour le jour: la dépression, le fait d'être blasé de la vie et se complaire dans la négativité pour le plaisir de se complaire dans la négativité, ou encore par paresse de ne pas se remettre en question et de ne pas fournir des efforts pour améliorer les choses. Quand j'ai entendu cette réflexion de Robert Smith à un moment de ma vie où j'étais particulièrement déprimé, cela fut très douloureux, parce que, précisément, l'idée qu'il faut se faire à l'idée qu'au fond la vie est moche, sans éclat, terne et qu'il n'y a rien à attendre d'elle m'était complètement insupportable. Je sentais qu'il fallait résister contre ce marasme ; mais ce n'est pas facile quand on est traversé par plein d'idées noires.

    La vie doit être extraordinaire. Pas seulement notre vie, mais la vie de tout un chacun. Je ne veux pas dire que l'on doive impérativement faire des choses extraordinaires pour que notre vie soit extraordinaire, comme faire l'ascension de l'Everest, gagner un milliard de dollars ou se baigner dans sa piscine privée avec les stars de Hollywood. L'extraordinaire peut se manifester dans une vie parfaitement ordinaire. L'extraordinaire demeure dans la conscience et la perception de celui qui s'étonne et s'émerveille de la vie. En même temps, l'extraordinaire se trame dans nos relations aux autres. L'extraordinaire surgit dans des moments de vie, et il faut être prêt à le saisir que l'on soit seul ou avec les autres.


      En fait, garder en son âme et conscience l'idée que la vie peut être extraordinaire pour nous et pour les autres change la logique de nos relations humaines. Si on est dans une logique de compétition et de rivalité les uns envers les autres, l'extraordinaire est le fait de gagner plus que les autres, d'être mieux habillé et d'incarner plus la mode que les autres, de réussir mieux que ses collègues, d'avoir une femme plus belle que celles de ses amis ou une maison plus grande que celle de son voisin. C'est toujours vouloir sortir de la moyenne que constitueraient les autres. C'est constamment renvoyer agressivement l'autre à l'ordinaire.

       Mais celui qui pense que sa vie et la vie des autres peut et doit être extraordinaire n'entretient pas de telles idées de comparaison et d'orgueil déplacé. Il sait qu'expérimenter l'extraordinaire n'est pas une expérience qui nous met en compétition avec les autres. Je peux me promener dans une rue de ma ville, un jour pluvieux et froid de novembre et trouver cela extraordinaire parce que je suis envahi ici et maintenant par le sentiment de l'extraordinaire : j'ai la conscience soudaine et fulgurante que ce moment est unique et merveilleux. Il n'est pas plus unique et merveilleux qu'un autre moment ; il n'est pas plus unique et merveilleux que l'instant que vit l'inconnu avec son chapeau et son attaché-case que je croise maintenant dans la rue. Et les rues de ma ville ne sont pas plus uniques et merveilleuses que les rues d'une autre ville ailleurs. Simplement je vis l'instant présent, et je me rends compte qu'il peut m'apporter ce sentiment de l'extraordinaire, alors même que je suis une personne ordinaire qui marche un jour ordinaire de novembre dans une rue ordinaire d'une ville ordinaire comme il y en a des milliers et des milliers dans le monde.

      Ce sentiment de l'extraordinaire ne peut exister qu'au travers de la bienveillance envers les autres, de l'abandon de l'orgueil qui nous pousse à nous comparer aux autres et de l'apaisement de l'esprit. Cet apaisement est nécessaire pour s'ouvrir à tous les frémissements de la perception ordinaire que, d'ordinaire, on ne perçoit pas. Ces frémissements vont et viennent, avec des intensités et des formes variables, parfois doux, d'autres plus puissants. C'est parfois une vision haletante des choses et de l'infini qui se cache derrière chaque chose finie, parfois c'est un moment de calme et d'acceptation. Parfois, c'est un autre regard. Parfois aussi, ça ne vient pas. Cela ne doit pas nécessairement venir. Parfois l'ordinaire reste ordinaire ; parfois on est triste et on se sent morose. L'extraordinaire ne retranche rien à notre humanité.


      Mais simplement, il est bon de se rappeler la joie quand la tristesse ou la morosité ou la banalité marche avec nous dans la rue et ne nous permet plus que de voir la grisaille des murs et des trottoirs. Quand on est devenu coutumier avec la joie, celle-ci prend le pli de rejaillir spontanément derrière les nuages sombres de la tristesse et du désespoir. 











 Montpellier, Architectures VivesMaxime Derrouch, Typhaine Le Goff et Emeline Marty





Voir aussi : 


- Résignation et acceptation




Joie 

   Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?



- Carpe Diem

 Que signifie vraiment "profiter du moment présent" ?



Un conseil de Jigme Lingpa






GINZA, 2nd Avenue, Tokyo
 (arrondissement de Chuo),2009






Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.








Robert Smith 

4 commentaires:

  1. Bien que n'étant pas un grand fan de The Cure ni de R. Smith, je n'ai pas de mal à assumer cette phrase mise en exergue. A force de vouloir que la vie soit extraordinaire on peut complètement passé à côté de sa vie. Mieux vaut être attentif aux petits riens qui font la saveur de l'existence que de se focaliser sur les moments forts de la vie qui sont le plus souvent passés ou à venir.

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  2. Je pense que vous avez une interprétation zen de cette phrase: accepter l'ordinaire de l'existence, s'asseoir, marcher, faire la vaisselle en toute simplicité et en en appréciant l'instant présent. C'est effectivement une bonne chose et d'une grande sagesse. Il est vrai également que l'obsession de l'extraordinaire (au sens mondain du terme) nous conduit à se focaliser sur des moments "qui sont le plus souvent passés ou à venir" (comme vous le dites à juste titre).

    Par exemple, on pense qu'on va se rendre à une soirée et on est tout excité à l'idée d'y aller (obsession pour le futur). Puis la soirée arrive, et elle se passe très vite, l'alcool aidant à accélérer les choses.Et puis, on passe plus de temps à faire des selfies pour immortaliser l'instant que de vivre l'instant proprement dit. Et puis on raconte partout sur les réseaux sociaux qu'on a vécu une soirée EXTRAORDINAIRE (obsession pour le passé).

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  3. Mais je pense que l'interprétation de Robert Smith est plus de dire que la vie est moche, et qu'on doit se résigner à ce qu'elle soit moche et terne. C'est contre cette interprétation dépressive que je m'insurgeais dans mon texte !

    Dans l'interview de Robert Smith où il prononçait cette phrase, il était tout bouffi, avec une canette de bière bon marché à la main, et il faisait un peu de peine à voir (j'ai d'ailleurs mis des photos de lui jeune par charité).

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    1. En même temps j'imagine qu'il a connu son heure de gloire comme jamais je n'en connaitrais, le feu des projecteurs, les foules en délire, l'argent qui coule à flot, les plus jolies femmes à ses pieds...
      Le voir bouffi, maintenant, au delà du côté magazine people, pourrait avoir un effet consolant (sur lequel repose la vente de ces magazines people)... Je ne sais pas.
      Idéalement il ne faudrait pas trancher entre vivre de manière extraordinaire une vie ordinaire (comme la mienne) ou vivre de manière ordinaire une vie extraordinaire (de rock star)

      J'écoutais hier une interview d'un poète sonore que j'ai eu la chance de voir en concert et qui travail sur de l'écriture pauvre
      https://www.youtube.com/watch?v=TK41pS-D3CU
      Quand on lui dit qu'il est une rock star le fait rire mais il dit que ce qui l’intéresse c'est la rencontre.
      "en France on ressent cette aridité"
      "en Belgique ça fait rire les gens"
      https://www.youtube.com/watch?v=Llz3BRA6Sh8

      Tout ça pour dire qu’idéalement il ne faudrait pas opposer l'ordinaire à l'extraordinaire.

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